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Nouvelle-Calédonie: une impossible réconciliation?

De nombreuses armes restent en circulation chez les Kanaks et les Caldoches ayant recours à l'auto-défense


Nouvelle-Calédonie: une impossible réconciliation?
Un convoi alimentaire contourne un véhicule calciné à Nouméa, Nouvelle-Calédonie, 24 mai 2024 © NICOLAS JOB/SIPA

L’Etat d’urgence prend fin à Nouméa ce mardi à 20h00. La situation reste très tendue sur place, et les armes en circulation dans toute la Nouvelle-Calédonie dans les deux « camps » inquiètent les autorités.


Emmanuel Macron s’est finalement rendu en personne en Nouvelle-Calédonie. Une visite improvisée en forme de pari dans une île meurtrie par 10 jours d’Etat d’urgence, endeuillée par les décès et ravagée par des émeutes qui ont détruit l’essentiel de sa vie économique. Au milieu des magasins fermés et des routes barricadées, les habitants de l’île se font face. Ils sont armés, se sentant abandonnés et craignant les pénuries alimentaires qui pourraient encore aggraver une situation déjà insurrectionnelle. 

Place à la palabre

Ce mardi à 20 heures en France et 5 heures à Nouméa, l’Etat d’urgence prendra fin en Nouvelle-Calédonie. Après plusieurs jours de réflexion, Emmanuel Macron a finalement décidé de ne pas le reconduire. « Pour permettre les réunions des différentes composantes du FLNKS et les déplacements sur les barrages des élus ou responsables en mesure d’appeler à leur levée, le président a décidé pour le moment de ne pas reconduire l’état d’urgence. Celui-ci ne sera pas prorogé et prendra fin lundi à 20 heures », a ainsi communiqué l’Elysée. Une décision prise pour que les armes laissent place à la « palabre », ce moment de discussion et de délibération propre à la tradition des différents clans kanaks de l’archipel mélanésien.

Emmanuel Macron lors de la rencontre avec les natifs et les élus de Nouvelle-Calédonie, le 23 mai 2024 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

Lors de sa brève visite du jeudi 23 juin, Emmanuel Macron a fixé des conditions au rétablissement d’un dialogue fécond entre les différentes parties en présence en Nouvelle-Calédonie. Les citoyens français bénéficiant de la citoyenneté spécifique néocalédonienne selon les critères fixés par les accords de Nouméa, soit des Kanaks du peuple dit premier de l’île et des Caldoches, doivent lever les barrages. Un préalable évident et logique. En contrepartie, l’Etat a envoyé 480 gendarmes mobiles supplémentaires, soit sept unités complètes, en renfort des forces de sécurité intérieure déjà déployées. Une promesse du chef de l’Etat qui a, comme on s’y attendait, condamné « les barrages et les pillages » tout en jugeant que « les violences ne peuvent pas prétendre s’inscrire dans une action légitime » après les décès de deux gendarmes.

Le couvre-feu reste en vigueur

La levée de l’Etat d’urgence entrainera avec elle la fin des mesures exceptionnelles. Les lieux publics seront rouverts et la liberté de réunion restaurée. Il n’y aura plus d’assignations à domicile ni de perquisitions et d’arrestations préventives. Toutefois, de nombreuses mesures de sécurité seront maintenues le temps nécessaire. Ainsi du couvre-feu en vigueur de 18 heures à 6  heures sur toute l’île, de l’interdiction du port et du transport d’armes y compris dans le cadre d’activités de tir sportif, des rassemblements spontanés, mais aussi de la vente d’alcool dans un territoire ravagé par sa surconsommation notamment dans les rangs des jeunes émeutiers des CCAT.

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Des armes en circulation dans toute la Nouvelle-Calédonie

Si les Néo-Calédoniens de toutes origines se défendent d’avoir fait usage d’armes à feu lors des émeutes, la réalité est toute autre. En effet, les images diffusées sur les réseaux sociaux et les victimes recensées sur place prouvent pourtant le contraire. Tous les décès à déplorer au cours des violences l’ont été par armes à feu. Cela s’explique notamment par le nombre important d’armes en circulation en Nouvelle-Calédonie estimé à plus de 120 000 pour environ 270 000 habitants.

