En ce jour où les mots manquent, c’est la littérature, cathédrale de France, qui parle le mieux des souffrances de Notre-Dame…
Notre-Dame a brûlé et nous aussi sommes embrasés, croyants ou non. Une part de nous s’en est allée. Les mêmes mots, les mêmes pleurs devant l’impensable. Le cœur de Paris atteint, vidé de son sang. Elle protégeait Paris, elle était la joie des affligés, elle illuminait le monde et d’un coup une béance sidérale, tel un soutien absolu qui se retire. D’où la requête muette, intime, de dire, à notre manière, ces paroles du psaume 22 que récite le Christ en croix : « Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? »
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Par-delà la tragédie cultuelle et culturelle, par superstition, suggestion ou intuition, on sent un message trouble, illisible pour l’heure. Victor Hugo est tristement à l’honneur. L’être lambda ne sait que dire. Sait-il encore prier ? Ce jour pas comme les autres ressemble au samedi saint, étrange absence d’un homme-dieu mort et pas encore ressuscité.
« C’est un phare allumé sur mille citadelles »
Ce sont des poètes passant pour de grands pécheurs, des génies du mal et du bien, poètes maudits, si loin des bondieuseries, qui expriment le mieux notre cri tu, notre lourd sanglot.
Baudelaire d’abord, dans Les Phares :
« C’est un cri répété par mille sentinelles
Un ordre envoyé par mille porte-voix.
C’est un phare allumé sur mille citadelles
Un appel des chasseurs perdus dans les grands bois. »
C’est nous ces chasseurs, nous sans loi ni foi, nous adorateurs du veau d’or, nous marchands du temple, nous les renégats, nous apostats des grâces reçues, nous qui mettons l’humain en-dessous de toutes les valeurs ou plutôt des non-valeurs.
« En cette foy je veux vivre et mourir »
Puis le mauvais ladre, voleur maintes fois condamné à la pendaison, François Villon, qui à la demande de sa mère, écrit Ballade pour prier Notre-Dame :
« Dame du ciel, régente terrienne,
Empérière des infernaux palus, Recevez-moi, vostre humble chrétienne,
Que comprise sois entre vos élus,
Ce non obstant qu’oncques rien ne valus.
Les biens de vous, ma Dame et ma Maîtresse,
Sont trop plus grands que ne suis pécheresse,
Sans lesquels biens âme ne peut mérir
D’avoir les cieulx, je n’en suis jengleresse :
En cette foy je veux vivre et mourir.
A votre Fils dites que je suis sienne ;
De lui soient mes péchés absolus,
Ou comme il fit au clerc Theophilus,
Lequel par vous fut quitte et absolus,
Combien qu’il eût au diable fait promesse.
Préservez-moi de faire jamais ce,
Vierge portant, sans rompure encourir
Le sacrement qu’on célèbre à la messe,
En cette foy je veux vivre et mourir.
Femme je suis pauvrette et ancienne,
Qui rien ne say, ; oncques lettres ne lus.
Et un enfer où damnés sont boullus :
L’un me fait peur, l’autre joye et liesse.
La joie avoir me fay, haute Déesse,
A qui pécheurs doivent tous recourir,
Comblés de foy, sans feinte ni paresse.
En cette foy, je veux vivre et mourir.
Vous portastes, Vierge, digne princesse,
Jésus régnant qui n’a ni fin ni cesse
Le Tout Puissant, prenant notre faiblesse,
Laissa les cieulx et nous vint secourir,
Offrit à mort sa très chère jeunesse :
Nostre Seigneur tel est, tel le confesse,
En cette foy je veux vivre et mourir. »
« Je ne veux plus penser qu’à ma mère Marie »
Pour finir, des vers de Verlaine dans Sagesse :
« Je ne veux plus penser qu’à ma mère Marie,
Siège de la Sagesse et source de pardons,
Mère de France aussi, de qui nous attendons
Inébranlablement l’honneur de la Patrie. »
Les mots ordinaires n’étaient pas pour ce jourd’hui marqué d’une pierre tombale. A l’orant et au récitant en nous, à ceux qui croient au Ciel, à ceux qui n’y croient ou croient autrement, cette littérature-cathédrale de France offerte telle une litanie de détresse à notre inconsolable vision du feu…
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