Nuit debout: misère du gauchisme politique


Nuit debout: misère du gauchisme politique
Un homme jongle place de la République à Paris (Photo : SIPA.AP21881109_000001)
Un homme jongle place de la République à Paris (Photo : SIPA.AP21881109_000001)

J’aurais bien aimé pouvoir dire du bien de Nuit debout, contredire la patronne, renvoyer Marc Cohen et ses lazzis dans les buts, moquer les bourgeois effarouchés par le retour des partageux, eh bien, ce sera pour une autre fois.

C’était bien parti, pourtant. Un pouvoir au bord de l’effondrement, ayant fait la démonstration peut-être définitive de l’impasse dans laquelle il avait emmené les couches populaires qui lui avaient fait confiance en 2012, une jeunesse ayant pris conscience de tous les horizons bouchés que l’Europe austéritaire lui propose, et enfin une saison adaptée, celle qui rend les balades nocturnes si agréables. Et puis il y avait, le souvenir d’un Mai 68 vécu de près, et au bon âge. Ce serait sympa de remettre ça.

On sait avec Paul Valéry que « quand on dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on ne dit rien. Car les mêmes choses ne se reproduisent jamais — et d’ailleurs on ne peut jamais connaître toutes les causes. » Certes, mais il y en a une que l’on peut quand même identifier comme étant aussi à l’origine de l’impasse politique dans laquelle, ce mouvement s’est engouffré, c’est celle de la dérive gauchiste qui rappelle quand même furieusement celle du Mai 68 étudiant.

J’aime bien Frédéric Lordon, intellectuel brillant, polémiste virtuose dont je pense heureux qu’il ait sa place dans le débat. L’article par lequel il a lancé le mouvement était réjouissant. L’aspect offensif des mots d’ordre, malgré leur caractère un peu utopique, l’ambiance joyeuse qui régnait au début, pouvait faire dresser l’oreille, voire le sourcil. Et puis la réaction du poulailler des chroniqueurs mainstream faisait plaisir. Comme Flaubert, pourtant critique impitoyable des travers bourgeois, prenant le parti des fusilleurs versaillais, ils passèrent vite de la curiosité à l’anathème. C’était plutôt encourageant.

Chemtrails et autres billevesées obscurantistes

Je me suis donc rendu place de la République, malheureusement pour en ressortir accablé. Je suis d’abord passé devant le stand vegan tenus par des militants verdâtres prônant une alimentation à base de racines. Juste à côté, les antispécistes de L-214 qui veulent qu’on soit gentil avec les animaux mêmes si pour cela, il faut être méchant avec les humains. Au stand « agriculture et biodynamie » on expliquait avec Pierre Rhabi que si la terre ne mentait pas, la lune non plus. Et que pour planter une vigne, la tailler, récolter et  faire le vin, il fallait que ce soit à lune montante et en tirant le thème astral du jour. Quand j’ai parlé de terroir, tout le monde s’est marré.

Juste après les militants « antivaccins », je suis tombé sur les « Robin des toits » qui m’ont expliqué que toutes les ondes dans lesquelles nous baignons avec nos appareils donnent le cancer de la tête qui rend idiot. J’ai pensé que pour eux c’était déjà trop tard. Un grand gars maigre m’a dit que si j’avais parfois mal à la gorge, c’était à cause des chemtrails. Tout de commisération devant mon ignorance, il m’a expliqué qu’il s’agissait des traînées laissées par les avions dans le ciel, qui ne sont pas faites de condensation, mais de poison répandu dans le cadre d’un complot mondial. Lorsque je lui ai fait remarquer que les cigarettes sur lesquelles il tirait abondamment avaient peut-être aussi quelque influence sur sa toux, il m’a tourné le dos. Je me suis enfin approché de la commission « féministe » pour être immédiatement refoulé, « réunion non-mixte interdites aux hommes », et apprendre que sur ordre de la cheffe, une certaine Hanane Karimi, toutes les femmes devaient être voilées comme elle en solidarité. Avec l’affirmation suivante : « Le voile ne tue pas, la police oui ! » J’ai commis l’erreur de dire à voix haute, que CRS=SS  peut-être mais qu’à  500 m de là, des partisans du voile avaient massacré 130 innocents et que l’intervention de la police avait permis qu’il n’y en eut pas plus. Ajoutant que depuis la mort de Malik Oussekine il y a trente ans, cette police n’avait, dans la répression des manifestations qu’une mort accidentelle, celle de Rémy Fraisse, à déplorer. J’avais manifestement blasphémé, et j’ai dû m’esquiver rapidement.

