Plus de cinq ans après son incendie, la cathédrale rouvre ses portes. C’était une volonté présidentielle. Le chantier de restauration a ressuscité des savoir-faire ancestraux, révélé des trésors oubliés et réveillé la querelle des anciens et des modernes. De quoi s’inquiéter, mais surtout s’émerveiller.
L’incendie de Notre-Dame a suscité une émotion inouïe. En un temps record, 840 millions d’euros de dons ont été rassemblés à travers le monde. C’est aussi cet attachement de la population à sa cathédrale qui a imposé au président de la République une reconstruction authentique, au moins pour l’essentiel.
Un foisonnement de chantiers
Voûtes, flèche, charpente en chêne, couverture en plomb, tout a repris sa place. Il suffit de se promener sur les quais pour voir ce prodige : Notre-Dame est de retour. Divers chantiers ont été conduits prestement. Des fouilles ont été menées, permettant de retrouver le décor de l’ancien jubé[1]. De magnifiques peintures murales conçues par Viollet-le-Duc ont été rénovées. Les Mays[2] ont été restaurés. Un grand nettoyage de l’intérieur, notamment des vitraux, a été fait.
Des travaux se poursuivront en 2025 et après. Ce sera le cas pour la couverture du bas de la flèche, ses statues (avec une patine désormais brun foncé) et les pinacles du chevet.
Un musée de l’Œuvre est annoncé dans une partie de l’Hôtel-Dieu et la Mairie de Paris promet de réaménager les abords du site : une « pacification » qui consiste à piétonniser-végétaliser ; c’est devenu pavlovien.
Le clergé préfère l’art « épuré »
Le clergé n’est pas totalement passionné par cette reconstruction. D’abord, le pape François boudera la cérémonie de réouverture. Et tout au long du chantier, on a entendu le diocèse exprimer un certain détachement par rapport aux vieilles pierres. « Ma cathédrale, a tout de suite déclaré l’archevêque, c’est le peuple de Dieu ! » Ou encore « ce n’est pas seulement l’église de pierre que nous allons reconstruire ».
Les ecclésiastiques sont dans l’embarras. Depuis Vatican II, l’Église a rompu avec sa riche tradition artistique et préconise un art réduit a minima. Le terme qui revient souvent pour définir le style souhaitable est « épuré ». Les prêtres souffrent aussi d’être placés dans le rôle de supplétifs d’un patrimoine suranné. Ils tiennent à paraître de leur temps, donc à évoluer dans un décor ponctué de marqueurs de la modernité.
Une des figures incarnant cette aspiration est le recteur-archiprêtre Mgr Ribadeau Dumas. Pour ce prélat d’aujourd’hui, la cathédrale doit rester « vivante ». Il faut donc que son décor s’adapte.
En résumé, le clergé n’aime pas qu’on l’encombre de vieilleries. C’est ce qui motive son refus du retour de la « Couronne de lumière », magnifique lustre central dessiné par Viollet-le-Duc. Et l’État considérant que le mobilier liturgique relève du domaine réservé du diocèse, baptistère, chaises, autel et ambon vont être recréés en style « épuré ».
Idem pour la Couronne d’épines qui ne sera pas replacée dans son précieux reliquaire, mais présentée dans une grande roue design placée dans le chœur, à portée du public qui pourra la toucher.
Sept tapisseries sont également commandées à deux artistes. Le Kényan Michael Armitage, connu pour ses peintures figuratives évoquant le contexte sociopolitique et spirituel de l’Afrique de l’Est, et l’expressionniste espagnol Miquel Barceló, également inspiré par l’Afrique.
Enfin, le clergé met à profit le grand afflux de fonds pour refaire toute sa garde-robe sacerdotale, tâche confiée au couturier Castelbajac.
L’affaire des vitraux
Le président de la République, en accord avec l’évêché, souhaite aussi remplacer une série de vitraux de Viollet-le-Duc. C’est que son désir de modernité n’a pu être satisfait avec la flèche. Ces vitraux ont pourtant été restaurés avec l’argent de la souscription et sont classés monuments historiques. Ils forment un ensemble cohérent avec tous les décors créés par Viollet-le-Duc. Leur élégant dessin en grisaille avec quelques traits de couleur est un jalon entre la réappropriation du Moyen Âge et les prémices de l’Art nouveau.
La commission consultative (CNPA) a unanimement voté contre. Même les fonctionnaires qui en sont membres n’ont pas suivi les instructions venues d’en haut. L’Académie des Beaux-Arts a émis un avis similaire. Et Roselyne Bachelot, citée par La Tribune de l’art, a écarté ce remplacement avec clarté : « Je rappelle tout simplement que la France a signé la convention de Venise de 1964 qui rend absolument impossible toute dépose desdits vitraux et leur remplacement par des œuvres modernes. » Huit artistes ont malheureusement été présélectionnés pour un concours, parmi lesquels Daniel Buren : l’inquiétude est légitime. En outre, Bernard Blistène, ancien dirigeant de Beaubourg et prosélyte de l’art contemporain, sera le président du jury.
Il est possible que l’on découvre d’autres entorses à la déontologie. On sait déjà que le coq d’origine a été remplacé, dessiné par l’architecte en chef lui-même, qui place ainsi sa touche personnelle au sommet de l’édifice. Ce nouveau volatile ventru ressemble plus à une dinde qu’à un coq, mais on nous dit que c’est un phénix.
De quoi Notre-Dame est-elle le nom ?
Pourquoi ce chantier passionne-t-il tant ? Sa taille n’y est pour rien. Il est cinq fois plus petit que celui du RER Éole porte Maillot qui, lui, n’intéresse personne. Les ressorts sont plus profonds. L’un d’eux est la nostalgie pour une forme de travail artisanal gratifiant. Il y a aussi un rapport spécifique à l’architecture elle-même. Notre-Dame est un type d’architecture non utilitaire, voué seulement à la beauté et à la spiritualité.
Emmanuel Macron a voulu que la restauration soit réalisée en cinq années. C’est chose faite pour l’essentiel, et on peut lui en savoir gré. Cependant, au lieu de garantir le respect des règles nationales et internationales en matière patrimoniale, il n’a cessé de vouloir s’en affranchir. En réalité, ce qui a permis une restauration sérieuse, c’est l’attachement du public à sa cathédrale et la recherche de l’authenticité par les professionnels concernés, scientifiques et métiers d’art.
[1] Tribune transversale en forme de galerie, élevée jadis entre la nef et le chœur.
[2] Grandes peintures offertes par la corporation des orfèvres de 1630 à 1707, au mois de mai, d’où leur nom. Elles sont exposées aux Gobelins.