Dans un reportage diffusé au journal télévisé de 20h sur TF1 le 21 mai, des militants indépendantistes kanaks affirmaient ne vouloir « que se défendre », et être les  « victimes » des armes à feu. Dans ce reportage, on pouvait notamment voir des militants kanaks vandaliser la maison d’un « milicien », accusé d’avoir tué par balles deux Kanaks quelques jours plus tôt. Celui-ci a d’ailleurs été interpellé, mis en examen et placé en détention provisoire. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a précisé que les deux jeunes ont été tués à l’intérieur de la voiture du propriétaire de la maison qu’ils tentaient de voler, un homme qui « n’appartenait pas à des groupes d’autodéfense » selon Louis Le Franc, Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Une image largement diffusée sur les réseaux sociaux montrait également un homme mettant en joue avec son fusil de jeunes Mélanésiens, vraisemblablement en train de piller un supermarché. Aucun coup de feu n’a toutefois été tiré durant cette scène. Le 18 mai, un homme de 51 ans a tiré plusieurs coups de feu vers des manifestants présents sur un barrage ayant caillassé sa voiture quelques minutes plus tôt, afin de les faire fuir. Il a blessé deux manifestants qui ont ensuite répliqué et l’ont tué à l’arme à feu. Des scènes de guerre civile inédites en métropole qui témoignent de la tension extrême sur l’île, et qui montrent aussi que les deux “camps” sont armés.

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Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et incidents de terrain ont ainsi montré que des armes ont également été exhibées et utilisées par des émeutiers dans un cadre qui ne relève pas de la légitime défense. À l’intérieur de la maison de l’homme présenté comme le responsable d’un double meurtre, les militants kanaks ont forcé un coffre-fort contenant plusieurs armes à feu, pour certaines de gros calibre. On peut voir sur une photo deux hommes poser avec des armes longues. Le reportage de TF1 précise que ces fusils récupérés ont ensuite « disparu dans la nature ». D’autres photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent des groupes de jeunes avec des fusils de guerre, armes qui pour certaines auraient été récupérées lors de pillages dans des maisons de particuliers. Sur l’une des photos, les auteurs menacent directement de tirer sur des Caldoches organisés en groupe d’auto-défense.


Durant la première semaine de violence, un décès et plusieurs blessés sont imputés aux émeutiers rien que chez les forces de l’ordre. Nicolas Molinari, gendarme mobile de 22 ans, a été tué dans son véhicule de service, « atteint par un projectile dans la tête, lors d’une action susceptible d’impliquer plusieurs tireurs ayant visé les gendarmes par une quinzaine de coups de feu » a détaillé le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, qui précise qu’une enquête pour assassinat avait été ouverte. Trois policiers de la BAC ont également été blessés par balle alors qu’ils intervenaient sur le cambriolage d’une armurerie. Les auteurs de ce cambriolage auraient « piégé » les fonctionnaires selon les mots du Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

L’emploi de ces armes aussi bien par les Calédoniens que par les militants indépendantistes kanaks illustre la violence dans laquelle la Nouvelle-Calédonie est plongée depuis maintenant plus de deux semaines. A cela s’ajoutent les nombreux pillages et incendies volontaires de commerces et parfois de maisons, ainsi que les nombreux barrages qui jonchent les routes du Grand Nouméa. Dans un contexte aussi délétère, comment en vouloir aux personnes qui s’organisent pour protéger leurs biens matériels et parfois leurs vies ?

Ingérence et désinformation venues de l’étranger

Alors que les appels au calme et au dialogue se multiplient, ce climat de violence est attisé par des acteurs extérieurs à la Nouvelle-Calédonie et à la France. Le 16 mai, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accuse l’Azerbaïdjan d’ingérence sur l’archipel et très vite une ONG proche du pouvoir, le Groupe d’Initiative de Bakou, a concentré toutes les accusations. Créé en juillet 2023 lors d’une conférence organisée par les autorités azerbaïdjanaises où étaient invités des indépendantistes de Martinique, Guyane, Polynésie ou encore de Nouvelle-Calédonie, ce groupe qui vise à dénoncer et combattre le « colonialisme français » est particulièrement impliqué aux côtés des indépendantistes. En plus de multiples rencontres avec les élus indépendantistes, leurs actions se traduisent par l’organisation de manifestations contre le dégel électoral et contre la « recolonisation » de la Nouvelle-Calédonie avec affiches, t-shirts, et pancartes sur lesquels sont affichés le drapeau de l’Azerbaïdjan, lui-même brandit par les indépendantistes.

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Sur les réseaux sociaux, le Groupe d’Initiative de Bakou relaie également de nombreux messages faisant écho « aux effets néfastes du colonialisme français », tout comme des allocutions de leaders du CCAT ou les communiqués du FLNKS. Mais l’ONG partage également des messages trompeurs susceptibles d’attiser le conflit. C’est notamment le cas avec une publication datant du 22 mai. Sur celle-ci, le Groupe d’Initiative de Bakou se dit « profondément attristé par la violence perpétrée par les forces de l’ordre françaises en Nouvelle-Calédonie contre le peuple de Kanaky », ajoutant que  « malheureusement, le nombre de morts, de blessés et de détenus augmente chaque jour suite à l’intervention des forces de sécurité françaises ». Alors que l’ONG n’a jamais mentionné la violence des émeutiers sur ses réseaux, elle pointe ici du doigt les forces de l’ordre sur place pour sécuriser la situation et tenter de ramener le calme. De plus, à la date de cette publication, le nombre de décès n’avait pas évolué depuis plusieurs jours et aucun d’entre eux n’était lié à une intervention des forces de l’ordre.

Ingérence de Bakou

Ce n’est pas la seule fois que le Groupe d’Initiative de Bakou relaie ce genre de fausses informations sur ses réseaux. Sur X/Twitter, le groupe a également reposté des publications de médias turcs – alliés de l’Azerbaïdjan – qui comptent plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Celles-ci prétendent que la France « a envoyé des milliers de migrants illégaux » sur l’île, et qu’elle « tente de couvrir ses crimes commis contre le peuple de Nouvelle-Calédonie en accusant l’Azerbaïdjan ». Les publications évoquent également un bilan de « 10 morts et plus de 200 blessés » or le 16 mai, date à laquelle elles ont été postées, le bilan officiel faisait état de cinq morts dont deux gendarmes.

Ce type de publications trompeuses venues de l’étranger participe à attiser les tensions dans une situation de violences meurtrières. Des fausses informations continuent de circuler sur les différents réseaux sociaux, participant à polariser encore plus les membres des deux populations de l’île, Calédoniens et Kanaks.

L’Etat a encore l’initiative

L’Etat doit reprendre la main sur le dossier néocalédonien. Il a pour lui le droit, la Nouvelle-Calédonie jouissant d’une large autonomie, et la légitimité de l’action face à des groupes militants manipulés qui ont dépassé les bornes. Le déplacement des prisonniers émeutiers vers des prisons métropolitaines apparait comme une nécessité, tant pour désengorger la prison locale que pour casser les cellules insurrectionnelles. Cela ne sera toutefois pas suffisant. Il faut proposer un chemin de développement crédible prenant en compte les spécificités identitaires locales, faisant bonne place aux Kanaks comme aux Caldoches, sans négliger les nouvelles populations parfois natives de l’île et exclues de toutes les délibérations. Est-il normal qu’en France une personne née en 1998 en Nouvelle-Calédonie n’ait absolument aucun levier d’action dans la politique locale ? Non.

Si les aspirations à l’autodétermination d’une partie de la population autochtone ne risquent pas de disparaitre du jour au lendemain, ils ne sont pas seuls décisionnaires. Les Caldoches ne sont pas des colons et les Français de métropole ne sont pas des immigrés en France. Le dialogue est nécessaire mais il ne doit pas nous faire renoncer au droit. Il faudra aussi protéger les jeunes gens des deux bords, qui sont aujourd’hui travaillés par les deuils et les violences. Christian Karembeu a notamment évoqué les disparitions de deux de ses cousins. Un témoignage émouvant qui doit être entendu de même que ceux des Caldoches victimes de violence et qui ont parfois tout perdu.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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