Inspirés par Le Radeau de La Méduse, les chorégraphe et compositeur de Nous, le Radeau créent un spectacle au climat halluciné.
« Voilà un naufrage qui ne fera pas celui de son auteur », lança Louis XVIII lors du Salon de 1819, devant Scène de naufrage, l’immense morceau de bravoure de Géricault, aujourd’hui rebaptisé Le Radeau de la Méduse.
Et voilà encore un ouvrage qui ne fera pas non plus le naufrage de ses auteurs, le chorégraphe Emio Greco et le compositeur Franck Krawczik, lesquels se sont inspirés du tableau et de la tragédie du navire La Méduse pour composer Nous, le Radeau.
Créé à la Cité de la Musique, à Paris, cet étonnant spectacle musical et chorégraphique a fait l’effet d’une heureuse surprise quand l’époque est à la morosité dans le domaine de la création. Il s’inscrit dans une série de productions mêlant musiciens, metteurs en scène et chorégraphes, qui a déjà vu œuvrer côte à côte Benjamin Lazar et Maxime Pascal, ou Romeo Castellucci et Esa-Pekka Salonen, et qui verra bientôt collaborer Robyn Orlin et Camille Dalmais, Benjamin Millepied et Olivier Latry, Shin-Young Lee et Idio Chichava, Laurent Pelly et Nathalie Dessay, Les Arts Florissants et Amala Dianor, ou encore, pêle-mêle, Peter Sellars, Rocio Molina, Tanguy de Williencourt…
La composition de Krawczik déploie un éventail parfaitement improbable où ses compositions propres alternent avec des arrangements puisés chez Bach, Purcell, Vivaldi, Beethoven, Mahler, Schoenberg… et où il s’est attaché les présences de Sonia Wieder-Atherton au violoncelle, du pianiste Wilhelm Latchoumia, du clarinettiste Carjez Gerretsen et d’un duo infernal, Benjamin Munier à la basse et Raphaël Aboulker à la batterie.
A lire aussi: Edouard Limonov, ou la vie comme rhapsodie
Tous aventuriers au sein d’une masse sonore ébouriffante, tempétueuse, discordante, étrangement séduisante enfin, à laquelle participent encore des ensembles vocaux qui font merveille : l’Ensemble vocal du Conservatoire de Pantin, le Chœur A Piacere, le Chœur philharmonique et l’Ensemble vocal des grandes Écoles.
Porté par ces vagues sonores, Emio Greco, que seconde Pieter Schoelten, balaie le plateau en tempête avec une chorégraphie sauvage, désarticulée, véhémente et d’une extraordinaire vigueur, mettant en scène sept jeunes danseurs de la compagnie ICK Dans Amsterdam, parmi lesquels surgissent deux personnages d’une poésie noire : un échassier, et un danseur surtout, immense et fantomatique, dont la silhouette démesurée surplombe une Sonia Wieder-Atherton comme vampirisée par ce spectre qui ajoute son archet au sien.
Et la mise-en-scène multiplie des images étonnantes, comme cette pyramide humaine qui s’agglutine autour du clarinettiste et finit par l’engloutir.
Quand le spectacle s’achève, on serait bien en peine d’en définir le contenu, et plus encore peut-être de le rattacher au manifeste inscrit dans le programme et dont on retiendra cependant cette phrase : « Notre but n’est pas de recréer le tableau, mais d’évoquer la volonté inflexible du corps à survivre quand tout le reste a disparu ; c’est la survie qui constitue la force viscérale et motrice de cette œuvre. »
Il s’en dégage assurément une séduction, une énergie qui emportent l’adhésion. Comme si de ce maelström gestuel et sonore surgissait une force vitale d’une ombrageuse et tragique beauté.
Cette œuvre hors norme a été créée début décembre à la Cité de la Musique. Le public n’a pu l’admirer que deux soirs de suite, espérons qu’elle a séduit des producteurs qui nous offriront prochainement quelques reprises.