Passent les jours et passent les semaines sans que l’essaim de veilleurs massés place de la République sous l’étiquette « Nuit debout » ne faiblisse. La contagion du mouvement printanier à des villes de province telles que Nantes (cf. le photo-reportage de Thomas Girondel), Toulouse ou même Nice nous a convaincu de consacrer notre une au « Grand soir des mutins de Panurge », selon une expression chère au regretté Philippe Muray.
Car depuis l’expulsion d’Alain Finkielkraut de la place de la République, l’obsession purificatrice de certains révolutionnaires en peau de lapin est apparue au grand jour. L’épisode, que le principal intéressé nous conte par le menu, aura servi de révélateur, estime Elisabeth Lévy, selon laquelle « les participants à ce grand défouloir sont tout heureux de jouer au Grand soir, de faire comme si ». Au grand bal de l’égo démocratique, écologique et citoyen (autrement dit, sans gluten), « chacun arrive avec son moi victimaire, sa cause incontestable et son ennemi quasi héréditaire – sioniste, mâle, riche, blanc, américain, capitaliste, on choisit ou on fait un mixte. », s’amuse notre directrice de la rédaction. Un « fondamentalisme démocratique », selon l’expression de Maurice Merchier, qui analyse en profondeur ce mouvement purement horizontal, symptôme de notre démocratie malade. Lui emboîtant le pas, le philosophe Yves Michaud scrute l’émergence d’« un mouvement gaucho-populiste » comme Podemos en Espagne ou Cinq étoiles en Italie, place de la République, dans une belle formule : « Nuit debout, c’est Internet plus les soviets. » À ceci près que personne n’a jamais su définir les règles de fonctionnement démocratiques d’un soviet et « à Nuit debout, on n’entend pas les doléances des retraités qui touchent entre 500 et 700 euros par mois. Pour ça, il faut aller sur RTL ! »
Tandis que le chansonnier Régis Mailhot raconte son « voyage (imaginaire) au bout de la Nuit debout » avec une mauvaise foi aussi drôle que carabinée, Jérôme Leroy aperçoit une lueur d’espoir. Notre rédacteur en chef culture célèbre « ce désir du pas de côté, du moment pris pour respirer, parler et finalement peu importe ce qui se dit » et, à tout prendre, « préfère le chagrin d’amour qui suivra au regret de ne pas avoir essayé ». À vous de juger !
Pendant que la place de la République fait le plein, il est des campagnes qui font le vide. Malgré la rurbanisation rampante – de plus en plus de citadins fuient les villes, exaspérés par le coût et la piètre qualité de la vie – certaines zones rurales peuvent légitimement prétendre au titre de « campagnes perdues de la République ». Ainsi, Jean Clair se remémore le monde paysan qui n’est plus, cette « terre qui meurt » sur laquelle il a grandi, entouré des croquantes et des croquants privés des fruits amers du Progrès. À Novion-Porcien, petit village des Ardennes nanti de 500 habitants, les services publics se font rares à mesure que l’Etat, le département et La Poste se désengagent. La désertification avance tant et si bien que les scores du FN y flambent malgré l’absence d’immigration. Dans une autre partie de la France, économiquement bien plus sinistrée, j’ai planté ma tente à Montluçon, une ville en friche qui cumule désindustrialisation et nuisances industrielles persistantes… une gageure berrichonne !
Mais l’événement de ce numéro, c’est aussi et surtout le grand retour de Basile de Koch dont le « moi » particulièrement inspiré et drolatique vous fera notamment découvrir un obscur écrivain hongrois. Autre révélation, Laetitia Strauch-Bonart, auteur d’une enquête sur le conservatisme qui renouvelle la réflexion sur le sujet., que j’ai eu l’honneur d’interviewer. Cette ancienne élève de Michéa lorgne certes davantage du côté des Tories britanniques que du socialisme conservateur, mais cela ne l’empêche pas de dresser l’inventaire des années Thatcher et Cameron.
Dans un tout autre esprit, l’artiste Marc Molk a pris sa plus belle plume pour fustiger la loi de pénalisation des clients des prostituées, qu’il qualifie de « houellebecquiens ». « Une loi contre tous les hommes qui ne savent pas parler et qui s’offrent des jambes écartées sans bla-bla aléatoire », dénonce-t-il.
Enfin, en pages culture, Jean-Michel Boris se souvient de la salle mythique qu’il a dirigée de 1979 à 2002 et de son fondateur Bruno Coquatrix, dans une longue évocation de l’Olympia. Au rayon théologie, Paul Thibaud habille Abdennour Bidar pour l’hiver prochain, réfutant la construction d’un islam sur mesure, tolérant, ouvert mais… imaginaire. Complétez cette lecture buissonnière par le portrait d’Antoine Blondin en écrivain sous-estimé signé Jérôme Leroy et vous aurez l’humeur vagabonde !
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