Grâce à un texte, Eric Senabre est passé de l’anonymat à la gloire, de l’obscurité à la lumière. Sa tribune publiée dans Libération, intitulée « Et si on fichait la paix aux bobos ? », contient en effet des phrases qui ne peuvent passer inaperçues comme : « Les bobos vous emmerdent. » Un cri du cœur destiné à redonner une fierté perdue à tous les bobos humiliés, vilipendés, caricaturés et salis par la droite la plus réactionnaire et la plus méprisante qui soit.
Eric Senabre est auteur jeunesse. Il a aussi une identité revendiquée et assumée : il est bobo. Et il a un lieu de prédilection : la place de la République où il se tient debout la nuit. S’ensuit une description assez juste sociologiquement du bobo. Il est musicien, illustrateur, graphiste, artiste, intermittent du spectacle. Il mange bio, aime le commerce équitable, vomit les grandes surfaces et se définit comme écologiste. « Et alors ? » s’exclame Eric Senabre renvoyant les réac et les fachos au mépris que leurs railleries méritent.
Nous avons là le portrait d’un animal sympathique, doux et pacifique, qui n’aurait pour seul ennemi que les semences OGM Monsanto. Pourtant, il suffit de gratter un peu cette douce et soyeuse fourrure pour s’apercevoir que le bobo n’est pas sans rapport avec le beauf de Cabu. Avec une petite variante : bobo, con et fier de l’être. Se contenterait-il de jouer de la guitare et de boire du lait d’amandes issues de l’agriculture biologique qu’on trouverait le bobo inoffensif, gentil et même décoratif. Tel n’est pas le cas. Car le doux bobo a des vraies passions et des vraies colères qui le mettent d’humeur guerrière.
En effet, il n’aime pas, mais pas du tout, l’Occident et tout ce qui le symbolise à ses yeux : les banques, la bourse, les riches, les filles dénudées offertes par la pub et les esclaves volontaires de la pernicieuse société de consommation. Il a ça en commun – la sauvagerie sanguinaire en moins – avec la secte Boko Haram. Même si cela fait débat, les mots « Boko Haram » pourraient signifier : « Livres (comprendre Occident) interdits ». Il y a donc nombre de bobo… haram !
Mais que serait la haine si elle n’était pas équilibrée par de l’amour ? Le bobo aime donc. Il aime les filles arabes que l’Etat oppressif veut empêcher de porter le voile. Il aime les oliviers palestiniens que les bulldozers sionistes arrachent. Il aime les peuples arabes, tellement proches de la terre et de la nature. Le bobo-halal se porte lui aussi très bien.
Il est chez lui place de la République. Là-bas le drapeau tricolore, rouge du sang des colonisés, n’a pas droit de séjour. Le drapeau palestinien si. Il paraît que les goûts et couleurs ne se discutent pas. Le bobo a choisi les siens. Et fort de cette belle identité, il nous emmerde, si l’on en croît la profession de foi de M. Senabre.
Car, écrit-il audacieusement, il vaut mieux être traité de bobo que de « gros connard ». Et là se fait jour chez nous une douloureuse interrogation : pourquoi oppose-t-il ces deux entités le bobo et le connard ? A l’évidence (allez donc vérifier place de la République), elles sont parfaitement cumulables.
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