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La foudre de la violence gratuite peut tomber sur n’importe qui

Entretien avec Laurent Obertone


La foudre de la violence gratuite peut tomber sur n’importe qui
Laurent Obertone © Hannah Assouline

Depuis des années, l’auteur de Guérilla décrit au fil de ses romans une France scindée en communautés et en proie à l’hyperviolence. La fiction est devenue réalité. Les émeutes du mois de juin ont une fois de plus prouvé l’impuissance de l’État à maintenir l’ordre. Pourtant, des solutions existent. Elles se nomment justice et fermeté.


Causeur. La réalité commence à ressembler furieusement à vos livres, ce qui vous donne le droit de jouer les oracles. Avons-nous assisté aux prémices d’une guerre civile ? Bref, pouvons-nous, pour de vrai, être plongés dans Guérilla (qui était hier encore qualifié de fantasmes d’extrême droite) ?

Laurent Obertone. Sans même parler des émeutes, nous vivons depuis des années un climat de guérilla latent. Les chiffres de l’insécurité, en particulier des violences aux personnes, sont indignes d’un pays développé. En augmentation constante depuis Hollande, ils ont battu sous Macron et Darmanin tous les records. Comme les chiffres de l’immigration d’ailleurs. Il a fallu un embrasement généralisé pour que le Français prenne la mesure des limites de l’État, soudain en pleine lumière, face à un ennemi innombrable, disséminé sur tout le territoire, dans des centaines de quartiers. Si cet ennemi se mobilise partout en même temps, les forces de l’ordre n’auront pas les moyens numériques, matériels – et surtout pas les directives – pour faire face. Ce qui sauve l’État est pour l’instant l’absence d’organisation politique des émeutiers, la passivité du citoyen moyen, qui se contente de regarder sa France brûler de loin, mais aussi le naufrage de l’opposition de gauche, qui a vendu ce qui lui restait d’âme en rêvant de noyauter de tels mouvements, en leur prêtant des intentions qui n’existent pas.

Il semble cependant que, dans la sécession à laquelle nous assistons, la composante islamiste soit moins présente que dans Guérilla. Mais peut-être avez-vous des informations à ce sujet…

Oui, il semble que les autorités religieuses soient un peu dépassées par l’embrasement. Mais la frontière pratique entre ces violences et le terrorisme est mince : il s’agit toujours de faire en sorte de soumettre l’autochtone, rendre ses promenades dangereuses, pister et attaquer les flics isolés… C’est une forme de terrorisme, sans les gros moyens, mais au moins aussi efficace. La foudre de la violence gratuite peut vous tomber dessus à tout moment… Et pénalement c’est moins risqué pour les auteurs, du fait de la « compréhension » judiciaire. Pour résumer, vous vous ferez poignarder ou lyncher pour rien, personne n’en parlera, c’est la faute à la société, il faut plus de moyens et de city-stades. Même pas besoin de compassion ministérielle et de petites bougies.

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Vous l’avez observé, il n’y avait pas, au-delà des violences, de projet politique pour renverser le gouvernement et prendre le pouvoir sinon, peut-être chez les Insoumis qui rêvent la nuit…

En effet. En difficulté dans l’opinion, ils rêvent de ce Grand Soir, sans comprendre qu’ils n’en feront pas partie. À mon sens, ils se sont sabordés avec une grande efficacité durant cette crise. La gestion du gouvernement était désastreuse, Mélenchon a montré qu’on pouvait faire encore pire, ce qui est un fameux exploit. Il semble que beaucoup d’endormis se soient réveillés ces derniers jours. Un éclat de réel vient de faire très mal à tous les forcenés du mensonge.

Peut-être. On verra si on s’empresse de refermer les yeux qu’on avait entrouverts… Mais revenons aux saccages. On nous dit qu’énormément d’armes circulent dans les banlieues. Heureusement, elles ne sont pas sorties. Les dealers ont-ils contribué à « circonscrire » les violences ?

Les dealers jouent un double jeu : certes, ces séquences ne sont pas profitables à leur économie dans l’immédiat, mais elles permettent d’une part de se venger des opérations des stups, et de l’autre, de mettre une grosse pression sur les élus qui leur résistent, sans parler des policiers. On sait qu’ils hésiteront encore plus à sortir leurs armes, à réaliser des descentes, à taper des réseaux. Et sans doute leur demandera-t-on de différer ou annuler leurs opérations prévues ces prochaines semaines. Donc les trafiquants bénéficieront de la crise. Évidemment, sortir les armes lourdes serait une mauvaise idée. Si les choses dérapent de manière trop évidente, ça implique un coup de projecteur sur le quartier, des perquisitions poussées, qui peuvent coûter cher.

Pour les semaines à venir, quels sont les scénarios possibles ? Allons-nous désormais vivre des périodes d’accalmie, entrecoupées d’éruptions régulières de violence ?

Oui, c’est ce qui va se passer, un retour à l’insécurité quotidienne, une guérilla larvée, des embrasements sporadiques. Le gouvernement condamné à sa com’, priant les flics d’en faire un peu moins, croisant les doigts pour que la publicité des confrontations ordinaires soit la moins mauvaise possible. Il compte pour ce faire sur l’extraordinaire capacité d’oubli du citoyen, digne du poisson rouge, face au feu roulant – et au roulement continu – de l’actualité.

Vous avez une dent contre le citoyen lambda !

Je l’avoue ! Je le vois depuis tant d’années partager mes constats, râler dans son coin, et puis s’écraser à la machine à café, par peur d’être accusé de « faire le jeu de… ». Ce renoncement à exister, à braver les excommunications d’Aymeric Caron n’est pas étranger à la gravité de notre situation. La résistible dégradation du pays doit beaucoup à cette passivité. Et je me mets dans le lot : j’aurais sans doute pu moi-même en faire beaucoup plus.

Cette fois, le détonateur a été la mort de Nahel, tué par un policier à 17 ans. Mais les émeutiers ne voulaient pas la justice, puisque la justice est passée. Que veulent-ils et que veulent-ils nous dire ?

Ils veulent exister, et pour eux ça passe par la reconnaissance de leur groupe, donc la violence aveugle envers l’extérieur, la soumission du reste du pays. Ainsi l’on acquiert le « respect ». Il y a aussi une bonne dose d’opportunisme et de mimétisme. Rien à voir avec la mort de Nahel. Même si ces violences paieront, d’une certaine manière, en ce qu’elles se traduiront par une forte pression sur les médias et magistrats, donc une forme de privilège judiciaire. Chaque mort ayant donné lieu à des émeutes a toujours fait l’objet de quantité d’enquêtes, d’expertises et de contre-enquêtes, comme l’affaire Adama, par exemple. Ce qui n’est pas le cas pour les morts non médiatisées.

Émeutes à Clichy-sous-Bois, 28 octobre 2005 (c) Sipa

On passe du côte-à-côte au face-à-face. Il y a donc un « eux » et un « nous ». Qui est « eux » et qui est « nous » ? Beaucoup d’habitants des quartiers disent, comme pour Charlie, la violence ce n’est pas bien, mais ils sont maltraités, etc.

« Eux », c’est une infinité de bandes, qui parfois s’affrontent, et les jours d’émeutes pillent ensemble. Jeunes, très majoritairement issus de l’immigration maghrébine et subsaharienne, avec quelques natifs qui se sont assimilés à cette majorité locale. Beaucoup d’habitants de ces quartiers sont passifs, certains déplorent les violences. Mais beaucoup d’autres disent les comprendre, et pensent qu’elles sont la seule solution pour obtenir plus. Il faut dire que ces quartiers sont habitués à être complaints, excusés, copieusement arrosés. Ça crée des attentes. « Nous », c’est la majorité périphérique, silencieuse, qui subit l’idéologie immigrationniste, les exactions, le racket fiscal, le chantage à l’extrême droite, les interdits, la violence gratuite. Celle qui demande plus d’État, d’autorité, qui espère qu’on réglera tout à sa place, pourvu que la vie continue, et qu’elle n’ait pas à se salir les mains. Elle préfère croire en une solution miraculeuse, surtout pas affronter cette si dérangeante réalité.

Que signifierait l’affronter ? Que voulez-vous que les gens fassent, qu’ils prennent les armes ?

Plutôt qu’ils reprennent leur souveraineté intellectuelle, qu’ils se libèrent enfin du politiquement correct, et se fassent obéir de l’État. Il existe quantité de moyens pacifistes de le faire, en dehors du champ politique habituel. J’en liste une partie dans mon livre Game Over.

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Quel est le profil des petits anges qui pillent et vandalisent ? Sont-ils arrivés récemment ? Savez-vous s’il y a beaucoup de clandestins ? Beaucoup travaillaient comme livreurs ou plongeurs…

Des étrangers et irréguliers se sont illustrés dans les pillages, mais majoritairement les interpellés sont français, comme Mohammed Merah, comme les frères Kouachi, comme vous et moi, ai-je envie de dire. Donc « aucun rapport avec l’immigration », nous dirait François Hollande. Ils sont nés en France, parfois de parents eux-mêmes nés en France, mais parlent très mal le français, vivent entre eux, n’ont absolument aucun rapport avec ce pays. Comme disait Driss Ghali, ils nous signifient chaque jour à quel point ils n’en sont pas. Et nous refusons tout aussi méthodiquement de l’entendre.

Que vous inspire l’analyse d’Emmanuel Todd qui prétend que le système tient grâce à l’alliance objective entre le gouvernement macroniste et la police lepéniste…

Le système tient grâce à la police, c’est un fait, mais ce n’est pas une alliance. Les policiers aiment leur pays, signent pour le défendre, faire respecter l’ordre. L’État – qui se substitue au pays – utilise sa police pour se protéger de ses incuries, lever un impôt de moins en moins consenti, imposer sa gouvernance de plus en plus discutable. Je pense que le peuple est lui aussi largement lepéniste, du moins dans sa vision des choses. L’État, qui se méfie beaucoup de lui, lui doit aussi sa survie. Tant que Monsieur Moyen, celui que Macron appelle « Jojo », paie tranquillement ses impôts en se contentant de râler, tout va bien.

Comment qualifiez-vous le drame d’Annecy ?

Ça rejoint cette forme de terrorisme quotidien dont je parlais : ce n’est pas politique, l’acte banal d’un « déséquilibré » isolé mais justement, ce sont de tels actes imprévisibles qui distillent dans tout le pays une forme de terreur, prenant le pas sur notre quiétude, notre art de vivre. Nos gouvernants, depuis plusieurs décennies, en sont lourdement responsables. Idem les gouvernés qui n’ont jamais su se faire entendre sur le sujet, avec suffisamment de force. Espérons que la dure leçon de cette crise ne soit pas perdue. Jojo, si tu nous regardes…

Certains macronistes accusent les jeux vidéo violents et les réseaux sociaux violents TikTok et Snapchat d’avoir une mauvaise influence sur la jeunesse. Partagez-vous cet avis ?

Non. On joue autant aux jeux vidéo dans la France périphérique que dans les banlieues, et les taux de violences sont incomparables. Les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour organiser des actions ou se livrer à des concours d’exactions via le partage d’images, mais ce sont avant tout des outils. On ne va pas interdire les tronçonneuses parce qu’on a vu un émeutier en porter une, ça n’a pas de sens. Hélas, le Français est friand des interdits. Il ne voit pas que leur multiplication ne concerne que lui, et dissimule la faillite judiciaire, la non-application de la loi, qui réprime en théorie fermement les délits ou provocations aux délits. En pratique, ce n’est jamais le cas. Jamais les incendiaires, par exemple, ne sont condamnés à la moitié de ce que prévoit le Code pénal. Mettre partout des caméras ou voter des lois par centaines ne sert à rien si nos tribunaux restent une braderie pénale. Toutes les autres explications de ces violences cherchent à masquer cette lâcheté, cette faillite conjuguée de la justice et de l’immigration. Nos prisons débordent aujourd’hui malgré la justice, par une explosion sans précédent de l’ultraviolence.

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Avant la réponse pénale, il y a le maintien de l’ordre… On a l’impression que la peur de la violence inhibe tout recours à la force. Et de fait, un autre jeune tué provoquerait sans doute un embrasement. Mais dans ces conditions, peut-on encore maintenir l’ordre sans sortir des clous démocratiques ?

Justement, non ! Soit on se contente de communiquer et d’arroser d’argent public, en perdant chaque jour un peu plus de terrain, ce qui se passe, soit on agit, mais les actes que ça implique mettront notre pays au ban de l’ONU, de l’UE, de la communauté internationale, etc. Macron en serait totalement incapable. Donc priorité aux cabinets de conseil, aux projets de loi, aux grands plans quinquennaux. À la « réflexion pour comprendre les causes profondes ». Et tout va continuer.

Quand bien même on changerait radicalement de politique migratoire, une majorité de ceux qui clament leur haine de la France sont français. Peut-on encore empêcher la libanisation que redoute Alain Finkielkraut ?

On le peut. Les principaux vecteurs de libanisation sont selon moi l’immigration de quantité, le socialisme qui la conditionne et le laxisme judiciaire. On peut arrêter l’immigration, l’appel des aides, réprimer et expulser les délinquants étrangers. On peut aussi déchoir de leur nationalité ceux qui démontrent chaque jour leur refus de notre civilisation, ou encore les éloigner par quantité de mesures, y compris incitatives. Simple question de volonté politique. Bien sûr, on nous martèle chaque jour que « ça n’est pas possible » – après des années de « ça n’existe pas » –, précisément pour nous résigner à subir une telle situation.

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Été 2023 – Causeur #114

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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