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Nouvelle lettre à ma cousine de province


Les choses vont si vite à Paris qu’une nouvelle du matin est ancienne au souper ! Dans le même temps qu’un journal, comme je vous en fis le récit récemment, révélait avec force dessins à l’appui les infidélités « pompières » de François II, il se produisait un embrasement gazetier. Notre roi est-il mécontent de la tournure qu’ont pris les événements ? Au début de son règne, il fut apostrophé dans la rue par une commère, à propos de la Koajélère : « N’épousez pas cette femme, on ne l’aime pas ! ». Il ne répondit pas. Mais n’a-t-il pas suivi le conseil ? Je tiens à vous persuader par ma démonstration que toute l’affaire procède d’une entreprise à laquelle Sa Majesté n’est peut-être pas étrangère. Entendez mon avis, ma coquette, et vous me direz si j’ai tort.

En deux semaines, nos kiosques se couvrirent de couvertures de magazines, montrant la physionomie de Julie Légayée, la théâtreuse dont il s’est toqué, ses traits délicats, sa figure avenante. Il n’y eut pas une feuille d’arrondissement qui n’imprimât un portrait de la nouvelle favorite, qu’on n’a jamais tant vue.

Vous n’ignorez pas que la marquise de Koajélère, avant sa rencontre avec François II, donnait des articles à Paris-Marche, qu’elle continuait d’alimenter en propos sur la littérature parfaitement insipides. Eh bien, ce journal a consacré de nombreuses pages à sa rivale, sur un mode très flatteur ! Appartenant au même personnage, héritier d’un magnat qui portait le nom d’un héros de Paul Féval, Ailes, l’hebdomadaire distribué dans les salons des médecins et des perruquiers ne se trouva pas en reste : la blonde que voilà y connut une vraie consécration. Bref, ma cousine, je prétends que cette affaire d’alcôve n’a pas été rendue publique par la seule indiscrétion d’une gazette à scandale. Elle sert parfaitement les intérêts sentimentaux de notre récent couronné, qui souhaitait mettre définitivement et officiellement fin à sa relation avec la Koajélère. Conduisant un attelage à deux têtes, a-t-il craint l’emballement et l’embardée ?

Décidément, ce roi si falot d’apparence, et si prompt à dire des banalités qu’il mériterait qu’on l’appelât le souverain poncif, est un Barbe-Bleue sans le crime ! on ne comptera bientôt plus derrière lui les femmes abandonnées.

Or, la Koajélère, congédiée sans ménagement, telle une courtisane qu’on choisit au crépuscule, et qu’on fait raccompagner par un valet aux premières lueurs de l’aube, subit une terrible humiliation.

Mon crédit, mon pouvoir ; tout ce que je rêvais,
Tout ce que je faisais et tout ce que j’avais,
Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule
Au milieu des éclats de rire de la foule !
[1. Victor Hugo, Ruy Blas, acte I, scène première.]

Elle a souffert, elle a pleuré, elle ne portera pas le deuil de l’amour. Des personnes de son entourage assurent qu’après qu’elle aura soigné ses plaies, elle ne voudra plus que venger l’affront public fait à sa personne :

Ce misérable ! ce misérable ! il trompe une femme, et renie l’autre ! infâme (*)

Pourrons-nous bientôt nous réjouir d’une indiscrétion suavement murmurée ? Rappelez-vous le mot de Mme de Flahaut sur Talleyrand relativement aux choses de l’amour : « Il agissait suaviter in modo, mais nullement fortiter in re » que vous traduiriez en latiniste accomplie par : « Au lit, si sa manière était douce, il manquait de vivacité dans l’exécution »…

Vous savez que, pour s’asseoir sur le trône, notre roi, aidé de ces nouveaux bourgeois arrogants au teint de fraise éclatée, et de quelques viragos très aigres, a feint d’épouser la cause des Partageux. Il allait sur les places publiques, déclarant à qui voulait l’entendre qu’il n’aimait pas les riches, et que son ennemi se nommait Finance. À présent qu’il a un palais, il ne reçoit que les capitaines d’industrie, et sacrifie aux délices de Capoue, fatals aux carthaginois. Il arrache les masques, qui nous celaient son vraie visage.

Je vous quitte, ma désirable, après vous avoir livré une ultime effronterie. La rue parisienne, devant son éternel sourire qui rappelle une sculpture fameuse de la cathédrale de Reims, et sa promptitude à ôter son pantalon en présence d’une dame, l’a surnommé « La braie des anges ».

Je vous baise les mains, et tout ce qu’il vous plaira de me présenter…

Votre dévoué cousin.



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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