La cathédrale de Paris n’en a pas fini avec les polémiques. Après les chasubles bariolées de Castelbajac ou les improvisations aux grandes orgues le soir du 7 décembre, les vitraux contemporains voulus par Emmanuel Macron mobilisent contre eux tous les amoureux du patrimoine. (Causeur invite ses lecteurs à signer la pétition pour restituer les vitraux de Viollet-le-Duc).
Depuis sa réouverture, Notre-Dame accueille un nombre croissant de fidèles et de visiteurs. Depuis début décembre, 30 000 personnes franchissent son porche chaque jour, soit plus de 270 000 en trois semaines. C’est beaucoup, peut-être trop pour une dame de 800 ans, mais ce n’est pas aujourd’hui l’objet de la polémique qui entoure la cathédrale. D’autant que la polémique vire au scandale patrimonial. Emmanuel Macron voulait un « geste architectural » en lieu et place de la flèche, finalement reconstruite à l’identique. Mais il n’a vraisemblablement pas abandonné l’idée de laisser son empreinte dans les murs de Notre-Dame. Au détriment du code du patrimoine le plus élémentaire, le chef de l’État, de concert avec l’évêché, a commandé des vitraux contemporains pour remplacer, dans les chapelles sud, ceux de Viollet-le-Duc qui ont pourtant miraculeusement échappé à l’incendie. Ils ont été restaurés avec l’argent des donateurs et sont classés, comme la cathédrale dans son entier, monuments historiques.
De plus, la France a ratifié la Charte de Venise, en 1964, qui impose que l’on doit restaurer un monument historique endommagé dans « le dernier état connu » et respecter « la substance ancienne du monument ». C’est pour cette raison que la commission du Patrimoine s’est opposée, à l’unanimité, à ce projet de vitraux. Qu’à cela ne tienne : pour exécuter le vœu du prince, un comité de sélection artistique a été composé, présidé par Bernard Blistène, ancien directeur du centre Pompidou, aujourd’hui grand promoteur de l’art contemporain en France, pour désigner, de façon plutôt trouble, l’artiste qui aura l’honneur ou le déshonneur de faire disparaître Viollet-le-Duc.
Et l’heureux élu est…
Et l’heureux élu est une élue. Claire Tabouret, une artiste peintre et sculpteur française de 43 ans. Son art figuratif n’est pas ce qu’il y a de pire dans le désespérant paysage contemporain ; puis elle est la chouchoute des institutions publiques et privées. Après être passée notamment par la Villa Médicis, elle est défendue par la galerie Perrotin, est présente dans la collection François Pinault… elle coche donc toutes cases de l’artiste officiel. Parce qu’en plus, c’est une artiste engagée, voire rebelle : elle se dit anticapitaliste et décolonialiste, ce qui ne l’empêche pas de vivre et de travailler en Californie.
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Cet engagement woke est résumé dans Libération, avec la prose de Judikael Lavrador qui est au diapason : « La manière dont elle représente les jeunes, mais aussi les migrants ou des êtres en situation précaire, n’a rien d’une image d’Épinal. Au contraire, c’est comme si ses tableaux étaient le lieu d’une revanche sourde de ces êtres vulnérables que la société plie à un rôle convenu et réduit à une existence marginale ou bien décorative. » À quoi peut ressembler l’existence décorative d’un être en situation précaire ? Je l’ignore.
En plus de l’entorse à la loi sur le patrimoine, il y a derrière ce projet une terrible malhonnêteté intellectuelle. Claire Tabouret souhaite en effet, à travers ses vitraux, rendre hommage à Viollet-le-Duc. Mais le plus bel hommage n’est-il pas de laisser l’œuvre de Viollet-le-Duc en place, puisqu’elle y est ? Non. On efface et on rend hommage à ce qu’on a effacé. C’est l’illustration parfaite de la cancel culture.
Claire Tabouret devra toutefois respecter le cahier des charges imposé par l’évêché, à savoir un programme iconographique autour de la Pentecôte. C’est d’ailleurs l’évêché qui a exigé une création figurative, alors que le candidat soutenu par Emmanuel Macron était Daniel Buren, l’inoxydable artiste officiel qui, depuis plus de 40 ans, ne fait que des rayures.
Et cela aura bien sûr un coût. 4 millions d’euros (une paille pour un État en faillite). Cette somme ne sera pas prélevée sur les donations faites pour la reconstruction de Notre-Dame mais sur le budget de la Culture. Comme s’il n’y avait pas d’autres urgences en la matière, notamment les restaurations de sauvetage de certaines églises.
Effacer Viollet-le-Duc
L’acharnement à vouloir effacer Viollet-le-Duc remonte aux années 1950, quand l’évêché a progressivement retiré le mobilier dessiné par l’architecte (Viollet-le-Duc a créé à Notre-Dame une œuvre d’art totale), les lustres de la nef, la fameuse Couronne de lumières, ce lustre néogothique monumental qui est actuellement en dépôt à Saint-Denis, ou encore la clôture du chœur. Plus grave, on a laissé se détériorer jusqu’à la disparition, les fresques de nombreuses chapelles. Mais on a encore tous les documents, toutes les archives de l’architecte et il serait possible de les restituer, comme cela a été fait de façon éclatante en l’église Saint-Germain-des-Prés.
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Une pétition demande la conservation des vitraux de Viollet-le-Duc. Près de 255 000 personnes l’ont déjà signée et il est toujours possible de le faire (lien : https://www.change.org/p/conservons-%C3%A0-notre-dame-de-paris-les-vitraux-de-viollet-le-duc ).
Et parce qu’il ne faut pas uniquement s’opposer mais aussi proposer, le site La Tribune de l’art a soulevé une idée intéressante. La tour nord de la cathédrale possède des baies sans vitraux, simplement composées de verre blanc. Pourquoi ne pas y installer des vitraux contemporains qui pourraient, par exemple, dans cette partie de l’édifice qui ne s’inscrit pas dans la déambulation liturgique, rendre hommage aux pompiers qui ont sauvé Notre-Dame le 15 avril 2019 ? C’est dans cette tour nord qu’ils ont lutté contre l’incendie au péril de leur vie pour empêcher les cloches de tomber – et éviter l’irréparable. Notre-Dame de Paris nous offre là une page vierge pour écrire son histoire contemporaine. Ceux qui en ont l’autorité seraient inspirés de s’en emparer, mais sans faire ni fautes de goût, ni fautes d’orthographe.
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