L’idée commence doucement à faire son chemin dans les têtes des obamaniaques de tous les pays : le métis de Chicago n’a pas été élu président du monde, mais installé pour quatre ans par les électeurs des Etats-Unis dans une fonction qu’eux seuls peuvent décider de prolonger pour un nouveau bail.
Toute l’action du nouveau président, à l’intérieur comme à l’extérieur, va donc être orientée vers un seul objectif : créer les meilleures conditions pour sa réélection en 2012. La réponse aux attentes de ses admirateurs à travers le monde, variées et parfois contradictoires, n’est pas son principal souci, et nos obamaniaques de novembre risquent fort de devenir des barackodéçus une fois les beaux jours revenus.
Barack Obama sait fort bien ce que son élection doit à la crise financière, puis économique, qui a éclaté lors de la campagne pour la présidentielle de 2008. La demande de sécurité du peuple américain n’est plus, aujourd’hui, liée à la crainte d’une attaque terroriste, mais à celle d’une panne durable de l’économie mettant à mal ce rêve américain incarné, justement par Barack Obama.
Signalons, en passant, que l’effacement, dans les consciences de la menace terroriste est à mettre, au moins partiellement, au crédit de l’administration Bush qui a fait en sorte qu’aucun attentat d’envergure ne se produise sur le sol des Etats-Unis depuis 2001.
Cela a été possible, quoiqu’en disent les détracteurs systématiques de l’ancien président, en préservant l’essentiel des libertés publiques garanties par la Constitution, et surtout en mettant en place sur le territoire des Etats-Unis des moyens de défense anti-terroriste type plan Vigipirate, dont le pays était jusque-là dépourvu. Une fois éliminé l’injustifiable Guantanamo, ce dispositif reste en vigueur, et semble raisonnablement efficace.
Une politique extérieure anti-crise est avant tout pragmatique. Il ne s’agit plus de rendre le monde meilleur, plus démocratique et moins brutal, mais de créer les conditions susceptibles de redonner confiance au marché, c’est à dire à vous et moi, consommateurs et producteurs mondialisés.
Et s’il y a bien une chose dont le marché a horreur, c’est l’instabilité politique, une marche erratique des affaires d’un monde où plus personne n’a les moyens ou le courage de mettre de l’ordre.
Le premier souci diplomatique du nouveau président a donc été de garantir aux dirigeants chinois que les Etats-Unis ne se mêleraient pas de leurs histoires internes, genre Tibet ou Sinkiang, pour autant que la Chine continue à financer le déficit commercial américain par des achats massifs de bons du trésor US. Ce fut fait lors du voyage à Pékin d’Hillary Clinton en février 2009.
C’est également à la lumière de cette priorité des priorités, le rétablissement de l’économie des Etats-Unis qu’il faut analyser l’attitude de l’administration Obama dans sa gestion des deux conflits armés hérités de son prédécesseur, l’Irak et l’Afghanistan. Contrairement à une idée largement répandue, l’arrêt de ces opérations et le transfert des sommes et des hommes qu’elles mobilisent vers des activités civiles n’est pas un remède anti-crise radical. C’est même l’inverse: plus que les grands travaux de la première phase du new-deal de Franklin D. Roosevelt, c’est l’économie de guerre qui a produit la formidable prospérité et la puissance des Etats-Unis au lendemain de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, il est un plan de relance silencieux, dont personne ne parle, mais qui fonctionne à plein : c’est le maintien, voire l’augmentation, des budgets militaires qui « tire » des pans entiers de l’économie – aéronautique, systèmes avancés, informatique – sans risquer d’accroître le déficit extérieur. Pour l’essentiel, en effet, ces industries ne sont pas délocalisables. C’est pourquoi Barack Obama se hâte lentement dans son programme de retrait des troupes d’Irak, faisant passer de seiez à dix-neuf mois le calendrier de ce retrait par rapport à ses promesses électorales, et encore, en se réservant de modifier ce calendrier en fonction de la situation sur le terrain. Il reste fidèle, en revanche, à son discours de campagne en augmentant la présence des GI en Afghanistan. Au total, c’est un maintien, sinon un accroissement de l’engagement militaire extérieur américain et du périmètre de l’armée, qui résulte, pour l’instant du changement d’administration à Washington.
