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«Numéro deux»: ils sont passés à côté du rôle de leur vie

« Numéro deux » de David Foenkinos (Gallimard, 2022)


«Numéro deux»: ils sont passés à côté du rôle de leur vie
Les jeunes acteurs Rupert Grint, Daniel Radcliffe et Emma Watson avec derrière eux l'écrivain JK Rowling, Londres, 2001 © WILLIAM CONRAN/AP/SIPA

En 1999 un casting est organisé en Angleterre pour trouver le jeune garçon qui va interpréter le rôle du jeune Harry Potter. On ne sait pas alors que ce sera un succès mondial phénoménal. Des centaines d’acteurs furent auditionnés. Finalement, il n’en resta plus que deux. Le dernier roman de David Foenkinos raconte l’histoire de celui qui n’a pas été choisi…


David Foenkinos s’était penché sur le destin de manuscrits rejetés, stockés par un bibliothécaire dans le fin fond du Finistère, dans Le Mystère Henri Pick, livre adapté au cinéma en 2019, avec Fabrice Luchini dans un rôle à mi-chemin entre Bernard Pivot et François Busnel. Dans Numéro deux (Gallimard)roman sorti en janvier, l’auteur s’est intéressé cette fois-ci au sort du jeune garçon qui a failli devenir Harry Potter dans la saga cinématographique. 

Si le personnage de Martin Hill a été dans une large mesure inventé (jusqu’à son nom), il a bien existé un jeune Anglais passé d’un cheveu à côté du rôle, à la fin des années 90. 

Dans Match Point, Woody Allen avait utilisé la métaphore de la balle de tennis qui tape la ligne blanche sur le dessus du filet et qui met de longs millièmes de seconde à se décider de quel côté du court tomber. Le personnage principal du film, grâce à quelques coups de chance, parvenait à dissimuler le meurtre de sa maitresse et pouvait reprendre son existence bourgeoise dans les faubourgs de Londres. Numéro deux est aussi un livre sur le hasard ; mais plutôt dans sa version qui fait mal les choses. 

Le petit quelque chose en plus

Jeune franco-britannique, Martin Hill a tout juste dix ans dans l’Angleterre de la fin des années 90. Dans l’ombre de Tony Blair et des Spice Girls, couve un succès littéraire mondial. Pour l’instant, Harry Potter n’est pas encore Harry Potter. Pour l’auteure, J.K. Rowling, la balle de tennis finit par rebondir du bon côté du court après douze refus d’éditeurs. Le livre attire l’attention de l’assistante d’un jeune producteur de cinéma londonien. Peu décidé à lire cette histoire d’orphelin volant sur un balai magique, celui-ci finit par se laisser happer par le texte et se résout à l’adapter au cinéma. Bientôt, un casting voit défiler tout ce que la perfide Albion compte de gringalets à lunettes rondes. Seuls deux candidats ont vraiment retenu l’attention : Daniel Radcliffe et Martin Hill, fils d’un inventeur sans inspiration et qui traînait sur les plateaux de cinéma avec son père accessoiriste. Il n’y a pas la ligne droite de Longchamp qui sépare les deux jeunes aspirants acteurs mais d’un rien, pour un « petit quelque chose en plus », le destin va mobiliser Daniel Radcliffe pendant une bonne décennie de tournages, tandis que Martin Hill n’aura plus qu’à trainer son amertume entre deux trains entre Londres et Paris, où sa mère est partie s’installer. 

A la sortie du bureau du producteur, l’amertume du jeune Martin Hill n’est donc pas modeste. Harry Potter aurait pu être la sympathique réussite d’une rentrée littéraire, et un joli succès de cinéma. Malheureusement pour le jeune garçon, la saga va devenir le phénomène planétaire de toute la décennie suivante. En ces années 2000, le globe entier est devenu déraisonnable et on est assuré de rencontrer une image, un logo du jeune sorcier anglais à toutes les intersections de l’infini. Martin Hill va développer une sorte de phobie sociale, redoutant de croiser son alter ego de papier, se repliant sur lui, tombant malade à chaque sortie d’ouvrage ou de film. Parti vivre chez sa mère en France après le décès de son père, le répit est de courte durée avant que la déferlante ne gagne ce côté de la Manche. Pas évident d’éviter le personnage de J.K. Rowling, bientôt présent partout, depuis les colonnes Morris jusqu’aux tubes de dentifrice Colgate. Il n’y a que quelques jours de vacances au Groenland, au milieu de l’immensité blanche, avec la certitude de n’y croiser personne, qui offrent un appréciable répit à l’adolescent. Si, propose David Foenkinos, « la vie humaine ne se résume peut-être qu’à ça, une incessante expérimentation de la désillusion, pour aboutir avec plus ou moins de succès à une gestion des douleurs », pour Martin Hill, les choses ne vont guère s’arranger, entamant deux décennies dépressives et solitaires. Le lecteur de Numéro deux se laisse entraîner dans la dépression du jeune garçon, qui succède au désenchantement placide de son père après le départ de son épouse : « Qui était Harry Potter, en revanche, John n’en avait pas la moindre idée. Depuis que Jeanne était partie, il ne suivait plus les informations. Il était complètement passé à côté du phénomène. C’était sa femme qui, auparavant, faisait infuser le réel dans la famille. À présent, il n’y avait plus de raisons de prêter attention à l’actualité. Il arrivait même à John d’imaginer que son esprit était resté bloqué en 1992 ou 1993, coincé quelque part entre deux jours heureux ».

Quelques losers magnifiques à travers les âges

Peu d’idées folles ne passent pas par la tête du malheureux héros de ce livre. Pas même l’idée de tuer l’autre, histoire de lui prendre sa place ! Dans Rosemary’s Baby, Guy Woodhouse accepte de passer un pacte avec ses sorciers de voisins (tiens, encore des sorciers) pour récupérer une place d’acteur, à condition que son épouse se fasse mettre en cloque par le diable lui-même. Faute de voisins sorciers, Martin Hill n’ira pas jusque-là. 

David Foenkinos évoque aussi quelques destins parallèles à Martin Hill. Celui du doubleur de David Radcliffe, victime d’un accident de quidditch (discipline évoquée ici par le camarade Martin Pimentel), et resté tétraplégique depuis. Comme quoi, il y a peut-être d’autres numéros deux de David Radcliffe encore plus mal lotis… Celui aussi de Pete Best, le cinquième Beatles, qui avait quitté le groupe quelques semaines avant que celui-ci ne connaisse le succès, et a été ensuite regardé par chaque passant de Liverpool comme le loser magnifique de la ville. On repensera aussi en lisant Numéro deux aux six de mai 1998, ces six joueurs de l’équipe de France écartés à la veille de la Coupe du monde, alors que le pays s’apprêtait à vivre un fol été de football. Cet épisode avait été raconté par Karim Nedjari dans La Nuit des Maudits. Hormis le plus jeune, Nicolas Anelka, dont Martin Hill est fan, aucun d’entre eux ne retrouva vraiment l’équipe de France, certains prétextant des blessures pour ne pas avoir à retourner dans le château de Clairefontaine, qui vaut bien celui de Poudlard.

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Professeur démissionnaire de l'Education nationale

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