En considérant la tournée quasi-impériale que Barack Obama vient de faire en Europe, comment n’aurait-on pas du mal à comprendre les critiques des conservateurs américains à l’encontre de ce président qu’ils tiennent pour responsable de l’affaiblissement de la puissance américaine ? Impériale, la tournée européenne du président en avait l’allure : venu à Londres dire son hostilité au Brexit, à Berlin plaider en faveur de l’approbation du Tafta et féliciter Merkel pour son large accueil des migrants, il a, à chaque fois, parlé en maître. On note au passage que l’étape de Paris ne lui a pas parue nécessaire : la France de Hollande ne compte plus, elle est à la botte.
C’est la première fois d’ailleurs que l’actuel président semble s’intéresser autant à l’Europe. Etrange Obama : métis aux allures de patricien qui n’a pas un seul ancêtre esclave[1. Obama descend par son père d’une lignée de chefs est-africains et par sa mère de l’aristocratie sudiste.], descendant par sa mère de Jefferson Davis, président de la Confédération sudiste durant la guerre de Sécession, de Saint Louis et de Guillaume le conquérant[2. http://www.capedia.fr/], il a semblé longtemps donner la priorité au Pacifique, où il a passé sa jeunesse. L’Amérique commencerait-elle à s’inquiéter de la dislocation possible de l’Europe ?
Pourtant que de griefs chez les conservateurs ! Obama aurait présidé à l’affaiblissement des Etats-Unis, voire l’aurait souhaité, il serait secrètement musulman et par là ennemi de son propre pays. Sa politique étrangère est en tous les cas bien difficile à suivre. Il a certes fait la paix avec Cuba dont l’importance stratégique n’est cependant plus ce qu’elle était. Plus décisif : l’accord de Washington avec l’Iran (14 juillet 2015) qui fait hurler Israël. Obama a évacué l’Irak comme il l’avait promis mais pas pour y ramener la paix. Il continue à bombarder l’Afghanistan même s’il y a réduit les effectifs. Il n’a pas non plus, contrairement à ses promesses, fermé la prison de Guantanamo. Ses ennemis conservateurs mettent ces avancées au compte de sa qualité de Prix Nobel de la paix, supposé colombe. Ses soutiens de gauche aussi d’ailleurs.
Un maître de l’ambiguïté
Pourtant que d’entreprises douteuses chez ce maître de l’ambiguïté ! A bien le considérer, son passif est lourd : c’est bien le gouvernement Obama qui a présidé, avec la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, aux printemps arabes dont nous savons aujourd’hui combien ils ont été manipulés et comment ils ont mal tourné et à la destruction de la Libye, qui a tenté celle de la Syrie en soutenant les rebelles djihadistes (prétendus démocrates) qui combattaient le président Assad, et qui a de manière occulte aidé à la constitution de Daech au Nord de l’Irak et dans l’Est de la Syrie, tout en soutenant les Kurdes. Alimentant les guerres qui sont à leur origine, il a encouragé les migrations de réfugiés vers l’Europe.
Le monde est passé très près de la guerre en août 2013 quand des armes chimiques ont été utilisées dans la banlieue de Damas. Les Etats-Unis étaient prêts à bombarder la Syrie quand Obama a reculé, acceptant la médiation de Poutine. Est-ce le président qui a sauvé la paix ou, comme on le dit aussi, l’état-major qui l’a dissuadé d’attaquer, sachant la capacité de riposte russe ? Il ne pouvait en tous les cas ignorer ce que tout le monde sait aujourd’hui : qu’il s’agissait d’un coup monté par les rebelles[3. Deux études indépendantes vont dans ce sens : https://www.rt.com/news/study-challenges-syria-chemical-attack-681/ et http://www.comite-valmy.org/spip.php?article6837].
