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Nos gouvernants devraient lire Flaubert

Qu'aurait donc pensé l'amant de Louise Colet d'Olivier Véran, Sandrine Rousseau ou Marine Tondelier?


Nos gouvernants devraient lire Flaubert
Olivier Véran, ministre délégué chargé du Renouveau démocratique, porte-parole du gouvernement, Paris, 30 janvier 2023 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Mais savent-ils seulement lire?


En ce début d’année morose, alors que « le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » sur la tête des Français sommés de plébisciter une réforme des retraites aussi inévitable que mal ficelée, j’avais opté pour le repli…

Abîmée dans la lecture de la Correspondance de Flaubert, souvent agréablement accompagnée d’un verre de purée septembrale, j’attendais la reverdie. Mutique je cultivais ma misanthropie.

Jusqu’à la lettre de Flaubert à Louise Colet, datée du 22 septembre 1853, tout allait bien pour moi comme pour mon chat. Mais, dans cette épître, l’Ermite de Croisset s’est mis à vitupérer son siècle avec la verve qu’on lui connaît et c’est alors le mien que j’ai reconnu : « 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n’y a plus rien, qu’une tourbe canaille et imbécile. – Nous sommes tous enfoncés au même niveau dans une médiocrité commune. L’égalité sociale a passé dans l’Esprit. On fait des livres pour tout le monde, comme on construit des chemins de fer et des chauffoirs publics. L’humanité a la rage de l’abaissement moral. »

Les propos d’Olivier Véran, étaient, je l’ai dit, émaillés de vocables à tonalité tout aussi familière que démagogique, les verbes et locution verbale suivants: «bosser», «virer», «faire capoter le truc» généreusement employés, les répétitions abondantes…

Le bougre d’homme a précisé, dans une autre missive à sa Louise : « Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. » Il ne m’en fallait pas plus pour me tirer de ma… retraite et décrire l’ambiance française actuelle à notre homme prophétique.


Cher Flaubert,

Tu n’as pas connu le prix Nobel de littérature et ça tombe bien, tu ne l’aurais jamais eu ! Annie Ernaux et Virginie Despentes flanquées de toutes nos écrivaines de talent auraient ardemment pétitionné pour que soit définitivement évincé de la scène littéraire un goujat tel que toi, capable d’écrire à une femme les saletés dont tu abreuvais Louise. Ta Bovary, elle-même, aurait signé ladite pétition des pieds et des mains. Attends un peu qu’un « sensitivity reader» mette le nez dans tes lettres de macho réac : « Ne sens-tu pas que tout se dissout maintenant par le relâchement, par l’élément humide, par les larmes, par le bavardage, par le laitage. La littérature contemporaine est noyée dans les règles de femme. » Ça va caviarder sec, mon garçon ! A-t-on idée, aussi, de débiter pareilles sottises à une femme ? Apprends que les femmes sont désormais des hommes comme les autres.

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Mon cher Gustave. Tu ne mesures pas l’étendue de la panade dans laquelle nous nous trouvons. Notre époque est Hénaurme et elle déclencherait chez toi, tout en te dégoûtant par sa bêtise infinie, un rire homérique. Depuis que tu as tiré ta révérence, nous avons appris à courber l’échine et nous nous fustigeons sans cesse pour avoir contribué à tous les malheurs de ce monde.

Cher Maître, sache que tous les procureurs Pinard sont désormais de sortie. Il s’agit de faire taire les malheureux qui s’écartent de la doxa de Pangloss : « Les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. » Nous sommes sommés, donc, de répéter comme un mantra que tout va bien et de louer les décisions de nos dirigeants, démocratiquement élus, il faut bien en convenir. Tous ceux qui n’adhèrent pas au récit national sont estampillé fascistes et plus ou moins condamnés à une mort sociale. Quelqu’un que tu goûtes particulièrement dirait que nous vivons actuellement « une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. »

Ce qui te désolerait le plus, je crois, c’est le déclin intellectuel général. Le comportement de la classe politique, élue par nos soins, en est, tu vas le voir, le plus parlant exemple. Laisse-moi plutôt t’affranchir, en cette énième semaine de « tous les dangers » qu’affronte la France, alors qu’on examine, à l’Assemblée nationale, une nouvelle réforme des retraites pour le moins impopulaire et qu’un projet de loi sur l’immigration a été présenté le premier février en Conseil des ministres. Voici l’occasion rêvée pour les distingués rhéteurs que sont nos députés de s’empoigner comme une bande de harengers. On sera très attentifs à leurs joutes élégantes et subtiles puisque notre Prudent de la République ne nous anesthésie plus avec les discours abscons dont il a le secret. On ne l’entend plus pérorer gravement. Aurait-il renoncé à enfiler des mots qui sonnent aussi creux que des molaires gâtées ?

Patience, il reviendra. Il laisse juste ses vassaux monter au front tandis que nos députés rivalisent d’arguments étiques exprimés dans un français indigent pour faire valoir des causes fumeuses. Il ne s’agit, pour nos élus, que de satisfaire leurs pulsions histrioniques. Ainsi, Sandrine Rousseau, après s’être préoccupée de la retraite de Mbappé, met en garde contre toute alliance avec le RN : « parti qui fricote avec le fascisme, qui est fascisant ! ». Elle poursuit : « Quand on vote RN, je dis qu’on a une complicité avec ça, oui. Et c’est un problème. Et ce n’est pas vrai que le vote n’implique pas de responsabilité. Aujourd’hui, les personnes qui votent pour le RN ont une responsabilité dans la montée de ce mouvement et dans la haine qu’il diffuse. Notamment auprès des personnes étrangères. » Quant à Marine Tondelier, fraîchement élue sectaire, pardon secrétaire nationale d’EE-LV, elle, estime que face à l’urgence climatique, la désobéissance civile, pourvu qu’elle soit non violente est un mode d’action nécessaire. Pour la réforme des retraites, elle n’hésite pas à affirmer : « On va faire la ZAD à l’Assemblée. »

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Gustave, tu expliquais aussi à Louise : « Les héros pervers de Balzac, ont, je crois, tourné la tête à bien des gens. La grêle génération qui s’agite maintenant à Paris, autour du pouvoir et de la renommée, a puisé dans ces lectures l’admiration bête d’une certaine immoralité bourgeoise, à quoi elle s’efforce d’atteindre. » Ah, si tu connaissais Olivier Véran ! Interrogé dimanche sur les réformes en cours par Sonia Mabrouk, Nicolas Barré et Mathieu Bock-Côté, justes dans leurs questions et policés dans leur propos, le porte-parole du gouvernement nous a régalé d’un discours sans âme et souvent sans queue ni tête, débité avec des mines de bonimenteur et un laisser-aller langagier déplacés. Il croyait sans doute, en jouant sur une connivence incongrue, s’attirer la sympathie d’un spectateur limité.

Sans sourciller, il nous a causé « tuyauterie » et « mécano budgétaire » pour rassurer quant au financement des retraites, et précisé que la loi immigration reposerait sur la curieuse alliance de « l’humanisme » et du « pragmatisme ». Les propos d’Olivier Véran, étaient, je l’ai dit, émaillés de vocables à tonalité tout aussi familière que démagogique, les verbes et locution verbale suivants : « bosser », « virer », « faire capoter le truc » généreusement employés, les répétitions abondantes.

Mais, ce qui t’aurait le plus étonné, c’est la limpidité des réponses qu’Olivier Véran apportait aux questions posées. Vois plutôt ! Quand Sonia Mabrouk lui a demandé, à propos du rapport des Français au travail : « Ça veut dire quoi, visibiliser un débat ? » (Qu’elle soit louée pour cette tentative de faire advenir la lumière.) Voici la réponse de notre palabreur : « Ça veut dire être capable de brasser, dans la société, l’ensemble des données, l’ensemble des attentes des Français liées au travail et d’être capable de se dire collectivement que oui le travail est précieux, que oui le travail, on le valorise. » Autant dire qu’on restera dans les ténèbres…

Cher Maitre, je vais clore ici ma missive. Je doute fort que tu souhaites plus de détails, toi qui écrivais en 1853 : « Mais quoi dire ? De quoi parler maintenant ? Cela ira en empirant. (…) J’aime mieux le néant que le mal et la poussière que la pourriture.

Et puis on se relèvera ! l’aurore reviendra ! Nous n’y serons plus ? Qu’importe ? »

Avec tout mon respect et mon admiration,

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est professeur de Lettres modernes

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