Beaucoup ont vu dans l’incendie de Notre-Dame de Paris un suicide civilisationnel. La batiment emblématique ressurgit enfin de ses cendres. Mystère sacré ? Prouesse nationale ? Le président Macron aurait bien aimé y faire son show, mais même lui sait qu’ici foi et humilité sont les vraies vedettes…
Cathédrale ou musée? Les deux, serait-on tenté de répondre. Ou du moins, patrimoine. Avant tout, patrimoine – historique, culturel, architectural, artistique…. Pensez donc, les crèches de santons font polémique chaque année, d’aucuns trouvent les calendriers de l’Avent indésirables, on ose de moins en moins souhaiter « joyeux Noël » et dans certaines villes même l’insipide « bonnes fêtes » est remplacé par « bon hiver », alors dire qu’une cathédrale est avant tout chrétienne, lieu de culte et espace sacré, on frôle le blasphème !
Une réouverture sous haute sécurité
Assurément, Notre-Dame de Paris est plus que sa fonction religieuse. Mais peut-être ne l’est-elle, justement, parce que sa fonction religieuse est de pointer vers plus qu’elle-même, et que l’un ne va pas sans l’autre…
On peut sincèrement se réjouir, sans aucune arrière-pensée, de voir Notre-Dame restaurée. D’autres ont pointé, non sans raison, le revers de la médaille de cette célérité. Qu’on me permette malgré tout de trouver que ce fut une bonne chose : les délais contraints ont coupé court à l’idée délirante d’un « geste architectural » qui aurait défiguré l’édifice. Cela en valait donc la peine.
Je l’avoue, de toutes les cathédrales de France, ce n’est pas, à la base, celle qui me parle le plus. Que voulez-vous, j’aime la province. Mais le feu, la cendre, l’émotion largement partagée (mais pas par tous : feindre de croire à l’unanimité serait hypocrite, donc irrespectueux, et si la réouverture nécessite un dispositif de sécurité hors du commun, c’est bien parce qu’il y a une menace), vaste et sincère émotion néanmoins, même au-delà de nos frontières, la générosité des dons, l’engagement et le talent des artisans du présent prolongeant la longue chaîne de leurs devanciers dans le respect de leur art, font de Notre-Dame de Paris aujourd’hui plus encore que ce qu’elle était hier. Ceux-là même qui s’acharnent à démanteler la France se sentent obligés de lui rendre hommage : hommage du vice à la vertu, certes, mais qui reconnaît donc la vertu pour ce qu’elle est. Petits miracles venant couronner cet accomplissement, on n’y chantera finalement pas « Imagine there’s no heaven (….) and no religion », et l’enfant-roi qui préside à la République n’aura pas eu gain de cause pour son caprice théâtral. Bien sûr, il s’est mis en scène dans la cathédrale quelques jours plus tôt, mais pour la réouverture au moins il doit se résoudre à ne pas transformer intégralement Notre-Dame en faire-valoir, et à ne pas discourir dans un lieu conçu pour affirmer qu’il est des mystères devant lesquels même les rois s’agenouillent en silence.
Imprégnation
C’est bien là l’essentiel. Sans ces mystères (ces Mystères) la restauration serait vaine. Non qu’il faille nécessairement y croire pour être pleinement chez soi dans ce lieu sacré, loin de là. Mais, à tout le moins, croire en ceux qui y ont cru, et ont sculpté de leurs mains cette vaste prière de pierre, de vitrail, de pénombre et de clarté. Les respecter assez pour respecter le sens qu’ils ont donné à leur œuvre. Nous le savons d’expérience, nombre d’incroyants savent se laisser toucher par ce don qui traverse les siècles – alors qu’il est des croyants qui jugent bon de dédaigner, au nom de Dieu, les réalisations que la foi permet aux hommes. Allez comprendre…
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Ce serait passer totalement à côté de ce qu’est Notre-Dame que de ne célébrer sa restauration que comme un triomphe du génie national, ou pire encore républicain, ou un tour de force, ou un vague « succès collectif ». Comme le sanctuaire de Delphes ou celui d’Ise, comme les chemins de ronde des anciens châteaux où des générations ont monté la garde dans le froid des nuits d’hiver, la cathédrale est un lieu que l’on ne comprend que lorsqu’on accepte d’y entrer en pèlerin et non en touriste. Y compris quand on est président de la République… ou Pape ! Ce sont des lieux où nul ne doit pontifier, mais tendre l’oreille humblement. « Souviens-toi que tu es mortel » disaient les Romains aux triomphateurs. Henri d’Anselme parle d’« œuvre de civilisation »[1] : oui, c’est un calice – ou un creuset – dans lequel se rassemblent et s’incarnent toutes les dimensions de ce qui fait qu’une civilisation est civilisée. L’évocation, au-delà de toute description, de la rencontre entre l’élan vers la noblesse qui jaillit du plus profond de l’Homme, et l’appel à cette noblesse qui retentit pour l’Homme et lui vient d’au-delà de lui-même.
La France peut être fière de ses cathédrales, et fière d’avoir restauré – malgré tous les maux qui nous rongent – celle qui est devenue la plus emblématique de toutes. À condition que cette fierté ne soit pas un satisfecit prétentieux, mais la redécouverte de ce que nous nous devons d’être. L’espérance, c’est-à-dire la conviction que ce devoir de dignité et de transmission a un sens. Et un hommage rendu au Mystère, à ce qui inspire la soif de grandeur, la capacité d’admirer, le besoin de créer des merveilles et d’en accomplir.
Ne reste plus, alors, qu’à contempler, se laisser imprégner de l’esprit du lieu, et s’incliner avec gratitude.
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[1] https://www.lepoint.fr/societe/henri-anselme-le-heros-au-sac-a-dos-d-annecy-raconte-l-attaque-au-couteau-dans-un-livre-04-12-2024-2577094_23.php
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