Ça y est. Trois ans après son élection, Barack Obama vient de lancer sa nouvelle campagne présidentielle. Désormais, sa priorité est de marquer ses différences avec les Républicains en les accusant d’empêcher le gouvernement de prendre les mesures économiques nécessaires pour relancer l’économie, l’emploi et le pouvoir d’achat.
Jusqu’à l’été dernier, pendant les trente premiers mois de son mandat, le président démocrate avait toujours recherché le compromis. Bénéficiant initialement de la majorité démocrate dans les deux chambres, Obama avait tenu à négocier avec les Républicains, sans jamais leur forcer la main ni leur imposer ses solutions. Il voulait rassembler et proposer une politique non partisane. A l’intérieur comme à l’extérieur, ses discours ont d’ailleurs toujours été suivis d’actes inscrits dans la tradition de la plus pure realpolitik.
Or, non seulement cette stratégie politique n’a pas eu les résultats escomptés, mais le raidissement idéologique des Républicains a rendu son exercice impossible. Depuis cet été et l’échec des négociations entre Obama et les leaders républicains sur la question de la dette, il est devenu évident que le Tea Party, relayé par ses militants sur le terrain et ses élus à Washington, enferme le camp républicain dans le piège du puritanisme idéologique. En campagne pour sa réélection, Obama a compris le message et essaie de prendre ses rivaux à leur propre jeu. Le rassembleur au-dessus de la mêlée a ainsi laissé place au candidat démocrate à sa propre succession. C’est ce changement de stratégie politique qui explique l’échec de son plan emploi, que le Sénat a rejeté le 11 octobre malgré une campagne de terrain vigoureuse menée en fanfare par Obama. En fait, l’échec prévisible de ce plan constitue une manœuvre politicienne d’Obama et des Démocrates pour mettre les Républicains dans l’embarras.
Pris dans sa globalité, le plan pour l’emploi d’Obama avait en effet toutes les chances de bénéficier d’un soutien bipartisan confortable. Il s’agissait d’une série de mesures d’un coût total de 447 milliards de dollars : des grands chantiers de travaux publics, impulsés et pilotés par les Etats et financés par Washington, des subventions permettant aux Etats de ne pas licencier de fonctionnaires (enseignants, policiers et pompiers…) et des réductions d’impôts plafonnées à 106 000 dollars de revenu annuel dont profiteraient 160 millions d’Américains. Il y a un an, ou même il y a trois mois, Obama se serait réjoui de voir ce package adopté à une large majorité, jusque chez les républicains.
Mais aujourd’hui, le consensus n’est plus son objectif. Ainsi, les stratèges politiques démocrates ont décidé d’ajouter une mesure symbolique forte : une surtaxe de 5,6 % sur les revenus annuels dépassant le million de dollars par an. En promouvant cette « taxe des riches » (ou « Buffet tax », du nom du milliardaire américain qui l’a proposée), Obama pousse les républicains dans leurs retranchements, entravant le soutien des plus ouverts d’entre eux, qui approuvent par ailleurs l’essentiel du plan présidentiel. Obama sait que la taxe des millionnaires est une mesure très populaire et il n’ignore pas que la pression des militants Tea Party qui exigent moins d’impôts et moins d’Etat lie les mains de sénateurs républicains. Le piège parfait se referme sur ses proies.
Contrairement à ce qu’il aurait fait jusqu’à récemment, Obama ne s’est pas efforcé de négocier un compromis avec les républicains, mais il a parcouru les Etats-Unis pour marteler son message dans ce qui ressemble à une primaire solitaire : « La taxe des riches est juste, mon plan va créer de l’emploi et mettre de l’argent dans vos poches mais les Républicains le bloquent parce qu’ils servent un intérêt partisan plutôt que l’intérêt général de la nation ».
Mardi 11 octobre, en s’opposant au vote du plan, les républicains ont foncé tout droit dans l’embuscade qui leur était tendue par la Maison Blanche et les Démocrates. Ils ne pouvaient probablement pas faire autrement et leur embarras était palpable : aussitôt connus les résultats du vote, certains sénateurs ont fait savoir qu’ils ne feraient aucune obstruction si ces mesures étaient présentées une par une, plutôt que sous la forme globale d’un « à prendre ou à laisser » sans nuances.
Toute la question est de savoir si la stratégie présidentielle de refus des compromis sera payante et si le chef de l’exécutif pourra passer, aux yeux de l’opinion publique, pour la victime impuissante des manœuvres politiciennes de ses adversaires républicains. L’enjeu est de taille, car sur le terrain, les chiffres sont cruels : quand Barack Obama a emménagé à la Maison-Blanche, il y avait 132,8 millions de salariés aux Etats-Unis. Aujourd’hui, 32 mois et des centaines de milliards de dollars plus tard, ils ne sont plus que 131,3 millions…
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