Notre chroniqueur du dimanche revient sur l’œuvre du génie provençal et son rapport avec la critique
Le monde littéraire vit au rythme des anniversaires. Il ne conçoit le marché des livres que par le prisme de l’éphéméride. Chaque année, l’écrivain élu des commémorations, bien mort, bien fossilisé, bien lambrissé dans les bibliothèques, a droit à son mausolée éphémère de papier. Sa renaissance durera le temps d’une quinzaine commerciale avec tracts, documentaires télé et « goodies ». Biographes et magazines se jetteront sur sa dépouille avec volupté pour l’oublier dans la foulée.
La littérature française, gloire de nos pères…
Si en France, nous n’avons pas de pétrole, nous avons eu par le passé des auteurs de premier plan, c’est-à-dire lus et traduits par millions d’exemplaires. Notre gloire nationale repose, en partie, sur ces vieux tuteurs-là qui ont façonné notre instruction publique et l’imaginaire des classes laborieuses. L’année dernière, Molière et Colette ont fait la Une des journaux ; cette année 2024, Ronsard tient la corde en septembre et le soufflé Pagnol du printemps est déjà retombé dans l’oubli. En avril, pour célébrer les cinquante ans de sa disparition, nous sommes retournés à la source du génie provençal, nous avons refait collectivement le chemin du petit Marcel d’Aubagne à Marseille, de l’Université d’Aix au lycée Condorcet, de la création de Topaze à l’élection à l’Académie française, du professeur adjoint à Tarascon à l’homme d’affaires, notre Disney à l’huile d’olive.
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Chaque Français en âge de lire a feuilleté cet album de famille, il y avait là, Joseph l’instituteur, Augustine la couturière, René, « le petit frère », la revue Fortunio qui deviendra Les Cahiers du Sud, l’inénarrable Raimu, le chevalin Fernandel, la belle Jacqueline Bouvier, et toute la lyre, Marius, César, Manon et les autres… Pagnol, c’est le souffle de l’enfance qui vient décoiffer les esprits les plus engoncés, les plus hermétiques à la nostalgie d’un folklore à fleur d’humanités. On peut tenter de repousser cet élan-là, par intellectualisme faisandé ou pour se distinguer en société. Et puis, emporté par sa prose populeuse, par sa fantaisie si réelle, par la cohorte de ses personnages antiques, par l’attrait du drame bistrotier et de l’esclandre villageoise, on y cède, on s’y prélasse même au soleil noir du midi. Nous sommes enfin chez nous, que l’on soit né au nord de la Loire ou à la Pointe du Corsen. Marcel Achard, le Lyonnais aux lunettes à double foyer, le camarade des vaches maigres, bicorné lui aussi du Quai de Conti, fut terrassé ce 18 avril 1974, à neuf heures du matin, quand il apprit la mort de Marcel au 16, square du Bois de Boulogne : « Ce que je sais, ce que j’affirme et ce que je veux que l’on sache, c’est que Pagnol avait du génie ! Un génie bon-garçon, familier, sans pose. […] Ce grand homme – car c’en était un et on va bientôt s’en apercevoir – va désormais manquer à toutes mes joies et à toutes mes détresses. Que peut-on apprendre à oublier ! ». Pagnol a fait de Marseille, le foyer brûlant de son œuvre, alors qu’il n’y prêtait guère attention dans sa jeunesse. Selon le bon mot d’Yvan Audouard, « En somme, il tomba amoureux à retardement ». Car, Marcel n’a d’yeux que pour les succès parisiens et les palmes académiques. « A Marseille, il vivait en pensée dans la capitale. À Paris, il s’évade en imaginant vers ce Marseille qu’il avait aimé sans le savoir… […] Tous les exilés vous le diront : l’éloignement réveille leur patriotisme et pare des plus belles couleurs le pays qu’on a quitté (même si on l’a quitté avec allégresse) » écrit-il dans Audouard raconte Pagnol paru en 1973.
Disparition de la critique littéraire…
Il n’y a pas de saison pour parler de Pagnol, cette rentrée littéraire est même le moment opportun pour rappeler les liens qu’entretenait l’auteur avec la critique (dramatique). Entre 1944 et 1948, il composa Critique des critiques, une manière pour lui de rééquilibrer le débat et de se poser en arbitre : « La profession de critique est certainement l’une des plus anciennes : de tous les temps, il y eut des gens incapables d’agir ou de créer, qui se donnèrent pour tâche, et le plus sérieusement du monde, de juger les actions et les œuvres des autres ».
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Le ton est donné, il oscille entre le rosse et le justicier. Il s’énerve sur le cas Rostand, que certains plumitifs osèrent qualifier de « poésie de pacotille », de « fantoches » et « d’artifices ». Pagnol sort son glaive vengeur : « Malgré les esthètes et les ratés, les héros du poète vivront éternellement dans la mémoire et le cœur des vrais hommes et des vraies femmes, et personne, absolument, n’y peut rien ». Il se rappelle également que les premiers ouvrages de Simenon furent hués, il rétablit la vérité : « Le monde entier sait que la littérature française possède maintenant un très grand écrivain, et qui pourrait s’asseoir à la table entre Balzac et Maupassant ». Ce temps de la critique reine, faiseuse d’anges, semble bien éloigné de notre actualité. Nous vivons une époque où la critique (littéraire) n’existe quasiment plus et n’influe qu’à la marge sur le succès ou l’insuccès d’un roman. Doit-on s’en réjouir ou s’en plaindre ?
Notes sur le rire suivi de Critique des critiques et de discours à l’Académie française de Marcel Pagnol – Fortunio – Éditions de Fallois
Notes sur le rire, suivi de "Critique des critiques"
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