Ce qui est étonnant, en cet automne 2009 riche en « affaires » politiques et judiciaires, c’est l’effacement total de ceux qui, en principe, sont qualifiés pour être les gardiens de la moralité publique.
Dire ce qui est bien, ou mal, au regard des principes d’une éthique religieuse ou laïque est la fonction des clercs, ou de ce qui en tient lieu pour les athées et agnostiques : des gens reconnus comme des sages par le plus grand nombre. Les clercs sont muets, ou ne parviennent pas à se faire entendre, et on chercherait vainement dans le monde intellectuel ou artistique l’équivalent d’un Sartre, d’un Aron ou d’un Mauriac, dont les sentences contribuaient à la fixation d’une norme communément admise.
[access capability= »lire_inedits »]Nos « grands » éditorialistes comme Jean Daniel, BHL ou Edwy Plenel ont beau être des candidats permanents à cette fonction, ils ne suscitent qu’un intérêt pas toujours poli dans le public et n’influencent que leurs groupies attitrés.
Et pourtant, les réactions exprimées sur la Toile et au fil des sondages au moment des affaires Clearstream, Polanski, Mitterrand et Jean Sarkozy dessinent en creux le nouveau paysage éthique français.
Une première constatation s’impose : Nicolas Sarkozy a échoué dans sa tentative de faire du président de la République un personnage ordinaire, dont le comportement obéirait à la règle commune, dans sa vie privée comme dans sa vie publique. Il a dû renoncer à s’afficher publiquement avec ses amis de cœur, patrons du CAC 40 et artistes de variétés populaires.
On ne comprend pas son acharnement contre Dominique de Villepin et sa prétention à être un justiciable ordinaire alors qu’il est le plus haut magistrat de la République. Lorsqu’il se comporte comme tout bon père de famille qui cherche à pistonner sa progéniture dans le monde du travail, il est désavoué par ceux-là même qui écrivent à leur député ou au président de la République pour obtenir faveurs et passe-droit. Le renoncement de Jean Sarkozy à la présidence de l’EPAD est la conséquence d’une jacquerie éthique qui postule que ce qui est permis au vilain ne l’est pas au prince…
Les Français ne veulent pas d’un président désacralisé : ce dernier doit s’appliquer à lui-même des règles dont les citoyens ordinaires sont autorisés à s’affranchir, pour autant qu’ils ne transgressent pas le Code pénal. Mais lorsque l’on est descendu de l’Olympe, il est très difficile d’y remonter.
Frédéric Mitterrand s’en tire bien, très bien même si l’on en croit les sondages. Cela relativise les jérémiades de ceux qui voient de l’homophobie partout. Peu de gens ont lu La Mauvaise vie, même si ce livre a connu un beau succès de librairie, mais le ministre de la Culture a réussi à émouvoir le peuple avec des accents de sincérité − réels ou feints, peu importe − qui ont fait passer l’ambigüité de ses aveux sur sa sexualité. Le pardon au pécheur qui se repent est une tendance lourde de la morale populaire.
Roman Polanski a eu moins de chance. Tout d’abord parce qu’il n’est pas, comme Frédéric Mitterrand, un chouchou du populaire. Ce cinéaste est surtout apprécié des gens cultivés, qui l’ont soutenu en masse lors de son arrestation en Suisse. Ensuite, dans l’échelle des turpitudes, le viol de mineure dont il est accusé est considéré comme infiniment plus grave que le tourisme sexuel avoué. Enfin, prétendre à un traitement différent du justiciable ordinaire parce que l’on est riche et célèbre heurte profondément l’égalitarisme à la française. Le vacarme des élites favorables à Polanski a fait l’effet du pavé de l’ours de la fable et rendu inaudible le seul argument susceptible de renverser la vapeur : si Polanski s’est enfui de Californie, c’est qu’il risquait une lourde peine de prison requise par un juge qui voulait « se faire » une célébrité. L’argument de l’exception pouvait alors se retourner en sa faveur.
Parmi les rescapés de l’indignité, on trouve Bernard Kouchner, dont les petites affaires africaines n’ont pas entamé la popularité, et Éric Besson, qui se sort très bien du personnage de traître vilipendé par ses anciens amis socialistes et de la charge au canon de son épouse larguée sur ses frasques sexuelles.
N’étant pas de ceux qui croient que le peuple a toujours raison et les élites toujours tort – l’exemple de la peine de mort est classique, mais il est loin d’être le seul – je n’en suis que plus à l’aise pour dire que les Français, ces derniers temps, ont bricolé une morale qui leur ressemble : assez tolérante pour eux-mêmes, exigeante pour ceux d’en haut, et permettant des petits arrangements qui fluidifient les relations sociales.[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !