Le film iranien « L’odeur du vent » de Hadi Mohaghegh est d’une sensibilité rare. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça au cinéma!
À mille lieues des drames sociaux et conjugaux en milieu urbain dont le très fécond cinéma iranien actuel est coutumier, L’odeur du vent nous projette dans ces confins ruraux du monde perse, où ce qu’il est convenu d’appeler, sous nos latitudes, « l’aménagement du territoire » n’a pas encore atteint l’horizon de ces villages isolés. Le téléphone portable y reste une rareté, l’eau courante un mirage, le courant électrique une fourniture capricieuse. Fait exclusivement de plans fixes au chromatisme délicat, composés avec un soin tout pictorialiste, ce film à la lenteur hypnotique ne rebutera que les camés à la série TV, ontologiquement indifférents à la plastique formelle du Septième art – soit probablement beaucoup de monde, hélas, par les temps qui courent. Mais, comme certains livres leurs lecteurs, les films auront toujours les spectateurs qu’ils méritent…
Le corps déformé par une paraplégie qui l’oblige à se traîner au sol pour se mouvoir, un homme élève seul son fils, probablement atteint de paralysie (décidément !), car alité dans une position immuable. Ce père « handicapé moteur » plutôt courageux fournit le voisinage en décoctions médicinales qu’il arrache à grand peine du roc de la montagne – le maigre pécule qu’il en tire est manifestement sa seule ressource. Adversité supplémentaire, soudain c’est la panne d’électricité. L’infirme se déplace péniblement jusqu’au hameau pour solliciter, via le portable d’un habitant mieux loti, l’intervention d’un électricien sur le transformateur proche de la masure qu’il occupe avec son enfant. Voilà pour l’entrée en matière. Se pointe, en voiture, le préposé du réseau électrique (joué par le cinéaste lui-même, Hadi Mohaghegh, mécanicien automobile de son état, avant que de devenir dans les années 1990 acteur et metteur en scène, puis assistant de plusieurs réalisateurs, et enfin cinéaste). Grimpant au mât du transformateur défaillant, le technicien tente de le réparer. Mais une pièce est manquante.
A lire aussi, Mahmoud Moradkhani: Iran, une révolution lente mais salvatrice
Road movie d’un genre un peu particulier, on l’aura compris, L’odeur du vent (titre français moins approprié que Derb, le titre original, qui en langue régionale, signifie « sol dur ») accompagne les étapes d’un chemin de croix: celui de ce fonctionnaire diligent et secourable qui, doué d’une patience véritablement angélique, sacrifiera son temps sans compter, malgré les contrariétés qui s’accumulent (douille hors d’usage, adresse mal comprise, automobile ensablée dans une flaque d’eau, panne de moteur…) Son seul dessein: sortir le pauvre hère du pétrin.
Endossant avec simplicité cette figure de la sainteté, Hadi Mohaghegh fait moins œuvre pie qu’il ne célèbre, avec beaucoup de grâce et sans une once de mièvrerie, la pure bonté dans son expression banale. Générosité qui se décline dans les gestes les plus ordinaires, comme celui de cueillir un bouquet pour cet aveugle, au lieu même de son rendez-vous galant – une des belles scènes du film. L’intense sobriété de cette œuvre paysagiste n’est évidemment pas sans rappeler la plastique tout à la fois épurée, finement construite et hautement graphique du regretté Abbas Kiarostami, son compatriote.
L’odeur du vent (Derb). Film de Hadi Mohaghegh. Avec Mohammad Eghbali, Hadi Mohaghegh. Iran, 2022, couleur. Durée: 1h30. En salles le 24 mai 2023.