90% des incendies qui frappent les monuments historiques se déclareraient lors des chantiers de rénovation. Avant Notre-Dame, le Ritz, la maison de la Radio et le palais de Chaillot en ont fait les frais. Dans tous les cas, le manque d’entretien impose des travaux d’envergure durant lesquels la moindre négligence peut allumer la mèche.
Quel est le point commun entre Notre-Dame de Paris, la Bibliothèque nationale – site Richelieu –, l’hôtel Lambert, le Ritz, la maison de la Radio ou le palais de Chaillot ? Tous ont failli disparaître dans un incendie alors que des chantiers de rénovation étaient en cours. Et ce n’est pas le résultat d’une malédiction divine, plutôt celui de la faillibilité humaine.
« Les procédures sont très rarement respectées, tout le monde s’en fout »
L’enquête déterminera la cause de l’incendie qui a ravagé Notre-Dame, son origine et peut-être même ses responsables. Si on ignore quand elle s’achèvera (pour la réélection d’Anne Hidalgo en 2020 ? pour les JO de 2024 ?), on peut gager que, quelles que soient ses conclusions, certaines habitudes seront difficiles à perdre. Quelle que soit sa nature, un chantier comporte toujours des dangers : on manie des choses qui brûlent, qui piquent et qui coupent, à quoi s’ajoutent d’inévitables imprudences, légèretés et inattentions. Le risque zéro n’existe pas. Il est cependant stupéfiant que le « principe de précaution » ne soit pas rehaussé de plusieurs degrés quand il s’agit de restaurer un trésor de l’humanité, un patrimoine vivant du culte catholique et de l’histoire de France.
A lire aussi: Elisabeth Lévy – Notre-Dame : Macron et Hidalgo pressés par les J.O.
Comme sur un bateau, le feu est la principale préoccupation des responsables de chantiers de monuments historiques. Sur le papier du moins. Sous couvert d’anonymat, un expert incendie auprès de la cour d’appel de Paris affirme que « les procédures sont très rarement respectées, tout le monde s’en fout, les entreprises comme les assurances. Quand on voit certaines choses, c’est hallucinant ! » Et le patron de Le Bras Frères, principale entreprise chargée des travaux de Notre-Dame, a beau affirmer que « les procédures de sécurité ont été respectées », il s’est bien pris une tuile sur le toit de la cathédrale. Ses ouvriers-compagnons ont vite reconnu avoir enfreint l’interdiction de fumer, arguant que c’était « un peu compliqué de descendre » pour s’en griller une. Rien de grave, à en croire le porte-parole de l’entreprise spécialisée dans les chantiers patrimoniaux, car une cigarette mal éteinte ne peut pas être à l’origine du sinistre : « N’importe qui ayant déjà essayé d’allumer un feu de cheminée sait que ce n’est pas en mettant un mégot sur une bûche en chêne qu’il se passera quelque chose. » Une explication écartée à regret par Nicolas Brossard, président des maîtres couvreurs des Compagnons du devoir-section Paris. Selon lui, « la charpente de Notre-Dame était composée de chêne, mais aussi de peuplier et parfois même de sapin ajouté lors de restaurations antérieures. De plus, « la forêt » reposait dans une atmosphère confinée riche en CO2 et saturée de poussière. Un cocktail particulièrement inflammable avec un simple mégot. »
« Il y a parfois un feu couvant »
L’autre hypothèse est un « classique » des chantiers de couverture : le feu couvant. Les incendies de la BNF ou du Ritz sont partis des toitures après le départ des ouvriers. Ces travaux sont délicats, car ils nécessitent soudures au chalumeau et découpes de métaux à la disqueuse, qui projettent des étincelles à plusieurs mètres. C’est pourquoi depuis une ordonnance préfectorale de 1970, ces opérations par « point chaud » se doivent d’être précédées d’une déclaration et de l’obtention d’un « permis feu ». Ce document impose (en principe) des consignes de sécurité avant, pendant et après les travaux, avec un maintien de surveillance d’au moins deux heures après l’intervention, car « l’incendie, selon Thierry Fisson, expert auprès du Centre national de prévention et de protection, ne part pas toujours immédiatement, il y a parfois un feu couvant, d’une durée variable, le temps que la matière combustible libère des gaz inflammables ». Et si en plus, comme à l’hôtel Lambert, des bouteilles de gaz restent sur le chantier pendant la nuit au lieu d’être remisées dans un lieu sécurisé, c’est l’embrasement général.
Ces dangers sont donc connus et encadrés. Or, 90 % des incendies qui frappent les monuments historiques se déclareraient pourtant lors des chantiers de rénovation ! Chiffre ahurissant soufflé par le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France à Didier Rykner, rédacteur en chef de La Tribune de l’art.
Notre-Dame et la politique du manque d’entretien
Dès lors, une seule question s’impose : pourquoi ? Selon de nombreux spécialistes du patrimoine, le manque d’entretien fréquent de nos monuments impose des travaux d’envergure dès lors qu’on décide de leur refaire une beauté. Et plus un chantier est important, plus il comporte de risques. Pour Philippe Bélaval, président du Centre des monuments nationaux, « une politique volontariste d’entretien régulier rendrait moins nécessaires des grandes opérations de restauration très coûteuses et assurerait un meilleur niveau de sécurité ». Mais après ces propos pleins de bon sens, le même fonctionnaire ajoute : « Si on élève le niveau d’exigences en termes de mesures de sécurité, on va élever en même temps le coût des opérations de restauration et d’entretien. Si on renchérit, il y en aura moins. Il ne faut pas que le souci très louable d’avoir le niveau le plus haut possible de sécurité se révèle contre-productif, en rendant plus difficiles et beaucoup plus rares les grands chantiers ».
Alors que Notre-Dame de Paris menace toujours de s’effondrer, cette justification à peine voilée d’une politique patrimoniale du tout ou rien a de quoi choquer. Elle peut cependant s’expliquer, en partie, par le fait que les architectes des monuments historiques sont payés au pourcentage des travaux qu’ils engagent.