Certaines guerres doivent être évitées, d’autres doivent être menées. Méfions-nous de l’hubris. En France, face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, certains “grands penseurs” autoproclamés se permettent du haut de leurs fauteuils confortables de condamner les uns ou les autres, de distribuer les bons et les mauvais points…
C’est la guerre en Ukraine, c’est la guerre à nos portes. Une guerre fratricide entre deux peuples européens, une guerre dont l’un des protagonistes détient le pouvoir d’anéantir la France en quelques minutes. La France n’a jamais cessé de faire la guerre, mais les Français avaient oublié ce que cela signifie d’avoir peur de la guerre.
Et les beaux esprits ne doutent de rien. Ils ne doutent pas, ils ne savent plus douter, leurs égos boursoufflés ne leur laissent plus aucune place pour le doute ni pour le débat. Alors ils assènent leurs certitudes, et à l’instant où se déchaînent les horreurs de la guerre ils ne prennent pas même une minute pour réfléchir humblement face aux forces qui ravagent des pays et des peuples, et ils pontifient.
Hubris.
Ceux qui n’hésitent pas un instant avant d’appeler un peuple à se battre jusqu’à l’anéantissement s’il le faut, au nom de valeurs plus importantes que tout, jusqu’à ce que tout ne soit que ruines trempées du sang des enfants – mais eux-mêmes, partiront-ils se battre aux côtés de ceux qu’ils encouragent à mourir ?
Ceux qui n’hésitent pas un instant à appeler un peuple à déposer les armes face à l’envahisseur pour survivre – mais eux-mêmes, voudraient-ils se laisser envahir, voudraient-ils sans combattre livrer leurs enfants à une tyrannie étrangère ?
Ceux qui sans même y penser, comme si c’était banal, prennent le risque d’attirer la guerre sur notre sol, sur nos familles, sur nos enfants, oubliant que c’est une chose de partir se battre, et une tout autre de faire venir la guerre jusque chez soi.
Ceux qui sans même y penser, comme si c’était banal, sont prêts à toutes les compromissions pour ne surtout pas attirer la guerre sur notre sol.
Ont-ils pris le temps de douter, de songer que certaines guerres doivent être évitées et que d’autres doivent être livrées, et qu’il n’est pas toujours simple de distinguer les deux ? Le temps de suspendre la parole et le geste, le temps de trembler devant la puissance et les armes sanglantes d’Arès, avant de choisir d’ouvrir ou non les portes de la guerre ?
Hubris.
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Churchill a douté avant de choisir de combattre, Dunkerque, le Blitz, les enfants envoyés à la campagne et les abris dans les caves.
Les Romains, pourtant guerriers et conquérants, consultaient les augures avant de partir au combat.
Mais en France, aujourd’hui, tout le monde disserte sur la guerre, sauf les militaires qui la font et n’ont pas le droit de s’exprimer librement. On veut la fleur au fusil comme si l’arme nucléaire n’existait pas, ou on prend prétexte de cette arme pour ne surtout rien risquer de changer à son quotidien, alors qu’il est possible d’agir, mais pas n’importe comment.
On s’invente des histoires avec des gentils totalement gentils et des méchants totalement méchants, on a oublié que l’ennemi n’est pas forcément un monstre, et que quelqu’un qui n’est pas un monstre peut néanmoins être un ennemi. On a oublié que Hector et Achille étaient tous deux des héros, que Brasidas et Périclès étaient tous deux des hommes de bien, on a oublié des siècles de chevalerie où l’on savait respecter ceux contre qui on se battait, et où l’on savait néanmoins qu’il est parfois nécessaire de choisir un camp.
On rivalise de postures vertueuses ou raisonnables, on met en scène un narcissisme abject mâtiné de photos publicitaires, on instrumentalise à des fins électoralistes, on étale sa satisfaction obscène de donner tort à ses vieux ennemis politiques, en se moquant bien sûr éperdument de ceux qui là-bas, en Ukraine, meurent sous les balles et sous les bombes.
Hubris.
Oui, il y avait d’excellentes raisons de respecter Vladimir Poutine : alors que son pays était vendu à la découpe, il lui a rendu le sens de la grandeur, et sa fierté à son peuple. Les Russes étaient acculés par les oligarques et par l’avidité de puissances étrangères qui exploitaient sans vergogne leur misère, et ils ont réussi à relever la tête. Il faudrait n’avoir ni cœur ni honneur pour y être insensible.
Mais l’autocrate est devenu tyran, et tout ce que nous voyons nous porte aujourd’hui vers les Ukrainiens : leur courage, leur détermination, la fierté d’une nation qui veut tout simplement être, la dignité d’un peuple qui ne se résigne pas, qui met les femmes et les enfants à l’abri tandis que les hommes retournent combattre – il y a bien longtemps que nous n’avions pas vu cette noblesse. Il faudrait n’avoir ni cœur ni honneur pour y être insensible.
Et ici, des juges autoproclamés se permettent du haut de leurs fauteuils confortables de condamner les uns ou les autres, de distribuer les bons et les mauvais points, de donner des leçons au monde entier, alors que les uns encouragent ceux qui envahissent chaque jour un peu plus leur propre pays et humilient chaque jour un peu plus leur propre peuple, et que les autres renoncent bien vite à soutenir un peuple frère qui, lui, refuse l’invasion de sa patrie et l’humiliation de la soumission à l’étranger. Et dans la médiocrité de la fange qui leur tient lieu de pensée, les idéologues censurent Tchaikovski….
Hubris.
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Et hubris, aussi, de ce pays d’outre-océan qui joue avec le monde comme avec un jeu d’échec, et sème les graines de la guerre pour monter les uns contre les autres ceux dont il craint qu’un jour ils lui fassent de l’ombre. Hubris, aussi, de cette Union Européenne qui prétend imposer sa volonté à tous les peuples d’Europe, cette UE qui s’acharne à vouloir interdire à nos frères Polonais de revendiquer leur souveraineté, à l’heure même où ils repoussent l’invasion migratoire de populations hostiles à notre civilisation mais accueillent avec une générosité qui nous oblige un million de nos frères Ukrainiens.
L’hubris a toujours conduit à l’effondrement. Puissions-nous retrouver l’humilité de savoir que nous ne sommes pas au-dessus du tragique de l’histoire, et ne jamais le prendre à la légère. Puissions-nous respecter assez la guerre pour la savoir terrible, et nous redonner les moyens de menacer et dissuader ceux qui voudraient la porter sur notre sol ou sur celui de nos alliés. Puissions-nous retrouver la fierté de douter et de débattre plutôt que l’arrogance d’asséner des certitudes. Puisse la Russie se souvenir qu’elle n’a pas besoin d’être un empire pour être grande. Puisse le peuple ukrainien retrouver au plus vite la paix, sans devoir renoncer à la liberté. Et puissions-nous trouver enfin un moyen concret, qui ne soit ni lâche ni suicidaire mais simplement efficace, de l’y aider.
Très puissant Arès, puissé-je toujours me détourner de l’amère lâcheté, mais contenir aussi l’impétuosité trompeuse de l’âme, et réprimer la violence du cœur qui me pousserait à d’inutiles et cruels combats. Ô Immortel, Bienheureux ! Donne-moi le vrai courage, afin que je repousse les ennemis loin de ma terre, et qu’elle demeure sous les lois inviolées de la paix.