Le discours, en revanche, a notablement changé: l’axe du mal n’existe plus dans le langage produit à la Maison Blanche, et l’heure est aux propositions de dialogue tous azimuts: avec les Iraniens dans l’adresse télévisée d’Obama au peuple et aux dirigeants persans à l’occasion de leur nouvel an, avec les Russes à qui on fait miroiter l’abandon de système de défense anti-missiles si Moscou coopère pour empêcher l’accès de Téhéran à l’arme nucléaire, au monde arabo-musulman en général auquel le nouveau président tend la main alors que Bush leur tendait le poing.
C’est donc l’option « good cop » qui semble s’imposer, le bon flic espérant amener par la douceur et la persuasion le mauvais sujet à avouer ses fautes et s’amender, relayant le « bad cop » aux méthodes musclées.
Barack Obama n’est pourtant ni un naïf, ni un idéaliste: il sait fort bien que cette attitude peut produire l’inverse des effets attendus. Soit l’Iran est rationnel, comme le proclament certains analystes américains et européens, et saisira la perche tendue par Washington, soit il reste sous l’emprise d’une idéologie islamiste radicale, et considèrera la nouvelle attitude des Etats-Unis comme une victoire lui permettant de poursuivre son objectif hégémonique régional. La réponse pourrait sortir très rapidement des urnes, lors de l’élection présidentielle du 12 juin 2009. La reconduction de Mahmoud Ahmadinejad marquerait l’échec de cette stratégie. La présence d’Obama en Turquie début avril, à l’occasion du « forum de l’Alliance des civilisations », un bidule mis en place par l’ONU pour faire pièce aux prophéties de feu Samuel Huntington, est également conçue comme un message à l’ensemble du monde arabo-musulman: on peut être de bons musulmans comme Erdogan et ses amis de l’AKP, et entretenir des relations diplomatiques et commerciales avec Israël, avoir des perspectives économiques prometteuses et des bonnes relations avec les Etats-Unis.
Il ne s’agit pas d’un appeasement au sens classique, et dépréciateur, que le terme évoque depuis Munich 1938, mais de l’essai d’une méthode « soft » pour tenter de maintenir le minimum de stabilité sur la planète en attendant que la crise économique s’éloigne. On désigne le bon élève comme modèle à imiter par les cancres et les voyous, une méthode, qui, en matière éducative ne marche pas à tout les coups, mais vaut tout de même la peine d’être tentée.
La règle dans ce genre de situation est de ne pas tenter d’apporter des solutions à des conflits lorsque les chances qu’elles puissent être mises en œuvre ne sont pas optimales. Une situation bloquée, par exemple dans le conflit israélo-arabe, est préférable à la mise en mouvement incontrôlable d’une région, ou d’une sous-région. Tant que le conflit intra-palestinien n’est pas réglé, et il n’est pas près de l’être, il est inutile est même dangereux de se presser d’aboutir aux « deux Etats pour deux peuples ». C’est pourquoi on ne peut constater aucun activisme réel de l’administration Obama dans ce dossier, qui n’est géré que par signaux lancés aux uns et aux autres: de l’argent pour Gaza d’un côté, mais donné à Mahmoud Abbas, les gros yeux à Israël pour quelques immeubles détruits à Jérusalem-est, mais l’assurance donnée au chef d’état-major de Tsahal, Gabi Askenazi, que l’option militaire en cas d’accès de Téhéran à l’arme nucléaire était toujours sur la table…
À la différence de George W. Bush, l’Administration Obama n’est pas peuplée par les partisans d’une conception unique – et messianique – de la politique extérieure des Etats-Unis. Les tyrans peuvent donc dormir tranquille, à l’exception du despote soudanais Omar El Bechir, auquel est dévolu le rôle de bad guy, parce qu’il en faut toujours sur la scène internationale. Mais même celui-là, il n’est pas du tout certain qu’on ira le chercher manu militari pour le transférer à La Haye.
Obama place, ou tente de placer des « progressistes » (lire capitulards) tendance Jimmy Carter à des poste importants du Conseil national de sécurité, comme l’ex-journaliste Samantha Power ou l’ambassadeur Charles « Chas » Freeman, lequel a été contraint de se retirer en raison de ses prises de positions violemment anti-israéliennes. Mais il nomme également Dennis Ross, ancien négociateur de Bill Clinton pour le processus de paix israélo-arabe et proche de la communauté juive américaine, à un poste d’envoyé spécial pour les questions du Golfe et de l’Iran. Il fera son marché dans les propositions des uns ou des autres, en fonction de son analyse de ce qui est bon pour Obama, donc pour l’Amérique.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !