Du braillard altermondialiste à l’expert propre sur lui, beaucoup de gens s’accordent ces jours-ci à qualifier « d’islamophobe » l’actuelle mobilisation des habitants de Cologne contre la construction d’une mosquée géante chez eux. Ils appuient leur démonstration (ou le plus souvent son absence) sur la présence de nombreux groupuscules « néo-nazis » au congrès anti-islamique qui s’est tenu ce week-end dans la cité rhénane à l’initiative de l’association « Pro Köln ».
N’étant pas un spécialiste de la vie politique allemande, je ne sais pas si ce congrès est effectivement « islamophobe », notamment dans sa dimension phobique de peur panique injustifiée. Je ne sais même pas si « Pro Köln » est hostile en bloc à l’Islam, ou bien uniquement à l’islamisation, ou alors seulement adversaire de l’islamisme. Ce que je sais c’est que « Pro Köln » n’a sûrement rien à voir avec le nazisme, en tout cas avec le vrai nazisme, qui lui, a toujours été islamophile : on ne laissait pas entrer n’importe qui dans la Waffen SS.
Un vrai néonazi ne pouvant décemment être islamophobe, cette peur maladive de la religion du Prophète est forcément à chercher ailleurs, donc chez ceux qui, bien que ne pouvant même pas être qualifiés de fachos par un antiraciste stagiaire, n’en distillent pas moins l’insidieux poison de l’islamophobie.
Islamophobe hélas, le cardinal Joachim Meisner, archevêque de Cologne quand il déclare : « Nous devons prendre garde à ce que ce lieu ne se transforme pas en zone où s’applique la charia. »
Islamophobe sans doute, Mgr Mixa, l’évêque d’Augsbourg, qui pourtant en mars dernier, au retour d’une visite en Israël et en Cisjordanie avait, entre autres, dénoncé des faits relevant « du racisme ou presque » à l’encontre des Palestiniens . Cela ne l’a pas empêché de poser la question des édifices religieux en termes de réciprocité : « Dans les pays et cultures majoritairement musulmans, a-t-il rappelé, les chrétiens n’ont à ce jour quasiment pas le droit d’exister. En Allemagne, on serait en droit de dire aux musulmans, en toute amitié : il n’y a pas lieu d’avoir de grandes mosquées, d’aspect ostentatoire, avec de hauts minarets, car il devrait suffire pour les musulmans dans un pays de tradition et de culture chrétienne d’avoir des lieux de prière modestes. »
Islamophobe, encore , la sociologue allemande d’origine turque Necla Kelek qui, le 5 juin 2007, se montrait pour le moins réservée sur le projet dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Pour les musulmans, les mosquées ne sont pas des lieux sacrés comme les églises ou les synagogues, mais des « bâtiments multifonctions. » L’islam ne se perçoit pas seulement comme une vision spirituelle du monde. La vie quotidienne, la politique et la foi, sont perçues comme un tout indissociable. Ainsi, de nombreuses associations musulmanes en Allemagne jouent le rôle d’un parti religieux et représentent des intérêts politiques. C’est pourquoi la construction de la mosquée n’est pas une question de liberté de culte, mais une question politique. »
Islamophobe de fait – au grand dam de toute la gauche citoyenne allemande –, le journaliste Gunther Wallraff, mondialement célèbre depuis son livre d’enquête des années 80 Tête de Turc pour lequel il avait passé deux ans dans la peau d’un travailleur immigré. Soucieux de réconcilier les deux communautés, Wallraff, qui vit à Cologne, avait proposé de venir lire dans l’actuelle mosquée des extraits des Versets sataniques de son ami Salman Rushdie, expliquant que ce serait une occasion idéale pour les musulmans tolérants d’envoyer « un signal fort contre l’islamisme ». Hélas, le signal fort, c’est lui-même qui l’a reçu : pour l’association Ditib, qui gère la mosquée de Cologne « une lecture dans l’espace d’une mosquée est hors de question », sa proposition est une provocation qui « blesserait bien sûr le sentiment religieux des musulmans ».
Islamophobe enfin, l’écrivain juif allemand Ralph Giordano, 84 ans, survivant de la Shoah. Giordano est un romancier unanimement reconnu outre-Rhin. C’est aussi une autorité morale, qui depuis trente ans ne cesse d’interpeller les gouvernements allemands pour leur passivité face à la violence des groupuscules néonazis et notamment celle exercée à l’encontre des étrangers. Oui, mais voilà, ces mêmes idéaux humanistes ont récemment conduit le même Giordano à franchir la ligne jaune. Lors d’un débat télévisé l’an dernier, interrogé sur le fameux projet de mosquée, il n’y est pas allé par quatre chemins : « Certains affirment que la construction de cette mosquée serait le symbole d’une meilleure intégration. Je réponds non, trois fois non : les mosquées sont le symbole même du développement d’un monde parallèle. »
Et pour être sûr d’être bien compris, il a été encore plus clair : « Je ne veux pas voir des femmes portant la burqa dans la rue. Je me sens insulté quand je vois cela. Pas par les femmes elles-mêmes, mais par ceux qui les ont transformées en pingouins humains. » On s’en doute de telles déclaration ont valu à leur auteur un lynchage généralisé. D’ailleurs, la preuve que le gentil survivant était devenu un monstrueux islamophobe, c’est que l’extrême droite avait applaudi à ses propos. Manque de bol, là encore Giordano refuse de se laisser dicter sa façon de voir par les vigilants. Sa réponse, sèche, est à la hauteur de l’injure et du procès en collusion avec la Bête immonde : « Il est détestable qu’un faux allié tente de venir vous taper sur l’épaule, mais il ne faut pas pour autant se laisser museler. Et puis zut, il n’est pas nécessaire d’être un survivant de l’Holocauste pour faire front, avec civisme et courage, face aux illusionnistes multiculturels, aux borgnes xénophiles et aux doctrinaires de l’apaisement qui se cachent encore derrière des schémas de pensée de gauche. Personne ne devrait se laisser intimider par la diffamation politique, qu’elle soit le fait des Allemands ou des musulmans. »
C’est donc un peu grâce à la conjonctions de toutes ces islamophobies que l’infâme rassemblement anti-mosquée de ce week-end a pu avoir lieu – ou presque : à la suite de violentes manifestations d’extrême gauche, le congrès prévu pour durer jusqu’à dimanche soir, a finalement été écourté par une interdiction décidée samedi par les autorités allemandes, tout comme a été interdit le défilé anti-mosquée qui devait l’accompagner. Une décision tardive, mais qui comble de joie l’ensemble de la gauche et les associations musulmanes qui depuis des mois, avaient réclamé en vain une telle mesure. Une interdiction qu’avait exigée aussi, très officiellement le Ministère iranien des Affaires étrangères et, plus précisément, son «Département des droits de l’Homme ».
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !