Trois polémiques en ce moment occupent les esprits échauffés : le silence sur les causes de l’incendie, la reconstruction de la flèche et le coût de Notre-Dame. Après l’union autour de ses cendres, la désunion de la reconstruction.
Notre-Dame a été victime d’un feu. Un incendie, quoi de plus naturel dans une forêt de chênes de 600 ans ? Honni soit qui penserait à mal d’une cigarette jetée dans un sentier ou d’une quelconque malveillance. Notre-Dame brûlait encore qu’il était interdit de penser quoi que ce soit. A part un incendie informatique. Le soir, le directeur de l’Archevêché de Paris Bertrand de Feydeau, lui, disait sobrement qu’on n’en saurait sans doute jamais la cause. Mais que notre pensée, au moins, soit libre.
Notre-Dame en marche
Ensuite, restauration, innovation, modernisation ? Une Notre-Dame en marche (NDem) adaptée à notre époque ? Certains en rêveraient. Macron le ferait ? Je me suis souvenue de l’indignation du cardinal Lustiger quand, il y a plus de 20 ans, les Japonais lui avaient proposé un pognon de dingue pour une rénovation partielle de la cathédrale, en échange de la « location » de la nef pour une exposition (temporaire) de voitures ! Quant à la flèche, pas d’origine et bricolée, sans ayant droit, comme chacun sait !, ce serait normal d’en reconstruire une qui répondît aux « enjeux », que dis-je, aux défis de notre société ! A une émission de « C dans l’air », c’était à qui donnait son avis éclairé sur tous ces sujets brûlants. Heureusement que Maryvonne de Saint-Pulgent, ancienne directrice du patrimoine au ministère de la Culture ainsi qu’un architecte ont remis les pendules à l’heure à tous, en rappelant les lois auxquelles obéissent les monuments du patrimoine. Il s’agit ici d’une restauration et non de fantasmes à la Frollo.
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Enfin, l’argent débloqué pour Notre-Dame. C’est peu de dire « la polémique » (mot typiquement français) que cet argent soulève. Raison supplémentaire de fracturer la société ? Expression d’une « laïcité à la française » décidément mal comprise ? Sauf que la loi sur le patrimoine est d’une grande précision. Le génie français s’y connaît en matière de lois et de langue. Donc, pas de souci ! Le président n’a pas la main sur Notre-Dame. Le patrimoine a l’œil.
La philanthropie ne prend rien aux Etats
Certains se sont indignés de la somme récoltée pour Notre-Dame en une journée. Et les pierres vivantes, a-t-on dit ? Je ne peux m’empêcher, ici, de penser à la scène dans l’Evangile dite de l’onction de Béthanie, d’actualité deux jours après Pâques. C’est avant son arrestation. Jésus se trouve à table chez Simon, le lépreux, avec ses disciples. Une femme entre, s’approche de lui, un vase d’albâtre à la main rempli d’un parfum de très grand prix qu’elle verse sur sa tête. Et les disciples de s’indigner du gâchis : cet argent pouvait être donné aux pauvres ! On imagine bien ce qui se passe dans leur cœur. Jésus corrige ses disciples. C’est à ce moment que le démon entre en Judas qui va trouver les grands prêtres et reçoit l’argent pour le livrer. La femme a été la seule à prophétiser que la vie de Jésus n’avait pas de prix.
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A une autre émission de « C dans l’air », Jean-François Colosimo, lui, a remis, à leur juste place, nos concurrences financières ou mémorielles ainsi que nos émotions sélectives. L’argent enlevé à Notre-Dame ne servirait pas aux gilets jaunes. La philanthropie ne prend rien aux Etats. En une seule fois, a été donné trois fois l’argent alloué annuellement au patrimoine dont « les défaillances » n’enrichissent pas les plus démunis. On ne met pas en équivalence des choses non comparables : la répartition des richesses, avec la réfection d’une cathédrale. Et puis, le patrimoine, c’est le bien de tous. Pour un « en commun » c’en est un de fameux ! De même, à titre individuel, pour le bon berger, une brebis perdue dans une colline « vaut » autant qu’un troupeau bien au chaud, serré dans ses boucles, broutant tranquillement dans une prairie. Anne-Sophie Chazaud a tout dit, et fort bien, là-dessus. Le travail de rénovation mobilisera des énergies et des savoir-faire, créera une émulation, pas forcément négative si on est vigilant. Nous pourrons abattre nos chênes et refaire « la forêt ».
Notre-Dame doit rester une raison d’union
Sans jouer à Pangloss dans Candide, on peut tirer, de cet incendie, deux sujets de réflexion. D’abord, la fragilité de toute chose humaine, détruite parfois irrémédiablement sous l’effet de la nature ou de l’homme : le feu, l’eau, la guerre. Je pense à Palmyre et à toutes les autres villes de Syrie qu’aucune reconstitution en trois dimensions ne nous rendra plus. Je pense surtout, en ce moment, et si fraternellement, aux chrétiens d’Orient chassés par des incendies de leur pays, de leurs églises, de leurs maisons : ce n’est pas eux qui demanderaient que l’on sacrifiât l’argent de Notre-Dame pour les aider.
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Deuxième réflexion. A défaut de feu sacré, il revient au politique d’entretenir la flamme de notre unité nationale. D’être inventif dans son domaine à lui : le politique. Quant à nous, nous pouvons souscrire à ce que dit Odon Vallet en faisant modestement quelque chose pour les églises délaissées de notre pays. Ce serait cela, concrétiser et inscrire dans le temps, l’élan qui a uni la France.
Quant à la cathédrale, suffit qu’elle soit, dans les années qui viennent, une ruche bourdonnante. Les abeilles nichées sur les toits sont vivantes. Elles auront été bien enfumées : promesse d’un bon miel à venir ? Et puis, si on cessait de parler de « la communauté catholique » ? La France a tout simplement des racines chrétiennes. Quant à la mairie de Paris, c’est la moindre des choses qu’elle ait mis à l’abri les trésors de la cathédrale !
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