Nous avons ici la grosse différence avec le Mai 68 étudiant. Je parle là du mois de mai tel qu’il s’était déroulé et non pas de ses conséquences dont nous vivons encore les suites. Ce qu’à juste titre Michel Clouscard avait qualifié de « 14 juillet des couches moyennes » fut un grand monôme partant dans tous les sens, tout de bavardages et d’affrontements ritualisés avec la police. Mais, le cadre idéologique de cette explosion était beaucoup plus homogène qu’aujourd’hui. Pour différentes raisons, une forme de marxisme vulgaire y était hégémonique. Même si on y entendait parfois des choses délirantes, il était impensable de voir fleurir les billevesées obscurantistes et hétéroclites que je viens de décrire. Et cette différence, n’est guère encourageante.

Et si l’on votait pour savoir s’il faut voter ?

Des similitudes, il y en a aussi, mais elles n’incitent pas non plus à l’optimisme. Le sectarisme, pratiquant l’insulte et l’anathème, n’y est pas très différent, sans qu’il faille y voir la résurrection de je ne sais quel terrifiant robespierrisme. L’amour de la procédure ensuite, dont le respect doit seul permettre d’élaborer les règles aboutissant à des décisions démocratiques chimiquement pures. Il faut donc voter tous les quarts d’heure sur la procédure de la procédure décidant quelle procédure sera utilisée pour adopter la procédure. À quiconque a eu l’occasion de participer aux AG de la Sorbonne et de l’Odéon occupés, cela rappellera les heures fastidieuses passées dans les amphis il y aura bientôt cinquante ans. Il y a aussi la composition sociale du mouvement, où l’on ne trouve que des petits bourgeois blancs, pour certains en voie de déclassement, pour d’autres déjà précarisés, mais petits bourgeois quand même. Comme en 68, ce sont les couches moyennes, les mêmes que celles qui sont rentrées par la suite plus ou moins rapidement à la maison, dont les représentants les plus excités, en général leaders du mouvement, se sont mis ensuite carrément au service de ceux qu’ils prétendaient combattre, l’unique exception d’Alain Krivine ne faisant que confirmer la règle.

Et enfin, la similitude qui nourrit l’échec politique probable de ce mouvement, son virus mortel, c’est l’absence totale des couches populaires. De ces ouvriers et salariés d’exécution des services chassés des grandes villes par la gentrification, précarisés par la désindustrialisation, appauvris par l’austérité, tous ceux qui ont tellement intérêt au changement sont absents. En 1968 il y avait eu deux mois de mai distincts. La classe ouvrière au spectacle de la faiblesse du pouvoir politique face à l’agitation des petits bourgeois s’était engouffrés dans la brèche, bloquant le pays plusieurs semaines d’une grève générale stupéfiante. Le PCF et la CGT pris de court au départ, utilisèrent leur hégémonie politique pour engranger les bénéfices de ce mouvement et s’engager dans la voie d’une alliance avec le Parti socialiste pourtant moribond à ce moment-là. Les deux phénomènes furent parallèles et il n’y eu jamais aucun contact entre les ouvriers et  les étudiants. Tous ceux qui parmi ces derniers tentèrent de nouer ce contact trouvèrent les usines portes closes. Et cette césure, contrairement à ce qu’on pense et à la responsabilité que l’on voulait faire porter au PCF était surtout sociologique. Le mouvement du mai étudiant quant à lui s’enlisa, et se délita, finissant dans la caricature grotesque des « katangais » et la violence gratuite.

La situation est la même aujourd’hui, les couches populaires dont l’horizon est barré, appauvries et frappées par l’insécurité culturelle, font malheureusement un autre pari. Celui du repli et du vote Front national. Les rodomontades de Frédéric Lordon dans les amphithéâtres du centre de la capitale n’y changeront rien.

À une jeune caissière d’un Subway situé à quelques encablures de la place de la République, un participant demandait si elle allait venir à Nuit debout, les sourcils froncés, sa réponse fut très claire : « Où ça ? »

>>> Retrouvez en cliquant ici l’ensemble de nos articles consacrés à Nuit debout.



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