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Antisémitisme : le retour de la libre parole

Longtemps, j’ai réussi à ne pas devenir un juif susceptible. Aujourd'hui, je jette l'éponge.


Antisémitisme : le retour de la libre parole
Une étoile de David est dessinée au marqueur sur la plaque d'un médecin à Nice, septembre 2004. SIPA. 00499043_000002

Longtemps, j’ai réussi à ne pas devenir un juif susceptible mais le retour des crimes antisémites dans la France d’aujourd’hui me fait sortir de mes gonds.


Longtemps j’ai essayé d’être plus malin, de jouer tactique, de déjouer les pièges, de retenir les ripostes et les réparties trop brutales. Longtemps, j’ai voulu rester stratège, détourner les attaques insidieuses ou les préjugés « innocents », en glissant une blague comme on fait une prise de judo. Déstabiliser l’adversaire en douceur, en moquerie ou en pédagogie, pour mettre les rieurs de mon coté, du coté des juifs, plutôt que m’insurger et opposer un mur réprobateur, accusateur. Eviter d’endosser le costume du procureur indigné, le vent en poupe et l’opinion avec, et six millions de morts en renfort au besoin parce que l’adversaire n’est pas un ennemi mais bien souvent un perroquet qui répète ce qu’il a trouvé malin, ou audacieux, ou politiquement incorrect et pas totalement faux. Contribuer à changer les mentalités et les perceptions, par la corrosion de l’esprit et de l’humour plutôt que céder à la tentation de remporter une victoire écrasante et immédiate en humiliant un adversaire, en montant sur mes grands chevaux parce que l’enjeu n’était pas moi mais l’image des juifs. Et pour quel résultat ? Réduire au silence dans un rayon de trois mètres et pour dix minutes le crétin sous la main ? Le laisser filer et colporter que décidément, avec les Juifs, on ne peut rien dire ? Longtemps, j’ai tenu à ne donner aucune prise, aucun semblant de réalité aux clichés, en étant attentif à l’extrême pour ne pas offrir le tableau de ce qu’on n’aurait pas été surpris de trouver typiquement juif, en forçant mon attitude dans un rapport détaché à l’argent, en proposant dés l’école, un peu de mon goûter ou de ma gourde en partage pour ne pas entendre que je mangeais ou buvais « en juif », et pour ne pas le laisser penser.

Quand l’antisémitisme rasait les murs

J’ai connu l’époque d’un antisémitisme qui rasait les murs, qui s’écrasait systématiquement quand je faisais savoir, après avoir laissé parler, que j’étais juif. « Ah oui mais non pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire » pourrait résumer la variété des rétropédalages. C’est un gitan avec qui nous formions une équipe de livreurs dans une entreprise de meubles où les vendeurs, dont certains étaient des séfarades visibles qui nous traitaient avec mépris, comme tous les cons sur la première marche de l’échelle sociale et en costume, considèrent les manutentionnaires, qui me confiait qu’ « Hitler n’en avait pas tué assez », avant de revoir son jugement quand je lui appris que j’en étais. C’est un voisin de palier marocain qui me fit promettre de ne pas dire à son père que nous étions juifs quand il l’apprit parce qu’il nous avait parlé et qu’il le tuerait s’il le savait, au sens figuré je présume. C’est un inconnu avec qui j’engageais une conversation dans le train de banlieue qui, montrant des graffitis bourrés de faute d’orthographe me glissait en baissant la voix : « Ça doit être des juifs qui ont écrit ça ».

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Hier encore, ces anecdotes me faisaient bien sourire. Toutes et d’autres du même tonneau se terminaient invariablement par des « Ah oui mais non pardon, ce n’est pas ce que je voulais dire ». Aujourd’hui, les choses ont changé. Cet antisémitisme ne recule pas, il insiste, il tient tête, il ne s’excuse plus, il s’explique. Il avance des arguments, « des infos », se place dans un contexte, relativise, partage les torts et revisite l’histoire sans grands moyens intellectuels mais sans complexes. Par internet, l’idée qu’une chape de plomb trop longtemps tenue par les Juifs se fissure (pensez donc soixante dix ans de répit après la Shoah, c’est une éternité à l’échelle de l’histoire.) a un certain succès. Dans mon entourage qui est populaire et blanc, les premières fuites de cette « pensée contenue » se font sentir. Ce sont les banquiers juifs et la finance juive qui dirigent et s’approprient le monde, d’ailleurs, « ce sont eux qui ont financé Hitler ». C’est : « Il n’y a pas que les Juifs qui ont souffert pendant l’occupation ». C’est un monde du show-biz imposé par des producteurs sur la base de cooptations juives et au bout, c’est cette réflexion après les meurtres de Mohamed Merah ou ceux des frères Kouachi : « Mais c’est pas d’leur faute ! ». Ce sont ces amis chrétiens très pratiquants chez qui l’assassinat du père Hamel a suscité infiniment plus d’émois que le meurtre des enfants dans leur école. Ben oui, pourquoi les curés ?

Des juifs assassinés, voilà de quoi on se moque aujourd’hui

Chez les humoristes, même penchant. Il parait que les plus courageux osent enfin se moquer des juifs et que ce n’est pas trop tôt. Mais quelle blague ! Comme si on ne riait pas depuis belle lurette des ashkénazes avec Popeck ou des séfarades avec David et sa Rolex. En fait, ce ne sont pas les Juifs qui deviendraient des sujets de raillerie comme les autres, ce sont les martyrs juifs, les Juifs exterminés pendant la Shoah. Et ce n’est pas plus interdit aujourd’hui qu’hier mais voilà de quoi est fait le « progrès ». Des juifs assassinés, voilà de quoi on se moque aujourd’hui pour montrer combien l’on est libre, et courageux, et même pas peur du puissant lobby.

Longtemps, j’ai réussi à ne pas devenir un juif susceptible, prompt à enfourcher ses grands chevaux. Je n’y arrive plus. Ma petite entreprise de rééducation par l’inertie et le dialogue compréhensif a fait faillite. Je jette l’éponge. Aujourd’hui, je change de trottoir. Et je perds des amis. J’ai développé une intolérance à toute forme d’expression antisémite, même la plus anodine, même la moins intentionnelle parce que les meurtres s’accumulent et que les paroles, non seulement persistent mais prennent de l’assurance. Elles se libèrent. Dans mes bons jours, je redeviens pédagogue, dans les mauvais, je m’emporte mais le résultat semble être le même. « De toute façon, on ne peut pas parler de ces choses-là avec toi. » parce que, et là c’est moi qui rajoute, mon appartenance à la tribu m’empêcherait d’être objectif, et honnête, et capable de la moindre distance.

Nous en sommes là. Pendant que certains tuent des juifs dans les quartiers sensibles, d’autres moins criminels et plus éduqués libèrent leur parole, cessent de s’empêcher et semblent fiers de ne plus se laisser intimider par je ne sais quelle injonction juive à la censure. Un petit antisémitisme subversif prend de l’assurance et se répand, d’imbécile en imbécile, lentement mais semble-t-il inexorablement. Dans notre maison France, on récompense Yvan Attal au salon et Cyril Hanouna occupe l’écran mais insidieusement, c’est Soral qui remonte par la cuvette des chiottes. Et on appelle ça une reconquête de la liberté d’expression.

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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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