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Le bon, la brute et… le truand Novax

La Serbie et l’Australie se chamaillent sur la non-vaccination de Novak Djokovic


Le bon, la brute et… le truand Novax
Des soutiens de Novak Djokovic manifestent devant l'hotel où le sportif est confiné, Melbourne, 7 janvier 2022 © Hamish Blair/AP/SIPA

En 48 heures, le meilleur joueur de tennis du monde est devenu le premier opposant planétaire à la vaccination obligatoire. Le Premier ministre australien Scott Morrison a déclaré que le joueur devait fournir une véritable exemption, ou prendre « le premier avion » pour rentrer chez lui


Novak Djokovic est, avec ses compères Rafael Nadal et Roger Federer (à eux trois ils ont gagné 60 des 75 tournois du Grand Chelem depuis 2003 soit 80%) l’un des plus grands joueurs de l’histoire du tennis. Parmi ces trois immenses champions que je viens de citer, Djokovic, idolâtré dans son pays la Serbie, a toujours été le mal-aimé. Malheureusement pour lui, sa farouche opposition à la vaccination contre le Covid-19 et, surtout, son combat pour s’affranchir de règles applicables à l’ensemble de la population mondiale dont ses collègues joueurs de tennis professionnels, risquent de renforcer cette image de mal-aimé. Résumons.

Djokovic pourra-t-il se rendre à Roland Garros ou fera-t-il partie de ceux que notre président a très envie d’“emmerder”?

Tout commence en juin 2020. Au plus fort du début de l’épidémie, Novak Djokovic participe à une série de matches exhibition qu’il a lui-même organisés dans les Balkans. Quelques jours plus tard, malgré les protocoles sanitaires mis en place, il sera testé positif au Covid-19. A l’époque, les vaccins ne sont pas encore disponibles, mais le comportement de Djokovic divise déjà les amateurs de sport. Il y a ceux qui estiment qu’il n’a rien fait d’illégal et ceux qui considèrent qu’il aurait du faire preuve de prudence et s’abstenir d’organiser de tels matches exhibition.

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Les vaccins sortant les uns après les autres à partir du mois de décembre 2020, la saison tennistique 2021 se déroule alors dans les conditions que nous connaissons tous dans d’autres secteurs professionnels: ne peuvent participer aux tournois que les joueurs qui montrent un document prouvant qu’ils ont été testés négatifs ou un certificat de vaccination ou de guérison. Novak Djokovic, lui, fit le choix de ne pas se faire vacciner et put jouer des tournois sur trois continents en faisant des tests qui s’avérèrent vraisemblablement tous négatifs.

Psychodrame à l’australienne

Seulement voilà. Le premier tournoi du Grand Chelem 2022 se tiendra comme à l’accoutumée en Australie à partir du 17 et jusqu’au 30 janvier 2022. Djokovic y a rendez-vous avec l’Histoire : s’il remporte le tournoi – qu’il a déjà remporté neuf fois -, il deviendra le seul joueur à avoir gagné 21 tournois du Grand Chelem.

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Or, l’Australie s’est dotée de l’une des législations anti-Covid les plus exigeantes au monde. Ne peuvent fouler son territoire que les étrangers qui sont en mesure de présenter un schéma vaccinal complet. Les voyageurs non vaccinés devant impérativement se rendre en Australie doivent pour leur part solliciter une dérogation de la part des autorités australiennes, pour motif humanitaire ou professionnel. Les organisateurs du tournoi de Melbourne doivent se conformer à cette obligation et ont accordé l’autorisation de participation au tournoi aux joueurs pouvant montrer une exemption délivrée par un groupe d’experts indépendants. Novak Djokovic a sollicité cette exemption et l’a obtenue. Craig Tiley, le directeur du tournoi, a affirmé que le nº1 mondial n’avait bénéficié d’aucun traitement de faveur et que 25 autres joueurs professionnels ou membres de leur équipe avaient également obtenu cette dérogation. La Fédération de tennis australienne a précisé que deux comités d’experts, dont l’un était composé d’un médecin désigné par le département de santé de l’État de Victoria, avaient examiné la demande d’exemption de Djokovic et la lui avaient accordée. Pourtant, Jamie Murray, le frère d’Andy Murray, a déclaré lors d’une conférence de presse que s’il avait lui-même été non vacciné, il n’aurait pas réussi à obtenir une exemption. Il a ironiquement félicité Djokovic pour être parvenu à en obtenir une. Le joueur de tennis français Pierre-Hugues Herbert, lui aussi non vacciné, a quant à lui renoncé à participer au tournoi.

