Les bonnes vieilles libertés, non solubles dans la numérisation du monde et réfractaires à la nouvelle religion du distanciel, sont passées de mode. Analyse.
La France est-elle toujours un État de droit en bonne et due forme ? La question fait rage. François-Xavier Bellamy, pivot intellectuel des Républicains, s’inquiète depuis plusieurs mois du « délitement de l’État de droit » devenu, pour reprendre l’expression de Muriel Fabre-Magnan, « malade du Covid-19 ». Il est vrai qu’en ces temps où des lieux publics – restaurants, théâtres, salles de spectacle – sont réservés aux citoyens munis du précieux passe, où manger des chips dans le train est passible d’une amende, où les discothèques sont vues comme des boîtes à virus, où l’adolescence ne rime plus avec premiers flirts mais port du masque dans la rue, où la faible létalité du variant Omicron n’empêche pas la sinistrose de maintenir son couvercle sur le pays, où la santé est devenu l’unique sujet des présidentielles, le débat n’est pas seulement légitime. Il est impératif.
Menace sur nos droits fondamentaux
Certains de nos droits fondamentaux, sanctifiés depuis des décennies – dignité de la personne, protection de la vie privée, liberté d’aller et venir, droit à l’instruction – semblent chaque jour s’évanouir dans le cimetière des principes d’antan. Les restrictions se suivent et s’amoncellent, en une sorte d’arborescence technocratique – ou kafkaïenne – dont la logique échappe à tout le monde. C’est dans ce contexte que, quelques jours après des vœux qui suintaient la bienveillance, l’optimisme et l’unité, Emmanuel Macron a lancé, face aux lecteurs du Parisien, avoir « très envie d’emmerder les non-vaccinés jusqu’au bout ». Plus que sa grossièreté, condamnée par une grande partie de la classe politique, plus que la personnalisation dégradée du pouvoir qu’elle exhibe, cette formule révèle le sens de l’action du gouvernement : alors même que la vaccination n’est pas obligatoire, c’est en son nom que des millions de Français se voient interdits de café ou de cinéma. Boutés hors du champ du visible. Telle une masse de Gaulois réfractaires, les non-vaccinés n’ont d’autre choix que de s’adapter. La liberté ou la mort, disaient jadis les Révolutionnaires. La vaccination ou l’exclusion, clament aujourd’hui les Marcheurs.
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Au-delà de l’illisibilité de toutes ces restrictions, c’est notre rapport à la liberté qui se joue. Qu’on le veuille ou non, ce que défendent les non-vaccinés, nébuleuse d’anti-vax, d’anti-passe et de sceptiques de tous bords, cousins des gilets jaunes dans leur rejet des institutions, c’est le maintien des libertés grégaires. D’une part, les anti-vax réclament le droit de refuser la vaccination – soit la mise en pratique de l’inviolabilité du corps humain, dérivé du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne. D’autre part, les anti-passe revendiquent le droit à la libre circulation et au respect de la vie privée, garantis par les outils de protection des droits de l’Homme. Soit des libertés quasi primitives, reconnues de longue date par les juges, européens et nationaux.
Or, qu’observe-t-on en même temps ? D’un côté, en octobre dernier, le Conseil de l’Europe s’est lancé dans une campagne de promotion du voile islamique au nom de « la liberté dans la diversité » – heureusement avortée –, présentant le hijab comme « un choix » et un « droit humain ». Ou comment l’antiracisme militant, faux-nez du lobbying islamiste, se drape dans le manteau de tolérance de l’État de droit pour mieux le subvertir… D’autre part, en janvier 2021, la Cour européenne des droits de l’Homme a sanctionné la Roumanie pour sa loi refusant la modification du sexe à l’état civil sans opération chirurgicale préalable. La liberté de changer et de rechanger de sexe par simple déclaration est désormais un droit fondamental, intégré aux valeurs de l’État de droit brandi par l’Europe contre les démocraties « illibérales », la Hongrie et la Pologne en tête, brocardées pour leur attachement à la famille traditionnelle et aux valeurs chrétiennes.
Les bonnes vieilles libertés n’intéressent plus que la France périphérique
Bilan des opérations : une échelle des libertés se dessine. D’un côté, les tenants des libertés à l’ancienne, attachés au droit de sortir de chez soi, de « prendre un canon » au comptoir, comme veut les en priver Emmanuel Macron, ou de conserver la maîtrise de leur corps, sont dépeints tels d’infâmes réactionnaires englués dans leur ignorance. Pire, des « irresponsables » pas même dignes d’être des citoyens, pour reprendre les propos cinglants du président. De l’autre, les tenants des libertés à la pointe, placées sous l’égide du diversitaire ou de la fluidité de genre, sont perçus comme ceux que l’État de droit doit absolument choyer. Son public cible, pour parler comme un marketeur.
C’est ce clivage qui transperce notre époque. Les bonnes vieilles libertés, qui n’intéressent plus que la France périphérique et les râleurs d’un autre temps, non solubles dans la numérisation du monde et réfractaires à la nouvelle religion du distanciel, sont passées de mode. Les libertés dernier cri, qui fleurent bon le sociétal et le multiculturel, qui ont la saveur de notre période houellebecquienne où le contact humain se dissout, méritent quant à elles tous les égards. Avec le Covid, toutes les libertés ne sont pas en voie de disparition. Juste les premières d’entre elles.
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