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Obama prend un râteau à l’est


Obama prend un râteau à l’est

Avant la chute du communisme, on les appelait les dissidents : Sakharov, Havel, Walesa ont connu la prison, d’autres furent contraints à l’exil. Pendant que les gouvernements de l’Occident démocratique cherchaient des accommodements avec l’Union Soviétique, ils incarnaient la résistance intraitable au totalitarisme communiste. Grâce à eux, quelques intellectuels maoïstes français furent dispensés d’une cure de silence repentant dans une quelconque Trappe laïque, après s’être reconvertis dans la défense des persécutés de derrière le Rideau de fer.

Aujourd’hui, alors que l’on va bientôt célébrer le vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, cette génération dissidente a, pour l’essentiel, quitté le devant de la scène politique où elle avait été propulsée après l’effondrement des régimes communistes.

Mais elle n’a pas renoncé à s’exprimer publiquement au nom de leur expérience historique, et à dire leur fait sans détour aux dirigeants d’aujourd’hui, comme ils le firent jadis face aux tyrans post-staliniens.

En ce mois de juillet, le Tour de France, les bonbonnes dans les usines en voie de liquidation et la castagne au PS ont barré, à de rares exceptions près, le chemin des médias à une lettre ouverte fort intéressante adressée au président des Etats-Unis par vingt anciens responsables politiques de pays d’Europe centrale et orientale. On retrouve dans cette liste les icônes de la dissidence qui sont encore de ce monde, et même un ex-communiste, l’ancien président polonais Alexander Kwasniewski. Ce sont ceux à qui, en mai 2003, Jacques Chirac avait reproché d’avoir « manqué une bonne occasion de se taire » pour cause de soutien à la guerre d’Irak. L’injonction venue de l’Elysée provoqua chez eux plus d’hilarité que de colère : ils avaient tenu tête à Brejnev et au Kremlin, alors une gueulante de Corrézien, ils pouvaient faire avec.

Ces gens-là ne sont donc pas du genre à se laisser intimider, fût-ce par celui qui dispose à la fois de la puissance militaire la plus considérable et d’une popularité sans égale dans la foule mondialisée, le président des Etats-Unis Barack Obama.

Ils tirent la sonnette d’alarme devant ce qu’ils considèrent comme un désengagement des Etats-Unis de l’Europe centrale et orientale au profit de la recherche d’un accord global avec la Russie de Poutine et Medvedev, notamment sur la réduction des arsenaux nucléaires.

En terme choisis, ils reprochent à Obama de se faire balader par des Russes qui, écrivent-ils, « mènent une politique extérieure comme une puissance du XIXe siècle avec les méthodes du XXIe siècle », cherchant à étendre leur zone d’influence par toutes sortes de moyens, y compris les plus technologiquement sophistiqués, comme la piraterie informatique.

Ils s’inquiètent également de la passivité de cette OTAN à laquelle ils ont adhéré avec enthousiasme devant les agressions militaires ou économiques de pays qui se sont émancipés de la tutelle soviétique et sont sortis de l’orbite russe, comme la Géorgie et l’Ukraine. Ils donnent au passage une petite leçon de kremlinologie moderne à une Administration américaine qui semble avoir oublié les leçons de la Guerre froide, sous prétexte que les Russes ont, pour l’instant renoncé à disputer aux Etats-Unis la suprématie planétaire : « Au niveau mondial, la Russie se comporte, sur la plupart des sujets, comme une puissance soucieuse du maintien du statu quo. Au niveau régional et vis à vis de nos nations, cependant, elle agit comme une puissance révisionniste. Elle conteste nos droits à faire nos propres expériences historiques. Elle revendique une position privilégiée quant à la détermination de nos choix en matière de sécurité. Elle fait usage de tous les moyens, licites et illicites de guerre économique – blocus énergétique, investissements politiquement ciblés, corruption et manipulation des medias – pour faire prévaloir ses intérêts et faire obstacle à l’intégration atlantique de l’Europe centrale et orientale. »

Par ailleurs, ils constatent dans leurs pays respectifs, une désaffection croissante à l’égard des Etats-Unis, et un repli vers des positions nationalistes, voire fascisantes et antisémites dont on a pu voir les effets électoraux lors du dernier scrutin européen.

Il serait pour le moins réducteur de ne voir dans cette lettre qu’un combat d’arrière-garde de ceux qui ont soutenu George W. Bush dans ses entreprises les plus hasardeuses. Ses auteurs, qui ont le nez historiquement fin, sentent dans les premiers pas de la diplomatie est-européenne d’Obama, un parfum de Yalta qui ne leur plait pas du tout, et on les comprend.

Ils le jugeront sur son attitude dans deux dossiers qui leur tiennent particulièrement à cœur : la mise en place, en Pologne et en République Tchèque du système antimissile projeté par l’administration précédente, et le soutien des Etats Unis aux projets de gazoducs permettant d’éviter d’être soumis au chantage énergétique de Moscou.

Enfin, il y a des petites vexations qui sont irritantes lorsqu’elles sont infligées à des gens réputés amis, notamment sur la question des visas. Ainsi, nos épistoliers s’étonnent que Lech Walesa, comme tous les Polonais, soit contraint à demander un visa pour se rendre aux Etats-Unis, alors que notre José Bové national peut, lui, se présenter quand il veut où il veut aux agents US de l’immigration muni de sa moustache et de son seul passeport.

Certes, il existe dans le monde d’autres injustices plus dommageables, mais comme dirait Boris Vian, c’est « en protestant qu’on peut finir par obtenir des ménagements ».



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