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Nous sommes tous juges!

Notre obligation de dire le vrai


Nous sommes tous juges!
Le magistrat et essayiste français Philippe Bilger © Pierre Olivier

A l’époque des réseaux sociaux, où tout le monde exprime son avis sans la moindre rentenue, on nous enjoint souvent de ne pas porter de jugement. Pourtant, que serait un monde sans discernement, sans évaluation et sans liberté d’expression? Le billet de Philippe Bilger.


De la même manière que les quotidiens ne sont jamais meilleurs que durant les vacances, avec des séries passionnantes, je me donne le droit sur ce blog, au cours de cette période, de moins traiter de politique et davantage de thèmes quotidiens et familiers.

Combien de fois dans la vie courante ai-je entendu ces reproches adressés à d’autres ou à moi-même : « Il ne faut pas juger » ou « Il ne faut pas faire de comparaisons »… Je les ai toujours trouvés injustes dans la mesure où le jugement comme les comparaisons sont inévitables et permettent la plupart du temps de mieux faire comprendre les priorités qu’on a et les hiérarchies qu’implicitement on fait tous…

Soutenir le contraire revient à considérer que l’humanité est une masse indistincte, homogène, égale par principe, forcément remarquable dans sa globalité et éblouissante en chacun de ses membres. On sait bien que l’existence, que ce soit celle de nos proches ou de rencontres de hasard, pour nos dilections ou nos rejets, est radicalement aux antipodes de cet égalitarisme de façade. Il n’est pas de moyen plus efficace pour faire connaître nos choix que de les comparer ou de décrire, par exemple, pourquoi telle personnalité nous semble plus riche, plus stimulante que telle autre. Pour n’importe qui, il y a des différences, les unes sont positives et les autres négatives.

La vie elle-même, dans la plupart de ses séquences, évidemment professionnelles mais aussi d’ordre privé, nous confronte à des obligations de dire le vrai, de supporter l’imprévisibilité dure ou louangeuse des appréciations portées sur nous, à une forme de contentieux où successivement nous pouvons être des juges ou des victimes.

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Bien sûr qu’il convient de comparer – la comparaison étant souvent raison -, de ne pas occulter les ombres, de vanter les lumières, de ne pas faire semblant de placer tout le monde à la même aune, de refuser la facilité et la tromperie de l’hypocrisie.

Ce qui nous interdit d’être tous juges est d’une part l’affection, qui pourrait laisser croire qu’il y aurait là comme une contradiction avec les élans du coeur et d’autre part la politesse, nous contraignant par la bienséance à nier ce qui crève l’esprit et les yeux : le fait que l’inégalité est la règle, l’intelligence mal répartie, le courage rare et la sincérité résiduelle.

Ce n’est pas offenser l’humanisme que d’ériger la vérité comme critère capital. Bien au contraire. C’est redonner à chacun ce qui lui est dû et ne pas se payer de mots.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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