Ayé ! J’y suis allé !
Je sortais d’un spectacle qu’au passage je vous recommande (Nadia Roz ; une énergie et une force comique comme je n’en avais pas vu depuis longtemps) et, me trouvant à deux pas de la place de la République, je me suis dit que je ne pouvais manquer cet événement tellement sympathique dès lors qu’on se fie au Monde ou à Libé.
N’ayant pas le tort d’être un néoréactionnaire académicien français, c’est le cœur léger que je m’avançai sur la place.
Tout de suite après les merguez, j’entrai déjà dans le vif du sujet : la commission médias s’exprime devant l’assemblée générale, réclamant qu’on aille plus loin, plus fort dans la démocratie directe. Elle demande que le mandat qui lui est confié soit « impératif » de façon à trancher avec la politique Jurassic Park (?). À ma grande honte, j’avoue ne pas savoir ce qu’est un mandat impératif.
C’est pourquoi, pendant que l’on vote, je consulte subrepticement ce suppôt de la finance internationale qu’est Google, grâce à qui j’apprends que le « mandatement impératif » est un principe politique, lié à un mode de fonctionnement au niveau organisationnel (une autre méthode élective), qui part de besoins définis par un organisme ou un groupe exerçant ce principe, pour ensuite déléguer, si nécessaire, à un ou plusieurs individus (extérieurs ou internes au groupe) une action définie dans la durée et dans la tâche. Il peut y avoir un rapport demandé au mandataire afin que les mandants soient en lien direct avec le mandat posé, et suivent ainsi la réalité et l’efficacité du mandat.
Le fondement théorique en serait Jean-Jacques Rousseau, qui, dans Du contrat social, se montre critique de la démocratie représentative et préconise une démocratie directe utilisant le mandat impératif. « La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point. […] Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. »
Le temps de me cultiver, le vote est terminé. Et unanime : la commission médias chargée de faire des communiqués de presse ne les écrira plus que sur mandat impératif. C’est-à-dire, si j’ai bien compris ce que je viens de lire, que la docte assemblée va dicter à ses « représentants » le texte qu’ils devront communiquer à la presse. C’est le moment que choisit mon voisin pour rabrouer son voisin qui écrasait son sac, au motif que « vas-y, mets tes pompes ailleurs, c’est le sac à ma mère, elle y tient de ouf ». Je sens qu’un vent de fraîcheur va souffler à l’AFP.
Dopée par ce triomphe électoral, la représentante de la commission vient exposer le prochain mandat impératif qu’elle voudrait maintenant obtenir de l’assemblée : « Les médias font pression sur nous pour avoir une réaction sur les violences… » J’aurais aimé connaître quels moyens de tortionnaires employaient les médias pour faire pression, mais par pudeur, la représentante s’abstient de les décrire.
Elle propose donc d’écrire un communiqué pour dire que « Nuit debout dénonce la pression des médias pour obtenir une réaction sur les violences, alors que les violences c’est celle de l’exploitation capitaliste ». Un vent de fraîcheur, je vous disais… Elle développe alors une pensée novatrice sur la violence légitime des opprimés, exhumée des ruines de la cafétéria de Jussieu après désamiantage.[access capability= »lire_inedits »]
Je ne connaîtrai jamais le résultat de ce vote car devant tant d’originalité, je préfère aller voir ailleurs.
Je suis irrésistiblement attiré par un tipi en voile blanc immaculé sous lequel s’abritent deux mecs tellement cool qu’ils sont indifférents à la foule qui les entoure. Un peu comme s’ils avaient décidé de planter leur tente au milieu de la place avant qu’elle ne soit envahie par tous ces curieux, on se demande bien par quoi. En m’approchant, je me rends compte qu’ils ne se parlent pas. Ils font semblant. Ils donnent un spectacle ! Celui de deux types indifférents à l’agitation qui devisent tranquillement sous leur tipi transparent planté place de la République. Après la pensée, l’art vient de renaître.
Je continue ma promenade. Quelques rescapés de mai 68, septuagénaires au catogan de cuir enserrant de rares cheveux blancs, aux longues jupes à fleurs ne réussissant pas à masquer complètement une arthrose des membres inférieurs. Ceux-là revivent leur rêve disparu et la lueur de leur regard me rappelle celle des yeux de ma grand-mère lorsque la radio lui diffusait exceptionnellement du Maurice Chevalier.
Beaucoup de citoyens engagés tendance Ikéa (ah l’exemple scandinave prôné par tous ces admirateurs qui ne peuvent malgré tout s’empêcher de gruger de quelques places dans la moindre file d’attente, sans se rendre compte qu’ils seraient lynchés pour cela au pays de leurs songes…), pas mal d’étudiants dont l’un me confiera qu’après avoir été mis en échec par les diktats de la finance internationale, qui régit jusqu’aux examens des matières dures comme l’éco, il songeait maintenant à se tourner vers des disciplines un peu plus nobles, épargnées pour le moment par le FMI, comme la sociologie ou la psycho. Encore que « psycho ça peut mener à DRH et DRH c’est pour virer les travailleurs alors faut être vigilant ».
Un peu plus loin encore, devant quatre frileux de la tête qui ont besoin d’une capuche pour ne pas s’enrhumer, un débat d’une rare finesse stigmatise le riche, le propriétaire et les impôts, parce que « faut arrêter de nous prendre pour des trompettes, les riches ne paient pas d’impôt, t’as qu’à voir les Panama Papers ». Une « action » est immédiatement proposée : on va à l’Élysée !
Tournant autour de la statue centrale, les forces de proposition tentent de grossir en scandant « À l’Élysée » mais ne rassemblent que quelques punks à chien et une vingtaine de routards tendance zadistes qui comptent bien remplir leur quota quotidien de baston.
Pensant avoir fait globalement le tour de cette Nuit debout, où la majorité des gens sont assis par terre, je repars vers le métro, saisissant au passage le grand frisson émanant d’une probable étudiante draguée par un « jeune de quartier » tentant le célèbre « Vous êtes charmante, ça vous dirait une glace à la menthe ? » auquel il serait malséant de répondre par autre chose qu’un sourire indulgent et compréhensif, c’est-à-dire postcolonialiste, avant d’engager un dialogue forcément constructif et respectueux.
Je m’éloigne de ce happening qui se croit assemblée, avec une pensée pour les ambulanciers du Samu, les pompiers et les CRS qui, eux, vont être debout toute la nuit et s’en passeraient volontiers, alors qu’eux aussi sont « globalement sympathiques ».[/access]
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