Mises en place sous le ministère Peillon, les fameuses « nouvelles activités périscolaires » sont emblématiques des années Hollande à l’école primaire. Bilan de cette catastrophe pédagogiste au fin fond de la France périurbaine.
« Bougez, bougez ! » Quelques mots de français sont reconnaissables au milieu d’onomatopées vaguement espagnoles sous des flots de musique électro-latino. Une douzaine de bambins s’agitent, se trémoussent, brassent l’air de moulinets patauds, les mains ondoyant de manière plus ou moins gracile, se déhanchent en remuant des bassins un peu empâtés par les chips et autres biscuits Oreo.
Bienvenue au cours de zumba des classes de CE2, de CM1 et de CM2 de Courlon-sur-Yonne. L’une des « Nouvelles activités périscolaires » (Nap) proposée à la petite cinquantaine d’écoliers dont les parents acceptent ou sont en mesure de payer la sollicitude compassionnelle de l’Éducation nationale – soit la moitié de l’effectif local, en regroupement scolaire avec la commune voisine de Serbonnes.
Un charmant gamin, plus joufflu et plus cabochard que ses camarades, rechigne à s’y mettre (« J’ai mal à la tête ! »), avant que les voix impérieuses d’une élue municipale et d’un adulte bénévole le ramènent à la raison. Avec une merveilleuse mauvaise grâce, il consent à entrer dans la danse, au dernier rang, en mimant d’un air dégoûté des exercices très eighties, dignes du Gym Tonic de Véronique et Davina, de glorieuse mémoire.
« Ça s’est résumé à une garderie médiocre »
« Si nous avons un cours de zumba, c’est parce que nous n’avons pas trouvé d’autre animateur dans le coin. Nous avons épluché l’annuaire des sports dans l’Yonne, c’était le plus proche de chez nous », constate Martine Rouix, première adjointe au maire et chargée des Nap. Illustration éloquente de la pagaïe absurde provoquée par la lubie pédagogique qui a inspiré le décret n° 2013-77 du 24 janvier 2013 relatif à l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires, en adéquation avec la loi n° 2013-595, du 8 juillet 2013, d’orientation et de programmation pour la refondation (sic !) de l’école de la République. Héritage laissé par Vincent Peillon, météorique apprenti sorcier de la pédagogie officielle. Si, comme tout nouveau ministre de l’Éducation nationale, le brillant politicien s’est cru obligé d’imprimer son cachet au « Mammouth », il aura marqué au fer rouge le sort – et les budgets – de nombre de communes rurales.
Les Nap à Courlon-sur-Yonne : dépenses et recettes.
Dépenses (rémunérations des intervenants) : 12 413,34 euros.
Recettes (60 euros x 48 enfants) : 2 880 euros.
Fonds de soutien de l’État : 4 983,33 euros.
Déficit (à la charge de la mairie) : 4 550,01 euros.
À Courlon-sur-Yonne, la mise en place des Nap, entamée en 2015, à raison de quatre séances hebdomadaires de 45 minutes, s’est immédiatement révélée « catastrophique », selon tous les responsables : « Faire venir des intervenants pour trois quarts d’heure à la campagne est une gageure. Au total, ça s’est résumé à une garderie médiocre », s’indigne encore un conseiller municipal. En 2016-2017, le temps réservé aux Nap est passé à deux séances d’une heure et demie par semaine, sauf pour les élèves de maternelle, mais pour ces derniers, l’initiation aux joies de « l’école, autrement » a été confiée aux dames de service de la cantine…
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La question de l’encadrement demeure la plus épineuse : où trouver des compétences ou, à défaut, des bonnes volontés ? À Courlon, les collectivités locales mettent à disposition trois personnes, auxquelles s’adjoignent un professeur de musique, un d’arts plastiques (de dessin, quoi…) et un animateur de zumba, eux-mêmes épaulés par deux instituteurs, trois élus et cinq bénévoles. De temps à autre, un atelier lecture est assuré par des élus, une initiation informatique par des bénévoles. Ou encore une séance de jeux de société « à l’ancienne », animée par une enseignante, ainsi que du soutien scolaire par une collègue.
