Au moment où la bataille pour le contrôle du ciel de la Libye est pratiquement gagnée, la question du contrôle du terrain reste plus que jamais ouverte. Comme l’ont démontré les deux guerres d’Irak et la guerre au Liban en 2006, la force aérienne, essentielle, ne peut pas à elle seule gagner une guerre. À moins d’un assassinat ciblé de Kadhafi, on ne voit pas comment les seules frappes pourraient mettre le régime libyen échec et mat. Or, pour le moment, les rebelles ne semblent pas être capables de mettre en place une force terrestre capable – même sous le parapluie aérien de la Coalition – d’occuper le terrain et de balayer physiquement les éléments armés qui soutiennent le pouvoir. Or, malheureusement, transformer une bande de civils jouant les Rambo en une force armée entraînée et efficace est un travail de longue haleine qui demandera bien plus de quelques semaines ou mois. En revanche, après plusieurs semaines de mobilisation, Kadhafi est arrivé à déployer des unités militaires de plus en plus efficaces.
Le calcul des planificateurs de l’opération libyenne repose sur la psychologie : ils espèrent que l’usage massif de la force aérienne fissurera le pouvoir et poussera certains militaires à déserter ou mieux, à passer avec armes et bagages chez les rebelles. Mais les stratèges occidentaux ne se contentent pas d’espérer. Si on écoute attentivement les déclarations et commentaires des anciens chefs des armées américaines et britanniques – notamment le général US Wesley Clark et le général britannique Sir Mike Jackson –, on entend déjà la petite musique de la suite. Tous deux ont jugé utile de préciser le sens du terme « occupation » – strictement interdite par la décision du Conseil de sécurité. Selon les deux généraux, cela n’empêche pas le déploiement de forces sur le sol mais uniquement une occupation à long terme du territoire libyen. À bon entendeur…
Pour être clair, si Kadhafi et son clan ne craquent pas rapidement, on peut s’attendre à des opérations de moins en moins aériennes. L’évolution vers une intervention terrestre est dans la logique des choses. Quoique nous racontent les communicateurs en uniforme, « défendre les civils » n’est pas un objectif militaire. Un militaire ne sait pas quoi faire d’un tel cahier des charges. Il comprend très bien, en revanche, si on lui ordonne de « détruire les capacités de combat des forces fidèles à Kadhafi ». Mais même clairement définie, cette mission est plus difficile à mener à bien qu’elle n’en a l’air. Détruire l’armée libyenne, d’accord – encore que le coup de la promenade de santé marche rarement – mais ensuite que faut-il faire des milices pro-Kadhafi montées sur des 4×4 Toyota ? Quelles différences y a-t-il entre celles-ci et les rebelles ? En quoi sont-elles « moins civiles » ? Dès qu’on en arrive à ce type de questions, on comprend qu’il ne s’agit pas seulement de mener une opération humanitaire armée mais de prendre parti dans une guerre civile et de faire tomber un régime.
Ne tournons pas autour du pot. Ni un Rafale, ni un F-18 ni un drone ne feront pas l’affaire. Cette guerre sera longue et il faudra bien que quelqu’un prenne Tripoli pour aller extirper d’un certain bunker cet homme bizarre qui, depuis quarante ans, n’est pas seulement un dictateur local mais, et le mot est faible, un emmerdeur international.
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