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Notre-Dame : Macron et Hidalgo pressés par les J.O.

Objectif 2024 à tout prix!


Notre-Dame : Macron et Hidalgo pressés par les J.O.
Edouard Philippe, Anne Hidalgo et Emmanuel Macron devant Notre-Dame, avril 2019. Photo : Stéphane Lemouton/ pool Sipa.

Notre-Dame attestait de notre inscription dans l’histoire longue d’une France catholique. A priori réjouissantes, les retrouvailles de la nation au chevet de la cathédrale incendiée reposent sur un vaste malentendu. Car Emmanuel Macron et Anne Hidalgo entendent la reconstruire pour les Jeux Olympiques 2024, aggravant ainsi le saccage des beautés du monde par le tourisme de masse. 


Il n’y avait pas de bougies – ce n’étaient pas des vies humaines que l’on pleurait, ce funeste soir d’avril. Et puis pour un incendie, cela aurait été étrange. Pas de non plus de pancartes : « Je suis Notre-Dame » aurait donné l’impression qu’on se poussait du col et « Je suis Esmeralda » aurait paru irrévérencieux. Alors que les flammes qui léchaient les tours de la cathédrale rougeoyaient le jour finissant sur Paris, la foule silencieuse qui s’était massée sur les ponts de l’Ile Saint-Louis pour assister au désastre ensemble n’en évoquait pas moins celle qui, au soir du 7 janvier 2015, marchait dans les rues pour honorer les membres de Charlie Hebdo et un policier. Et c’est peut-être le problème quand on sait ce qu’est devenue notre détermination d’alors et de la liberté que nous avions juré de chérir.

En dehors de l’émotion planétaire qu’ils ont suscitée, l’attentat de Charlie-Hebdo et l’incendie de Notre Dame n’ont apparemment pas grand-chose en commun, ne serait-ce que parce que, selon toute vraisemblance et comme l’ont spontanément pensé la plupart des observateurs, le second est un crime sans coupable. « Nous ne sommes pas victimes de fanatiques mais de notre impéritie », me confia une amie copte, très chic pour le dîner auquel elle avait renoncé dès la nouvelle connue, son beau regard sombre brillant encore des larmes versées.

Les vies humaines ne se restaurent pas. Du reste, très vite, certains – jusqu’au pape – se sont récriés, fustigeant notre compassion pour des pierres quand nos cœurs et nos bourses resteraient fermés aux migrants. Outre que l’accusation est mensongère, elle oublie que les hommes, comme les pierres, portent quelque chose de plus grand qu’eux. Les morts de Charlie incarnaient une certaine idée de la liberté, Notre-Dame attestait, en même temps que de notre inscription dans l’histoire longue, de la puissance, de la grandeur voire de la folie d’une foi catholique dont on a oublié qu’elle avait construit la France pour ne retenir que ses méfaits.

Alors oui, quelque chose, dans l’air et dans les regards, en cette nuit du 15 avril 2019, rappelait celle du 7 janvier 2015. La même ferveur, teintée d’incrédulité, le même sentiment de perte irréparable, la même découverte douloureuse que quelque chose nous est infiniment précieux au moment où il nous est enlevé. Le même sentiment de culpabilité de n’avoir pas su protéger une part de nous-mêmes. La même envie de communion qui voyait la France des curés et celle des bouffeurs de curés suspendre leur querelle. Comme souvent, Jean-Luc Mélenchon fut à la hauteur du moment, qu’il capta en quelques phrases : « Athées ou croyants, Notre-Dame est notre cathédrale commune, écrivit-il. Le vaisseau, la nef qui nous porte tous sur le flot du temps. Et je crois que nous l’aimons de la même façon. » Le président lui-même parvint, le soir, sur le parvis, à faire sobre, déclarant que l’incendie nous rappelait « que notre histoire ne s’arrête jamais et que nous aurons toujours des épreuves à surmonter ».

Dans le feu de l’événement, si on peut dire, on a tenté de trouver des mots. On a cherché un sens. Ce qui arrivait était plus qu’une métaphore, une parabole – un avertissement, pensaient les plus mystiques. On avait assisté à l’effondrement de l’Occident en direct et en technicolor – le spectacle ayant évidemment réclamé son tribut sans tarder, l’incendie grondait encore que l’image du bâtiment en flamme était déjà devenue iconique.

Le malheur rapproche. En une nuit, on voit « la cathédrale de Paris se changer en Notre-Dame de France, d’Europe, de la Terre », résume Jean-François  Colosimo (pages XX). Chacun ou presque veut participer au deuil commun, les cyniques, les ricaneurs et les indifférents étant dénoncés avec ostentation par leurs propres amis. « Notre-Dame, notre histoire », proclame Le Monde, pourtant « l’un des organes les plus éloquents de la morale post-identitaire et post-nationale », rappelle Alain Finkielkraut (pages XX) tandis que Libération ose un « Notre drame ». Durant 48 heure, les chaînes info sont « en spéciale », convoquant tous les prêtres et les architectes figurant dans leurs fichiers.

On comprend que la sphère catholico-conservatrice ait été saisie par une sorte d’exaltation. À l’approche de Pâques, beaucoup veulent croire à une sorte de résurrection française. Le matin du 17 avril au matin, sur le plateau de Pascal Praud sur C News, Geoffroy Lejeune, le patron de Valeurs Actuelles, parle de l’espérance que faisait naître en lui la ferveur générale. « Le cœur de la France s’est arrêté un instant, comme par un avertissement eschatologique, mais il bat encore », s’enflamme Philippe de Villiers. Les Français, une fois encore, affirment qu’ils veulent rester un peuple. « L’émotion poignante des Français devant la flèche embrasée de Notre-Dame est la démonstration du besoin d’identité, si naturel et spontané, même quand il se voit constamment ridiculisé et sommé de s’anéantir », renchérit Chantal Delsol dans Le Figaro. En somme, ce mal annonce un bien : à l’image de la cathédrale, la France tiendra bon.

On devrait se méfier de l’abus des futurs car les nôtres sont souvent sans lendemain. Le coup de la France retrouvée et de la civilisation qu’on défendra à tout prix, on nous l’a trop fait, ou plutôt, on se l’est trop fait. On marche de moins en moins longtemps, d’ailleurs ça dure de moins en moins longtemps. Pendant un jour ou deux, c’est le pays entier qui « se met en spéciale », on jure que « nous ne reprendrons pas le cours de nos vies » et bien entendu, on le reprend au plus vite.

Que l’unanimisme ne dure pas, c’est plutôt heureux, sauf pour ceux qui croient à la fin de l’histoire et de ses révoltantes divisions. L’ennui, c’est que ces retrouvailles nationales au chevet de Notre-Dame reposent sur un vaste malentendu. Si on se plait à y voir non sans emphase, « l’âme de la France », on s’aperçoit vite que, selon le locuteur, ce n’est ni la même âme, ni la même France. Une amie chère et catholique m’avoue que l’incendie de la cathédrale l’a beaucoup plus affectée que l’attentat du 7 janvier 2015 : ce choix que nul ne lui demande témoigne peut-être de l’irrémédiable dispersion de notre conscience historique. Devrais-je choisir entre la France de Notre-Dame et celle de Charlie ?

Symétriquement, chez les politiques qui rivalisent dans le superlatif –« Part de notre destin français», «emblème de notre histoire », « grand trésor mondial », « cœur de la nation », « fleuron de notre civilisation », « beauté inouïe de Paris »[tooltips content= »Je laisse à chacun le soin de retrouver les auteurs de citations. Merci à Laurence de Charette pour son excellent texte «Ceci n’est pas une cathédrale», paru dans Le Figaro du 23 avril, dont viennent les citations de ce paragraphe. »]1[/tooltips], chacun venant faire son tour de piste et son selfie devant la cathédrale, le signifiant France est peut-être surtout destiné à effacer le référent catholique. Une semaine après l’incendie, seuls nos amis de Valeurs Actuelles voient encore en celui-ci le signe annonciateur d’un « réveil chrétien ». Après le monumental  « Notre-Dame n’est pas une cathédrale » de Castaner, la presse progressiste s’avise que, si Notre Dame est à tout le monde, elle ne peut pas être vraiment catholique, ce serait offensant pour les autres. « C’est une cathédrale au sens large », aurait même déclaré un présentateur de BFM. Le 16 avril, le président en fait des caisses sur le symbole national, mais se garde de la moindre référence au christianisme. La « cathédrale » cède donc la place au « monument », moins excluant suppose-t-on. Et plus en résonance avec les préoccupations de ceux qui nous gouvernent.