En maternelle, une tête blonde brandit fièrement son dessin : « C’est ma maman, mon frère… » « Mais, il est où, ton papa ? », lui demande l’animatrice. Nombre d’enfants ne viennent pas régulièrement aux activités. Des essais de travaux manuels avec des matériaux de récupération ont été tentés ; ils n’ont jamais été achevés. En d’autres termes, ces Nap rurales reviennent à un bricolage et à des acrobaties de tous les instants. De toute façon, « on tourne ric-rac », soupire Martine Rouix. « De plus, tout cela est bâtard. Dans l’esprit des enfants, ce n’est ni tout à fait l’école ni tout à fait une garderie… »
Didier Gonzales, instituteur: « Quand j’ai débuté dans mon métier, il fallait réveiller les élèves de leur torpeur. Désormais, ils arrivent en classe tout excités, il faut les calmer »
Didier Gonzalez, qui cumule l’enseignement du CM1 et du CM2, et dont c’est la première année à Courlon, ne dirait pas autrement. L’homme affiche une haute idée de son métier : tout dans son maintien, son élocution et sa mise en témoignent, à mille lieues du débraillé en vogue chez nombre d’instits’ parisiens et banlieusards : « Le problème de ces Nap, c’est que les enfants se trouvent dans des locaux scolaires pendant ces activités, mais non sous notre autorité. Par exemple, moi, je leur enseigne “On ne court pas dans les classes…” Or, avec ces Nap, on désacralise le lieu : on y fait des choses habituellement interdites. En outre, je me pose la question de la compétence des gens engagés. Nous n’avons pas sous la main, à la campagne, 150 000 personnes compétentes, malgré toutes les bonnes volontés. Ainsi, on a pris des retraités, qui ont souvent lâché prise parce qu’ils étaient incapables de ne pas se faire manger tout cru par les enfants, contrairement aux animateurs formés des centres aérés. »
L’idéal de Didier Gonzalez serait de cinq matinées, chacune suivie d’un après-midi plus court. De même, devrait-on prévoir des vacances moins longues. « Mais là, l’industrie du tourisme dicte tout. Or, je vais finir l’année avec 15 élèves. Aujourd’hui, chaque famille suit son rythme de vie, son organisation individualiste. » Si 167 communes de l’Yonne souhaitent revenir à la semaine à quatre jours, lui regrette que l’on perde trois heures d’enseignement en passant de 27 heures à 24.
Au-delà, c’est l’attitude même des élèves qui a changé : « Quand j’ai débuté dans mon métier, il fallait réveiller les élèves de leur torpeur. Désormais, ils arrivent en classe tout excités, il faut les calmer. Parce qu’ils ont consommé de l’écran à hautes doses ; du coup, leur capacité de concentration est largement entamée. Sans compter que, ici, nombre de parents travaillent en région parisienne, ils doivent donc réveiller leurs enfants plus tôt. Hier, une séquence de travail pouvait durer une heure, une heure et quart. Aujourd’hui, il faut décrocher plus vite : ces enfants zappeurs sont agités. Nous modulons donc nos exigences, sinon la classe se transforme en Cocotte-minute… » Et pourtant, Didier Gonzalez n’était pas hostile a priori à cette réforme : « Je pensais bêtement que l’on travaillerait mieux dans un laps de temps plus court, le vendredi ressemblait déjà à des RTT… Mais on a rendu obligatoire un aménagement du rythme scolaire sans nous y avoir préparés, ni même consultés. Surtout, on a oublié que la France est aussi composée de communes rurales dont l’expérience et les moyens diffèrent de ceux des grandes villes. »
Face à ces problèmes, c’est bien le maire du village, Jean-Jacques Percheminier, qui est en première ligne. Et même, à un double titre : il vient de prendre sa retraite d’instituteur et de directeur de l’école du village. « Ces activités ne sont pas notre projet ; on nous a forcé la main. Alors, nous avons fait au mieux ». Au passage, le maire-enseignant rappelle que c’est Xavier Darcos qui a décrété le passage de 27 heures d’enseignement à 24. « Soit, trois heures sur 36 semaines, cela fait un paquet d’heures en moins dans l’année. Dès lors, le classement Pisa de la France ne m’étonne guère. »
« Le débat sur l’excellence demeure d’actualité… »
Lui aussi constate un « tassement » du niveau, une certaine « abdication des parents » et une évolution des attentes à l’égard de l’école. « Et encore, notre village est privilégié par rapport à certaines villes, y compris dans l’Yonne. » Sur ce point, une anecdote le ravit : un professeur des écoles stagiaire dans sa classe s’étonnait de le voir tourner le dos à ses élèves pour écrire au tableau. « Jamais, je ne pourrais me le permettre », s’est-il lamenté.
Au total, le bilan de ces Nap, « en dépit des efforts », est tout sauf positif : « une garderie à bon compte, un saupoudrage culturel ». Et d’évoquer cette initiation à la flûte à bec que les élèves utilisaient pour se battre à l’épée… « Pour des Nap sérieuses, il faudrait offrir des moyens aux collectivités territoriales. » Compte tenu de la maigreur des budgets où chaque euro compte, c’est autant de frustrations prévisibles.
Encore que, soutient Jean-Jacques Percheminier, « il y a un réel intérêt à réfléchir aux rythmes scolaires », mais l’essentiel est ailleurs, dans la réflexion politique qui s’impose pour repenser le minimum d’acquis à enseigner. Et se poser la question des enseignants qui « ne sont pas tous à leur place ». « Oui, lâche-t-il dans un sourire, le débat sur l’excellence demeure d’actualité… »
En tout cas, Courlon-sur-Yonne a tranché : 90 % des parents souhaitent abolir ces Nap improbables. L’école reviendra donc aux quatre jours, comme la majorité des communes du nord de l’Yonne, à l’exception de trois sur 18 qui souhaitent les conserver.