Plus grave : la présidence Obama coïncide avec la montée des périls en Europe de l’Est. Les événements de la place Maïdan à Kiev (22 février 2014) furent en réalité, selon l’expression de Valéry Giscard d’Estaing, un « coup d’Etat de la CIA » contre un président, Viktor Ianoukovitch, régulièrement élu mais qui avait le défaut d’être pro-russe au bénéfice d’un pouvoir insurrectionnel pro-américain. La guerre qui a éclaté immédiatement dans l’Est de l’Ukraine et la tension qui y demeure forte en sont les conséquences. Nul doute que cette opération n’aurait pas pu être conduite sans le feu vert du Prix Nobel de la paix. L’accord avec l’Iran, qui passe pour une œuvre de paix, n’a-t-il pas aussi pour but principal d’encercler la Russie ?
Même si le remplacement en 2013 d’Hillary Clinton par John Kerry, beaucoup moins belliciste, a permis un certain apaisement, l’OTAN a décidé début 2016, d’augmenter sensiblement sa présence militaire en Europe de l’Est. Et tout en appelant à une large coalition contre Daech, le président Obama poursuit en sous-main la fourniture d’armes sinon à Daech, qu’il avait aidé à ses débuts, du moins à d’autres mouvements djihadistes, avec la volonté délibérée de ne pas permettre aux Russes de parvenir à une victoire totale, seul moyen de rétablir la paix dans ce malheureux pays.
La méthode qui consiste à dresser chaque semaine une liste de personnes à exécuter sans procès aux quatre coins du monde – Ben Laden ayant été la victime la plus spectaculaire – est devenue d’usage courant à la Maison Blanche sous Obama.
L’Amérique paye le prix de ses équivoques
Les conservateurs ont cependant raison de dénoncer une perte de prestige des Etats-Unis, au Proche-Orient et dans le monde. Mais cette perte de prestige n’est-elle pas due précisément à ces méthodes qu’il faut bien appeler hypocrites ?
L’Amérique d’Obama joue sur presque tous les fronts un double jeu : elle appelle le monde musulman à la démocratie et soutient les Frères musulmans, elle organise des coalitions contre le djihadisme et l’arme en secret, elle s’entend avec l’Iran tout en prétendant continuer de soutenir Israël et l’Arabie saoudite, elle soutient les Turcs et les Kurdes, elle s’entend directement avec Moscou tout en soufflant sur les braises, ô combien dangereuses, de Europe de l’Est, elle pousse les Européens à sanctionner les Russes tout en développant son commerce avec eux .
On dit que la faiblesse d’Obama a ouvert les portes du Proche-Orient à Poutine. Mais n’est-ce pas plutôt ce double jeu qui, en faisant du Proche-Orient un vaste brasier, a rendu nécessaire l’intervention d’une puissance tierce dont beaucoup attendent qu’elle ramène la paix sur la seule base réaliste : la victoire unilatérale sur les islamistes et donc le maintien d’Assad ? Les Russes ont-ils fait autre chose que de prendre au mot, presque seuls, l’appel l’Obama à une coalition contre Daech en août 2015 pour revenir en toute légalité sur la scène du Proche-Orient.
Un Empire a beaucoup d’inconvénients pour les peuples épris de liberté mais, à tout le moins, attend-t-on de lui qu’il préserve la paix : pax romana jadis, pax americana hier. C’est là sa légitimité. Pour cela, l’Empire doit parler haut et clair, style Trump si l’on veut. Avec l’Amérique d’Obama, on est loin du compte.
N’excluons certes pas que les contractions apparentes de la politique américaine soient dues à des tirages entre ses services : la rumeur d’actions divergentes sur le terrain entre l’US Army d’un côté, la CIA de l’autre, dans le Nord de l’Irak n’est peut-être pas infondée. Ce serait dès lors, non le double jeu mais une authentique faiblesse de l’exécutif qu’il faudrait mettre en cause.
Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : à l’encontre des schémas simplistes qui opposent sommairement faucons et colombes, Barack Obama a montré que par la combinaison de ce qui est peut-être en effet une faiblesse et sûrement d’un double jeu presque systématique, une politique trop sophistiquée pouvait constituer une véritable menace pour la paix.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !