Nous n’en sommes, au moment où nous écrivons ces lignes, qu’à la bande-annonce, mais la bataille de Mossoul, à l’issue de laquelle les forces du Bien devraient écraser celles du Mal, retranchées dans la deuxième ville d’Irak depuis plus de deux ans, promet un spectacle exceptionnel, qui hissera son principal interprète, le président des Etats-Unis, Barack Obama, au rang de star planétaire juste avant qu’il quitte la Maison blanche. Tel est, en tout cas, l’objectif d’une opération de communication d’ampleur inégalée orchestrée par Washington à la veille de l’assaut final sur Mossoul.
Le premier président noir de la plus grande puissance planétaire pourra alors quitter les avant-postes de la scène politique mondiale sous les acclamations, après avoir défait les barbares de Daesh dans le lieu même où il avait subi, durant l’été 2014, la pire humiliation. Ses alliés du gouvernement de Bagdad, dont les troupes étaient formées, conseillées et encadrées par des militaires US avaient détalé comme des lapins, abandonnant à quelques milliers de djihadistes de Daesh une ville de deux millions d’habitants et sa région, la province de Ninive. Ces derniers s’emparaient alors de l’armement lourd (chars, canons, munitions de toute nature), du trésor estimé à 200 millions de dollars entreposés dans la succursale de Mossoul de la banque nationale d’Irak. Dans les mois et les années qui suivent, Daesh ponctionne à son profit l’essentiel des richesses des territoires conquis, qui alimentent des trafics de toute nature : le pétrole, abondant dans la région, qui transite par camions citernes vers la Turquie alors complice, le coton, les antiquités et même les salaires des fonctionnaires toujours versés par le gouvernement de Bagdad. Les membres des minorités non sunnites (chrétiens, yézidis) sont sommées soit de se convertir, soit de payer un lourd tribut, et sont massacrés ou réduits en esclavage s’ils résistent.
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Ces ressources permettent l’expansion de Daesh vers la Syrie, et l’existence d’un proto-Etat avec une base territoriale, préfiguration d’un Califat mondial, objectif ultime du Djihad, modèle sunnite.
Cela signifie-t-il que la chute de Mossoul serait aujourd’hui le Waterloo de Daesh et de son chef Abu Bakr Al Baghdadi, provoquant inéluctablement la déroute générale de l’organisation terroriste la plus effrayante et efficace de l’histoire contemporaine ? La plupart des experts militaires et géopolitiques sérieux en doutent fortement, quelle que soit leur sensibilité politique. Mossoul, vache à lait de Daesh, c’est quasiment terminé depuis que les Turcs de Recep Tayyip Erdogan, pour des raisons de politique intérieure, ont cessé de fermer les yeux sur les trafics du Califat, et donné la priorité à la lutte contre les Kurdes de Syrie, alliés étroits du PKK, les séparatistes kurdes de Turquie. Excentrée par rapport au cœur de l’Etat islamique, située dans la région de Rakka, dans l’est de la Syrie, Mossoul exige, pour être défendue, la préservation de longues routes d’approvisionnement, mobilisant de nombreux combattants. Au nord, à l’est, et au sud, l’expansion du territoire des djihadistes est bloquée par ses ennemis mortels, les Kurdes de la région autonome d’Erbil, les chiites au pouvoir à Bagdad, qui ont « nettoyé » les bastions sunnites de Daesh de Falloujah et de Samara proches de la capitale, et maintenant les Turcs qui se soucient du devenir de l’importante communauté turkmène (Turcs ethniques de nationalité irakienne), dont le nombre est estimé à 450 000 dans la province de Ninive.
La bataille de Mossoul n’est donc pas considérée, d’un point de vue djihadiste, comme la « mère de toutes les batailles », selon l’expression de Saddam Hussein en janvier 1991, lors de la première guerre du Golfe, mais comme un épisode, désagréable certes, mais loin d’être décisif dans sa lutte contre « les Juifs et les Croisés ». Les « martyrs » de Mossoul engendreront alors encore plus de haine des susdits, donc plus de vocations à rejoindre leur combat. On fera en sorte, en prenant les civils comme boucliers humains, qu’ils soient le plus nombreux possibles.
Pour Barack Obama, en revanche, cette victoire annoncée doit être l’apothéose de son double mandat : après avoir éliminé physiquement le diable d’hier, Oussama Ben Laden, il aurait porté le coup fatal aux démons d’aujourd’hui. Il lui faut donc faire passer des vessies pour des lanternes, et une péripétie dans un conflit qui est loin d’être fini pour une page glorieuse de l’histoire des Etats-Unis.
Alors, on ne lésine pas sur les moyens, et le storytelling bat son plein, orchestré par Ben Rhodes, le « conseiller en communication stratégique de la Maison Blanche, qualifié par le New York Times de gourou de Barak Obama pour la politique étrangère. Il porte le titre ronflant de « conseiller du président pour la communication stratégique », avec comme seule qualification sa fréquentation durant quelque temps de cours de » creative writing » à l’Université de New York (NYU). N’ayant pas reçu le succès escompté dans le monde des lettres, il atterrit dans un bureau sans fenêtres du sous-sol de la Maison blanche où il écrit le roman de la présidence Obama. Il veut faire du chapitre » bataille de Mossoul » le point d’orgue de sa narration, à la manière d’un Horace Vernet, ce peintre pompier qui illustra pour les générations futures la prise de la smala d’Abd el Kader par le duc d’Aumale le 16 mai 1843. Les correspondants de guerre de la planète entière sont invités dans les campements des « bons »: les forces spéciales du régime de Bagdad, l’état major des peshmergas kurdes, sanglés dans leurs uniformes impeccables. Le casting des interlocuteurs de ces hommes et femmes au gilet à poches et au chèche roulé autour du cou est minutieusement choisi, du général au deuxième classe. De brave gars prêts à se sacrifier pour libérer leur pays et le reste du monde de la peste djihadiste. Un tour de zapping sur les chaines mondiales d’information nous les rend bientôt familiers, on finit par les appeler par leur prénom, vu qu’ils passent en boucle dans tous les JT en toutes les langues. Le décor est choisi pour faire de belles images: de l’angoissante plaine de Ninive, sèche et désolée jusqu’au tunnel prétendument conquis par les bons, où les mauvais se terraient comme des rats pour éviter le feu du ciel, on donne au téléspectateur ébaubi un lot d’émotions qui rappellent aux plus ancien celles éprouvées il y a bien longtemps, lors de la sortie en salle de Lawrence d’Arabie. En catégorie » littérature » cela donne des morceaux de bravoure, comme celui rédigé par l’envoyée spéciale du » Monde » dans cette antichambre de l’enfer, dont on ne résiste pas à citer un extrait, le reste étant à l’avenant: « Assis sur un bout d’escalier, le regard dans le vague, le sergent Haider Fakhri, grand gaillard de 36 ans et moustache taillée, comme tous ses camarades, a le blues. Il montre les photos de ses trois enfants. « On ne s’appelle pas beaucoup, juste trois-quatre fois par jour. C’est difficile d’être loin d’eux, de les savoir angoissés pour moi », dit-il. Certaines familles n’arrivent pas à s’y faire. Le jeune Abbas, 24 ans, doit composer avec les pressions quotidiennes de sa femme et de ses parents : ils voudraient qu’il quitte l’unité. Mais rares sont les membres de cette division d’élite qui renoncent. Ils disent être prêts à mourir pour la patrie et, fatalistes, ils s’en remettent à Dieu. Au fond, c’est dans le cocon de l’unité qu’ils se sentent le mieux. Il leur manque même lorsqu’ils rentrent chez eux en permission ou entre deux batailles. ». La guerre «embedded » avec le gentil sous-off au cœur partagé entre sa famille et ses camarades de section, c’est beau comme l’antique ! Il faut pourtant un œil exercé pour apercevoir, sur les images aimablement fournies par les services de Ben Rhodes, les drapeaux à l’effigie de l’imam Hussein, le premier des martyrs chiites, hissés sur les chars de l’armée, ce qui indique l’orientation religieuse de la majorité des forces spéciales engagées sur le front de Mossoul. Avec comme état d’esprit celui des hommes de Simon de Montfort engagés dans croisade contre les Albigeois « Tuez les tous, Dieu reconnaitra les siens ! ». Lorsque ce moment sera venu, dans quelques semaines, dans quelques mois, les sunlights du Barack Obama ultimate show auront été éteints, et les valeureux journalistes renvoyés dans leurs foyers.
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