Il n’aura échappé à personne, lors de la campagne électorale que nous venons de vivre, que certains termes sont maintenant systématiquement employés dans les discours de nos politiques. En voici quelques-uns :
Territoire : lieu de l’action, quelle qu’elle soit. Ce nouveau découpage du pays est le fruit de l’alliance des idéologues du Progrès (niant l’histoire et les anciennes solidarités) et des technocrates pragmatiques (voulant tout uniformiser pour tout rationaliser). L’utilisation du terme est rendue indispensable par l’écart qui existe maintenant entre ceux autrefois utilisés et les réalités nouvelles. Nombre de régions, hypertrophiées, sont ainsi devenues des patchworks bariolés, les communes nouvelles ont parfois la taille des anciens arrondissements, et les métropoles sont dispersées dans les campagnes. Seul résiste le département, dont on nous promet régulièrement la disparition comme punition. En aucun cas un élu ou un acteur ne parlera donc de sa région, commune, ou circonscription, mais seulement d’un territoire qu’il faut faire vivre grâce à ses acteurs.
Acteurs du territoire : catégorie fourre-tout bien pratique pour éviter de se poser la question de la légitimité des interlocuteurs. Certains, les élus, bénéficient effectivement d’une légitimité née de l’onction du suffrage (la formule est à prononcer avec un sourire ironique, surtout si l’on est élu), mais la question se pose de savoir s’ils sont bien les acteurs principaux. Les entreprises et forces économiques disposent elles d’une légitimité en faisant travailler une partie de la population du territoire, mais elles en tireront une plus grande encore de leur participation « volontaire » aux initiatives destinées à faire vivre le territoire. Les vrais acteurs du territoire sont en fait ceux qui représentent sa société civile idéale, telle que la rêvent les médias : associations subventionnées aux effectifs étiques mais aux revendications éthiques ; créateurs divers (nouveaux cuisiniers, artistes maudits, saltimbanques du spectacle vivant) ; figures incontournables (écrivain de banlieue venu en résidence d’artiste, néo-rural investi dans la culture de plantes immangeables sublimées en émulsion par les nouveaux cuisiniers, vieux syndicaliste photogénique, néo-arrivant redonnant vie à un village). Tous sont au même titre acteurs du territoire car tous le font vivre.
Faire vivre : animer. Faire vivre un territoire suppose non de permettre à ses habitants d’y vivre décemment, ni même de participer aux choix qui les concernent, mais essentiellement de bénéficier d’une animation qui les projette résolument dans le XXIe siècle. Les stages de djembé au fond de la Creuse (mais surtout pas de bourrée en Auvergne), les fêtes populaires où le nombre d’artistes est le double de celui de spectateurs, les cafés-genre des nouvelles communes (à la salle communale, par suite de la fermeture du dernier bistrot, et où l’on sert uniquement des tisanes), sont autant d’éléments qui font vivre le territoire. Collectivités et entreprises seront sommées de mettre la main à la poche pour réaliser ces actions par des collectifs citoyens. Elles se consoleront par un article de la presse locale qui vantera leur démarche constructive.
Démarche constructive (s’engager dans une) : réunir autour d’une table des gens incompétents pour s’excuser de l’être et aboutir ensuite à un choix constructif.
Constructif : médiatiquement acceptable. Après des années de choix faits par des hommes (et même parfois quelques femmes, mais il convient alors de ne pas insister) enfermés dans des postures idéologiques dépassées, les élus du territoire se doivent de faire des choix constructifs. Permettre par exemple aux autres acteurs du territoire d’œuvrer en les subventionnant ou, mieux encore, en leur déléguant une mission de service public, est ainsi nécessairement constructif. Se poser les questions de la gabegie financière ou des réseaux alors mis en œuvre, familiaux ou non, et quand bien même cela pourrait pourtant aboutir à de substantielles économies et correspondrait au choix de la majorité de la population, ne saurait relever de cette catégorie.
Pragmatique : prêt à accepter n’importe quoi pourvu que cela ne fasse pas de vagues. Le pragmatique dénoncera ainsi volontiers les anciens idéologues, incapables de s’affranchir de théories coupées des réalités, tout en respectant à la lettre les plus infimes désirs des grands prêtres du politiquement correct. Il écartera toute référence à un socle quelconque, historique ou culturel, pour revendiquer sa fluidité, et pour valider, si besoin est, son choix il rappellera qu’il s’est fondé sur une démarche de proximité.
Proximité : pour paraphraser un auteur célèbre, on peut être proche de tout le monde, mais pas de n’importe qui. La proximité consiste donc à se rencontrer entre acteurs du territoire dûment estampillés dans une autocélébration rassurante.
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