Djokovic dehors !

L’affaire aurait pu s’arrêter là, suscitant à la fois l’animosité d’une partie des collègues de Novak Djokovic du circuit ATP et la joie de ses fans.

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Mais à partir du mercredi 5 janvier, le hashtag #DjokovicOut (traduction :“Djokovic dehors”) a commencé à circuler sur Twitter. Les commentateurs sur les réseaux sociaux n’ont pas manqué d’indiquer avec un certain esprit railleur que les spectateurs se rendant au stade pour le voir jouer devraient être vaccinés…

Ça tourne au vinaigre entre la Serbie et l’Australie

Des voix s’élèvent depuis pour dénoncer un traitement de faveur dont Djokovic aurait fait l’objet. Le sentiment de discrimination surgissant au sein d’une population australienne dont les nerfs pendant les confinements ont été mis à dure épreuve est très fort. Et de tennistique l’affaire a pris une tournure politique.

Le Premier ministre australien Scott Morrison, celui-là même qui coula le contrat du siècle des sous-marins français, est intervenu en personne pour briser le rêve d’un 21eme titre du Grand Chelem de Novak Djokovic. Personne n’est au-dessus de la loi, tonne-t-il. Or, selon ses dires, Djokovic n’ayant pas obtenu une exemption médicale au sens de la loi australienne, son visa obtenu pour se rendre en Australie est annulé. Entre-temps arrivé en Australie, Djokovic a été placé en quarantaine dans un hôtel (indigne pour un millionnaire comme lui !). Djokovic a intenté un recours judiciaire contre l’annulation de son visa. Si celui est rejeté par le tribunal, le meilleur joueur du monde sera expulsé du territoire australien et ne pourra pas participer au tournoi de Melbourne. Idolâtré dans son pays, des centaines de personnes, à l’appel de sa propre famille, ont manifesté en Serbie leur soutien à l’enfant du pays. L’affaire prend une tournure diplomatique. Le président serbe, Aleksandar Vucic a demandé à son Premier ministre Ana Bernabić de convaincre le ministère australien des Affaires intérieures de permettre à Novak Djokovic de quitter son hôtel de quarantaine et de rejoindre la maison qu’il a louée avant que ne tombe la décision finale du tribunal australien…

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Cette affaire soulève plusieurs questions. Sanitaires, sportives et politiques.

Sur le plan sanitaire, comment Djokovic a-t-il pu obtenir une exemption suite à un examen de sa demande de la part de deux comités d’experts, puis se voir retirer celle-ci à son arrivée sur le sol australien? La réponse sera sans doute rapidement donnée par le tribunal chargé d’examiner son recours contre la décision d’annulation de son visa.

Sur le plan politique, Novak Djokovic est devenu le novax le plus connu du monde. Il est même à l’origine d’une brouille diplomatique entre son pays et l’Australie. Mais cela s’arrêtera-t-il là? Quid des autres pays qui, à l’instar de l’Australie, imposent progressivement un passe vaccinal ? C’est le cas de la France. Djokovic pourra-t-il se rendre à Roland Garros en mai, s’il n’est pas doublement vacciné d’ici là, ou fera-t-il partie de ceux que notre président a très envie d’“emmerder”?

Une seule chose est sûre. Elle concerne le plan sportif : la majorité des gens étant favorables aux vaccins et nourrissant une animosité grandissante à l’égard des non vaccinés, en refusant de se vacciner, Djokovic pourra mettre une croix sur sa quête de devenir l’égal de Federer et de Nadal dans les cœurs des fans de tennis. Il devra alors assumer, pour la postérité, d’avoir érigé cette rivalité tennistique qui se sera étalée sur près de 20 ans comme une réplique sportive du film de Sergio Leone, Federer dans le rôle du bon, Nadal dans celui de la brute et lui-même dans celui du truand…



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Avocat aux Barreaux de Bruxelles et de Paris

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