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Plutôt la NSA qu’Al-Qaïda!


Plutôt la NSA qu’Al-Qaïda!

snowden prism nsaJulian Assange, fondateur de Wikileaks, a récemment jugé utile de rappeler son existence dans l’ambassade d’Équateur à Londres − réclusion destinée à lui éviter une extradition vers la Suède et, potentiellement, vers les États-Unis. Cette initiative a sans doute quelque chose à voir avec l’indignation bruyante suscitée par la divulgation d’informations secrètes sur Prism, système de collecte mondiale de données informatiques de la National Security Agency (NSA). Assange craint que le nouveau « lanceur d’alerte » planétaire, Edward Snowden, ancien employé d’un sous-traitant des services de sécurité des États-Unis, lui ravisse le statut d’ennemi n°1 de Big Brother, et la notoriété afférente. Il a raison : Snowden est un rival sérieux, dont il s’est fait le protecteur en organisant sa fuite et en le faisant savoir.

Autant on pouvait légitimement débattre des aspects positifs ou négatifs de la mise à la disposition de tout un chacun, par Wikileaks, de millions de télégrammes diplomatiques envoyés par les ambassades américaines à travers le monde, autant le scandale provoqué dans une partie de l’opinion par les révélations de Snowden nous paraît relever d’une paranoïa galopante au sein des élites « progressistes » autoproclamées.

L’État le plus puissant de la planète est, par définition, la cible de tous ceux qui contestent son hégémonie, ses valeurs, son mode de vie. Logiquement, il mobilise des moyens modernes pour se protéger d’agresseurs potentiels qui ont démontré, ces dernières années, que leurs nuisances n’étaient pas seulement verbales. Alors, où est le scandale ? Depuis un bon paquet de siècles, tous les États de la Terre s’efforcent d’acquérir les renseignements les plus précis et les plus fiables possibles sur leurs ennemis, intérieurs et extérieurs. L’espionnage n’est pas en soi un acte immoral, pour autant qu’il soit encadré par de strictes lois limitant son utilisation aux nécessités de la protection d’une collectivité ayant confié à des gouvernants démocratiquement élus la charge de sa sécurité.

Il s’agit là d’une forme de consentement des individus à une intrusion de l’État dans leur sphère privée, désagréable certes, mais hélas nécessaire à la tranquillité publique et à la protection de la vie de tous les civils innocents visés par les attentats terroristes perpétrés par les fanatiques du moment. Dans le même registre, le consentement à l’impôt explique que le citoyen d’un pays démocratique accepte le désagrément de voir l’État scruter ses revenus et son patrimoine pour en prélever une partie afin de remplir des missions d’intérêt public.[access capability= »lire_inedits »]

On peut contester le principe même de ces contraintes au nom d’une conception radicale du primat de la liberté des individus, et refuser dans la foulée d’accorder à un gouvernement, aussi démocratique soit-il les pouvoirs régaliens nécessaires pour faire respecter la loi, à commencer par le monopole de l’usage de la violence – c’est par exemple le point de vue des « libertariens », mouvance de la droite américaine dont est issu Snowden. Mais si l’on croit que l’État doit protéger les citoyens, il faut bien admettre qu’on ne riposte pas à des attentats commis par des entités non étatiques par la guerre ou par des sanctions diplomatiques.

Le programme Prism, qui orchestre la collecte d’une gigantesque masse d’informations à partir d’une surveillance des communications téléphoniques, de l’Internet et des réseaux sociaux, pour repérer l’aiguille terroriste dans la botte de foin des échanges interpersonnels, constitue-t-il une atteinte intolérable aux libertés publiques ? Cela  serait le cas si la mission qui lui est assignée par le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), la loi qui encadre l’espionnage de personnes à l’étranger et la recherche d’informations relatives au terrorisme et au trafic d’armes, était, par exemple, détournée vers l’espionnage économique ou la déstabilisation de personnalités politiques, nationales ou étrangères, déplaisant au gouvernement en place. Parmi les cas révélés par Snowden au Guardian, le seul pouvant entrer dans cette catégorie ne concerne pas la NSA, mais son équivalent britannique, le CGHQ, dont les agents ont espionné les communications des délégations présentes lors de deux sommets du G20, en 2009 à Londres. Cela n’est pas très fair play !

La multiplication des attentats-suicides commis par des membres d’entités terroristes non étatiques exige une riposte appropriée, excluant l’arme diplomatique ou le conflit armé conventionnel. Les opposants à Prism brandissent deux séries d’arguments.

Selon eux, Prism est inefficace puisqu’il n’a pas, par exemple, empêché l’attentat de Boston commis par les frères Tsarnaev, deux « loups solitaires » d’origine tchétchène convertis à l’islamisme radical. Il est vrai que les services de renseignement peuvent difficilement présenter un bilan des attentats évités par la surveillance technologique. Quelques cas de terroristes arrêtés avant d’avoir pu agir, comme en Belgique en 2008, ne suffisent pas à convaincre les détracteurs de ces méthodes.

L’objectif de la sécurité absolue est par nature inatteignable, sauf à placer un flic au domicile de chaque individu – encore faut-il être sûr que le flic en question ne se laisse pas tenter par le djihadisme… En revanche, le recours à des moyens sophistiqués réduit considérablement les risques, permettant ainsi d’atteindre un niveau relatif de sécurité. Tout d’abord, ces technologies ont une vertu dissuasive, car elles compliquent la vie des aspirants-terroristes, les obligeant à déployer plus d’énergie et d’astuce, et à imaginer des contre-mesures. On a observé le même phénomène avec les caméras de surveillance, vilipendées comme « liberticides » par les bonnes âmes progressistes. Elles n’ont pas supprimé les vols à la tire et les agressions dans l’espace public, mais elles ont rendu ces délits plus compliqués à commettre pour ceux dont ce n’est pas le métier principal.

De même, les contrôles draconiens effectués sur les passagers aériens depuis le 11 septembre 2001 ont rendu quasi impossibles les détournements d’avion. On pourra remarquer, à ce sujet, que le refus du  « profilage », qui permettrait d’éviter aux groupes de retraités de Conflans-Sainte-Honorine à destination de Majorque de se voir appliquer le même traitement sécuritaire que l’étudiant yéménite en partance pour Islamabad, témoigne  du souci de nos démocraties de ne pas « stigmatiser » collectivement les musulmans.

C’est à ce stade qu’intervient la seconde série d’arguments des détracteurs de Prism : le prix de ces méthodes, en termes d’entorses aux valeurs démocratiques, est bien trop lourd au regard des résultats obtenus. Ce serait même, à les entendre, la vraie victoire des terroristes : incapables de vaincre leurs ennemis par la force, ils y parviendraient en les obligeant à renier leurs principes et en transformant leurs dirigeants en tyrans. Les ennemis du peuple ne seraient pas Ben Laden et ses émules, mais George W. Bush hier, Barack Obama aujourd’hui. C’est ainsi que, par un tour de passe-passe rhétorique, la conséquence devient une cause et la victime de l’agression, le coupable désigné.

Qu’ai-je à craindre de gouvernants qui disposent maintenant d’informations d’une précision stupéfiante sur mes amis, mes petites manies de vieillard et mes habitudes de consommateur de produits culinaires, culturels et récréatifs ? Pour l’instant, hormis la pensée fugitive et désagréable qu’un être invisible est peut-être en train de lire par dessus mon épaule pendant que je rédige cet article, rien ne vient me prouver que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, ou le général Alexander, chef de la NSA, sont plus nuisibles à ma liberté et à ma sécurité que les humanistes d’AQMI ou les émules de Mohamed Merah.

L’entreprise de délégitimation éthique des moyens employés par les démocraties occidentales pour assurer la sécurité de leurs citoyens est loin d’être nouvelle : j’ai souvenir qu’au moment de la guerre de Corée, en 1950-1953, la propagande soviétique accusait les États-Unis et leurs alliés d’utiliser des armes chimiques et bactériologiques.  C’était une pure invention, qui fut relayée sans états d’âme par les communistes occidentaux et leurs « compagnons de route ». Cette calomnie a même provoqué, le 28 mai 1952 à Paris, une manifestation d’une extrême violence (un mort et plusieurs dizaines de blessés), organisée par le PCF contre la visite à Paris du général américain Matthew Ridgway, surnommé « Ridgway-la-peste » pour cette  raison.

Les plus exaltés des admirateurs d’Edward Snowden ont même comparé la NSA à la Stasi, la police secrète est-allemande de sinistre mémoire. Il se trouve que la Stasi, je l’ai bien connue, ou plutôt c’est elle qui me connaissait trop bien lorsque j’enquêtais sur les dissidents de la  RDA. Elle ne disposait pas des moyens sophistiqués de surveillance des individus des grandes puissances d’aujourd’hui. Mais elle était parvenue à un résultat remarquable : maintenir au pouvoir des tyrans honnis par le peuple en transformant une partie non négligeable de ce peuple en mouchards consentants ou contraints. Alors, chers amis de la NSA, continuez de fouiner dans mon ordinateur si c’est pour mon bien, mais, de grâce, n’y mettez pas le souk, j’ai déjà beaucoup de mal à retrouver mes petites affaires ![/access]

 

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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