Monsieur le président,
Vous avez été assez aimable pour m’adresser une lettre ouverte publiée par Causeur.
D’abord, et ce n’est pas si fréquent en ces temps agités, j’ai été sensible à la courtoisie de votre ton, à la délicatesse de votre forme. Rien qu’elles m’auraient déjà donné l’envie de vous répondre.
Pour le fond, vous devinez bien que j’ai quelques objections à faire valoir même si, pour ne rien vous cacher, j’ai hésité quelques secondes avant d’écrire ce que vous me reprochez, ce qui montre que j’avais conscience de la difficulté du sujet mais que le besoin d’analyse et la volonté de sincérité ont été les plus forts.
Lâche, je pourrais m’abriter derrière la rançon inévitable d’une subjectivité libre dans le cadre d’un blog où je n’ai pas fait que vous critiquer, loin de là. J’ai pu constater en effet que sur certains plans nous n’étions pas en désaccord même si très modestement j’ai eu du mal à accepter qu’un homme intelligent comme vous continue à pactiser avec un ex-président qui avait tout de même trahi la droite de rêve promise en 2007 et fait perdre son camp en 2012.
Mais je ne veux pas fuir le cœur de votre dénonciation.
Vous me blâmez parce que j’ai écrit, dans un post long où seule une phrase vous était consacrée, que vous étiez « en l’occurrence, plus attaché au communautarisme qu’à l’état de droit » puisque « vous aviez approuvé sans l’ombre d’une réserve la démarche de Manuel Valls ».
D’une part, je n’ai pas perçu – et je ne m’en repens pas – à quel point il serait choquant de formuler une telle appréciation qui, au demeurant, ne vous visait que pour cette hystérie gouvernementale liée aux spectacles de Dieudonné. L’enfermement douloureux dans la mémoire de l’Holocauste et, au nom de celle-ci, la sous-estimation démocratique de la liberté d’expression, après tout, sont trop fréquents à mon sens pour que je puisse bêtement en faire un procès à votre seule charge. Quasiment toute la communauté juive est souvent, pour des motifs que je peux comprendre et que j’ai expliqués ailleurs, plus soucieuse de sa défense exclusive que des atteintes éventuelles, quand elle est concernée, à l’état de droit. Pour ne prendre que l’exemple d’un intellectuel emblématique et remarquable, quoi qu’on en pense, Bernard-Henri Lévy n’a jamais fait que trancher sans cesse en faveur de cette seule sauvegarde sans jamais s’interroger sur son dépassement démocratique même si récemment le nouveau président du CRIF a su faire preuve d’une mesure et d’une sagesse rares auxquelles j’ai rendu hommage.
J’ajoute que ce risque m’est d’autant plus familier qu’à plusieurs reprises j’ai eu beaucoup de mal, certes sur un registre infiniment moins accablant, devant des spectacles vulgaires ou indécents et face à des profanations de toutes sortes offensant et dégradant le pape et le christianisme, à me dégager de mes croyances pour ne pas tomber dans une surenchère peu conforme au respect des libertés publiques.
Le constat unique que j’ai opéré à votre sujet me paraît aisément admissible dans la mesure où il traitait d’une atteinte exceptionnelle à l’Etat de droit, quasiment jamais vue, émanant d’un pouvoir de gauche donnant souvent des leçons de morale sur ce plan mais n’ayant pas hésité, contre notre tradition, à prohiber administrativement des représentations au lieu de les laisser éventuellement sous le joug judiciaire, donc a posteriori. De votre part – et vous vous trompez sur moi : il est des personnalités qui n’exigent pas qu’on soit toujours d’accord avec elles pour qu’on les considère -, une telle adhésion sans réserve à la posture moralisatrice et de diversion politique m’est apparue suffisamment grave et surprenante pour que j’y voie pour une fois une entorse à vos principes. Ce n’était pas honteux de le croire et de vous l’imputer. Mais si, même pour ce scandale républicain, votre soutien n’était motivé que par votre esprit civique et une autre conception de l’état de droit que la mienne, je reconnais mon erreur et fais amende honorable.
Vous m’avez déçu sur un seul point. Votre allusion à mon père et à sa condamnation injuste manque de classe. Il est vrai que vous avez pour conseiller et ami, si j’en crois la rumeur, l’avocat Szpiner qui s’est illustré après le procès Fofana en me traitant de « traître génétique ». Il n’a même pas eu le courage d’assumer cette ignominie verbale et je ne vous ai pas entendu la dénoncer. Pour cet avocat, la sanction disciplinaire qui lui a été infligée par la cour d’appel de Lyon n’a sans doute pas affaibli sa navrante estime de soi.
Je ne veux pas terminer sur cette note amère.
Je vous remercie de nous avoir permis, grâce à votre initiative, d’apporter modestement au débat public une contribution qui a du sens.
*Photo : DESSONS/JDD/SIPA. 00672879_000028.
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