Tant pis les règles protégeant les bâtiments historiques, les droits de l’homme en bermuda cher à Muray ne sauraient être limités. Dans le discours déjà cité, Emmanuel Macron se livre à consternant numéro de manager cherchant à motiver ses cadres – « Plus belle ! Plus vite ! Plus neuve ! ». Ainsi ramène-t-il  l’événement Notre-Dame à sa réelle sinon à sa juste place : une occasion de se mettre en scène, dans le rôle du bâtisseur et du sauveur de l’entreprise France. Le chantier sera fini dans cinq ans, fermez le ban – encore n’a-t-il pas osé l’exiger pour la fin de son mandat, peut-être parce qu’il est convaincu qu’on le suppliera de rester. On n’ose cependant croire à la rumeur selon laquelle, dans son entourage, certains se seraient réjouis, lors de l’incendie, de cette divine surprise prometteuse de bons sondages. En attendant, fulmine Alexandre Gady, il annonce « des délais absurdes, des embellissements douteux, allant jusqu’à rallumer un nouvel incendie avec l’idée baroque de lancer un concours international pour la nouvelle flèche ».

C’est la désarmante Anne Hidalgo qui mange le morceau. « Il faut le faire dans les règles de l’art, mais en 2024 on doit être là tous ensemble pour accueillir le monde et Notre-Dame doit être là. » Être prêts pour les JO, voilà donc notre grande ambition, et au passage l’explication des cinq ans. Jupiter n’était qu’un vulgaire organisateur de jeux du cirque. Quant à l’âme de la France, elle semble lui dicter de se transformer en parc à thème pour touristes. Les professionnels du secteur n’ont d’ailleurs pas manqué de se plaindre du manque à gagner prévisible. Par quoi pourraient-ils remplacer Notre-Dame  dans leurs circuits, une visite chez Vuitton ? Bien entendu, nul n’a osé interroger la politique suicidaire consistant à faire venir toujours plus de touristes dans des bâtiments qui n’ont nullement été conçus pour cela. Les 30.000 visiteurs qui déferlaient chaque jour dans Notre-Dame, qu’Anne Hidalgo brandit comme un record à battre, ont peut-être quelque chose à voir avec la nécessité de réaliser, à intervalles réguliers ces chantiers délicats, sources de nombreux sinistres dont Jonathan Siksou rappelle les circonstances. Le saccage de nos villes et des beautés du monde se poursuivra dans l’enthousiasme général. Et les générations futures qui nous font volontiers la leçon n’en ont cure.

Le plus inquiétant, c’est que la communication présidentielle pourrait devenir réalité. Emmanuel Macron a dit « nous », mais à l’évidence, il pensait « je », d’où le court-circuitage sans ménagements du ministère de la Culture et de l’administration du patrimoine. Il sait bien en effet que s’il a les conservateurs et les architectes des bâtiments de France sur le dos, il n’a aucune chance de tenir ce délai qui, de l’avis de tous les experts, exigera de sacrifier le respect et la prudence dûs à un bâtiment qui a traversé les siècles pour venir à nous. Peu importe, pour la sainte cause des JO, on trouvera bien quelques experts pour valider cette deadline. Le gouvernement compte donc faire voter courant mai une loi créant un Etablissement public et autorisant des conditions dérogatoires pour la  reconstruction. Du coup, le milieu du patrimoine, plutôt discret, voire docile, se rebiffe : 1170 chercheurs et experts du sujet publient dans Le Figaro une tribune demandant au président de « laisser le temps du diagnostic aux historiens et aux experts avant de se prononcer sur l’avenir du monument ».

Non content de prétendre mener ce chantier tambour battant et comme si Notre –Dame était sa propriété, Emmanuel Macron entend, de surcroît, la rendre plus belle qu’il ne l’a trouvée. Comme l’écrit mélancoliquement Olivier Rey, « étant donné nos facultés prodigieuses à répandre actuellement la laideur, aussi belle ne serait déjà pas si mal ». On a peu commenté, à ce sujet, le verbe employé par le président : il a parlé de rebâtir, pas de restaurer. La restauration est humble face au passé, puisqu’elle tente de refaire « à l’identique », la reconstruction (terme employé dans le projet de loi) arrogante, voire ramenarde, propre à stimuler l’égo d’architectes à la mode en mal de grands « gestes ». Ulcéré à l’idée que l’on puisse oublier notre dette à l’égard de Viollet-le-Duc (et du XIXème siècle en général), Pierre Lamalattie observe que  l’option « restauration » « est une évidence de cœur pour les Parisiens et que « reconstruction laisse le champ libre à toutes les dérives. » Péguy découvrirait peut-être aujourd’hui avec horreur que tout commence en mystique et finit en touristique.

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Mai 2019 - Causeur #68

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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