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Novembre : et si on mangeait des tripes ?


Novembre : et si on mangeait des tripes ?

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Pour la 12ème année consécutive, le mois de novembre célèbre les produits tripiers. Artisans bouchers, tripiers, grands chefs, bistrotiers, toute la profession se plie en quatre pour nous faire aimer les abats. Le pari était loin d’être gagné dans une société qui valorise les légumes calibrés comme des playmates et les plats préparés par les apprentis-chimistes de l’agro-alimentaire.

Alors, faire manger des tripoux d’Auvergne, des pieds paquets marseillais ou des groins de cochon à la France des supermarchés, ça semblait une mission vraiment impossible. Il fallait une bonne dose d’inconscience pour relever ce défi et croire à la résurrection de cette cuisine d’autrefois. Mais en gastronomie comme au cinéma, les souvenirs sont plus forts que les modes. Si on ne se lasse pas d’un vieux Gabin en noir et blanc, on prend le même plaisir à (re)découvrir les abats. « Ce mot désigne l’ensemble des morceaux du bœuf, du veau, de l’agneau et du porc qui ne sont pas rattachés à la carcasse de l’animal » comme le précisent les organisateurs de cette manifestation. Ils avouent même que « la profession préfère substituer cette dénomination peu flatteuse à celle, plus valorisante et bien plus appétissante, de « Produits tripiers ». Si le mot « abats » fait peur, c’est qu’il nous replonge fissa dans un monde disparu, celui des Halles grouillantes au cœur de Paris, des nappes à carreaux, des casse-croûtes pantagruéliques et des ballons de Beaujolais qui tintent dans la nuit fraîche.
Et oui, manger des abats, c’est retrouver cette poésie-là, s’attabler avec René Fallet, Georges Brassens, Lino Ventura, Jean Carmet, Bernard Blier ou Michel Audiard (meilleur buveur que mangeur selon Lino). Vous me direz que ces images « dépassées » ne peuvent émouvoir que les éternels nostalgiques que nous sommes.

Et nous refaire, à chaque fois, le coup des Tontons Flingueurs de la fourchette a quelque chose d’agaçant et de réactionnaire. Si les abats ont fait un retour en force ces dix dernières années et s’ils sont même devenus snobinards dans certains milieux, nous n’y pouvons pas grand-chose. Nous connaissons tous des médecins ou des notaires bien propres sur eux, avec leurs belles vestes en tweed et leurs souliers patinés qui, une fois à table, se prennent pour des forts des Halles. Que voulez-vous, ces hommes-là rêvent d’enfiler une canadienne en cuir et de dévorer au petit matin un tablier de sapeur sur le zinc d’un rade de banlieue. Chacun a ses propres mythologies et les notables d’aujourd’hui comme d’hier ont toujours eu un faible pour les plats canailles. Admettons que les abats se soient embourgeoisés et qu’ils fassent principalement le succès d’établissements où les additions s’envolent allègrement, ils n’en demeurent pas moins des produits d’une grande qualité gustative et surtout d’un coût très abordable. Les professionnels ont bien compris que pour faire venir à eux une nouvelle clientèle, il fallait dépasser les images d’Epinal des années 50/60 et parler pouvoir d’achat. Selon eux, « avec un prix moyen autour de 8,42 € le kilo, ils remplissent le caddie sans alourdir l’addition. Champion du pouvoir d’achat toutes catégories confondues, le porc (foie, pieds, tête, rognons) se situe généralement à un peu plus de 4 € le kilo, tandis que le veau, plus coûteux, reste à moins de 17 € le kilo, toujours en prix d’achat moyen ». Avec de tels arguments économiques, les produits tripiers vont devenir les chouchous des ménagères. De plus, ils sont faciles à cuisiner et offrent de grandes vertus médicinales. Riches en fer, bourrés de vitamines et faibles en lipides, ils rassureront celles et ceux qui font attention à leur ligne. Depuis l’Antiquité, les abats ont toujours été synonymes de puissance et de bonne santé. Au lieu de dépenser dans des produits remplis de mauvaises graisses et dopés aux conservateurs, les abats ont le mérite de rassembler les français toutes classes, origines et confessions confondues.

Vous avez aimé le bio, la « slow food », la vinification naturelle, vous aimerez, à coup sûr, les produits tripiers. À quand au menu des cantines les rognons de veau, les pieds de porc ou de succulentes tripes à la mode de Caen ?



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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