Caroline de Haas n’est pas contente. Car Alain Finkielkraut, écrit-elle dans Le Monde, « en spécialiste de la provocation et de l’invective », armé de son épée d’académicien, a commis l’irréparable samedi soir. Il n’aurait jamais dû se rendre sur l’Esplanade des mosquées, pardon la place de la République, pour « déverser sa haine des autres » et ainsi déclencher une nouvelle Intifada ! Miss de Haas assure qu’« Alain Finkielkraut n’a pas été viré de l’AG de Nuit debout sous les huées » mais à peine visé par les harangues de quatre ou cinq veilleurs tombés dans le panneau de cette « provocation ». L’honnêteté oblige en effet à reconnaître que le philosophe a été chassé aux cris de « fasciste » et sous les crachats. Excusez du peu.
On ne débat pas avec Nosferatu
D’après la ci-devant collaboratrice de Najat Vallaud-Belkacem au ministère du Droit des Femmes, ce « polémiste réactionnaire, vulgaire, aux relents xénophobes » ne mérite pas l’ombre d’une réfutation argumentée. De La Défaite de la pensée à La Seule exactitude, sa critique moderne de la modernité en fait un infréquentable tout juste digne des leçons de maintien de Caroline chérie. On ne débat pas avec Nosferatu sans gousses d’ail ni crucifix… Dommage, on ne saura jamais ce que la garde-chiourme du féminisme pense des pages de L’Identité malheureuse célébrant la patrie de la galanterie et du jeu de l’amour entre les sexes[1. D’ailleurs, qu’inspire à Caroline de Haas les éloges du voile et de la prostitution que prononcent la présidente de la Commission féminisme de Nuit debout ? Une jeune fille issue du Parti des indigènes de la République, contempteur du « philosémitisme d’Etat ».]… Mais foin de palinodies, la pureté idéologique est à ce prix !
S’il y a bien une preuve, pour Caroline de Haas, que la minorité agissante qui a houspillé Finkielkraut ne saurait discréditer l’ensemble du mouvement, c’est que « le patron des socialistes lui-même et une ministre ont tous deux raconté leur déambulation place de la République, sans que personne ne les ait invectivés ». Jean-Christophe Cambadélis a bel et bien pu arpenter la place martyre en toute impunité, malgré son passé chargé à la Mnef, sa réputation de strauss-kahnien impénitent et sa carrière d’apparatchik nourrit au lait du lambertisme. C’est dire si les Nuit debout sont tolérants et ouverts à toutes les sensibilités… de la gauche !
La visite de Cambadélis s’est déroulée sans invectives
Un jeune interpelle Camba : – Tu me prends pas un peu pour un con ?
– Hmmm… tant que ça peut durer !
Blague à part, lorsqu’elle ne stigmatise pas sa présumée camarade de lutte féministe Elisabeth Badinter pour crime d’islamophobie, Caroline de Haas va à République où elle rencontre « de la bienveillance, beaucoup » et même une « envie de faire » intransitive inaccessible au cerveau borné du « réaco-philosophe ». Pour ricaner de l’abolition du capitalisme et de l’extension infinie des droits votée à l’unanimité, il faut avoir la morgue des anciens révolutionnaires. Ainsi, le tweet des Jeunes communistes consécutif à l’expulsion de Finkielkraut (voir ci-dessous) est-il une merveille de style djeune, rendant ici hommage au rappeur bling-bling Booba (auquel on doit l’expression « Okalm »), là au parler verlan de Pierre Laurent.
Seul un scrogneugneu comme le Debord de la maturité aurait à y redire, au prétexte que le contestataire au lexique appauvri « se place ainsi d’entrée de jeu au service de l’ordre établi, alors que son intention subjective a pu être complètement contraire à ce résultat. Il suivra pour l’essentiel le langage du spectacle, car c’est le seul qui lui est familier : celui dans lequel on lui a appris à parler. Il voudra sans doute se montrer ennemi de sa rhétorique ; mais il emploiera sa syntaxe. » (Commentaires sur la société du spectacle, 1988).
Pas de direction pour assurer la bonne direction
Je ne vois guère que Romain Goupil pour enfiler l’habit usé du révolutionnaire revenu de ses illusions, dans une tribune qu’a publiée Le Monde. Non content de railler les bonnes intentions de Nuit debout (« souhaiter la paix », « la fin de l’horreur économique », « la condamnation des violences policières »…), l’ancien militant trotskiste des JCR nous adresse un clin d’œil : plutôt que de chasser Finkielkraut comme un malpropre, ses opposants auraient pu « lui mettre une pancarte de Causeur au cou et le convoquer devant les masses de « merci patron » pour faire un procès édifiant ». Goupil qui « (s)e souvien(t) de mai 68 » ne retrouve aucune des « utopies pacificatrices et sanglantes de sa jeunesse » dans les indignés de la République, sinon le désir de certitude et d’entre-soi commun à tous les soviets. L’habitué des AG piétine le dogme de l’horizontalité pure de Nuit debout, mouvement présumé spontané et acéphale : « Je veux bien continuer à faire semblant de croire qu’il n’y a pas de « direction du mouvement » mais je sais pertinemment par vieille expérience que c’est faux et manipulatoire. La direction est contre « toute direction » pour mieux conserver la « bonne direction« ».
Mais je ne laisserai pas le dernier mot aux sociaux-traîtres. Une élue régionale issue de la gauche mouvementiste balaie les critiques réactionnaires de Nuit debout et certifie que le niveau monte. Certes, nos déclassés en révolte n’ont lu ni Debord, ni Vaneigem, ni Khayati, mais « Frédéric Lordon vaut bien Althusser », argue la péronnelle. Plût au dieu des féministes qu’il ne joue pas au caïman avec sa compagne !
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