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Nos enfants lisent-ils assez?

Les séries littéraires pour la jeunesse continuent de connaître un étonnant succès. Un outil éducatif et pédagogique en or


Nos enfants lisent-ils assez?
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Plusieurs études l’attestent: le succès de la littérature jeunesse ne se dément pas et nos enfants lisent encore beaucoup, principalement des séries littéraires (séries de plusieurs livres avec des personnages récurrents évoluant dans un même univers, dont les histoires peuvent se suivre ou être indépendantes les unes des autres). Comment s’explique le succès de ces séries à travers les divers âges de l’enfance? Nous explorons cette question avec Hélène Fayein, conteuse dans les écoles et créatrice du personnage de « Vinsours ».


Les clichés ont la vie dure. En 2019, selon un sondage de l’application française de lecture, Youboox, 87% des parents considéraient que les enfants ne lisaient pas assez. Cette éternelle question est source d’émoi chez de nombreux parents, craignant un recul de la lecture face au règne impitoyable des écrans. Cette dernière tendance semble d’ailleurs confirmée par l’étude Les Français et la Lecture en 2023, du Centre National du Livre (CNL), publiée en avril : les Français passent en moyenne 3h14 par jour devant les écrans contre 41 minutes à lire. Pourtant, au-delà du mythe, les chiffres tendent à prouver que les jeunes continuent à lire : il ressort de l’étude que 80% des 15-24 ans se déclarent lecteurs. Et, selon une enquête similaire de 2021 menée par le CNL, les 7-25 ans lisaient davantage en 2021 qu’en 2016. Une enquête GFK de 2022 sur le secteur du livre démontrait également que plus de 65 millions de livres jeunesse avaient été vendus en 2022 en France, la part du livre jeunesse restant très importante sur le marché du neuf, avec 1 livre sur 4 vendu.

Intervenant dans les écoles, Hélène Fayein témoigne de ces tendances. « Les enfants et les adolescents sont exposés à un nombre grandissant de divertissements, mais je n’ai jamais constaté de recul dans leur amour des livres. Depuis plus de 10 ans, je fais des lectures dans les écoles, pour tous les niveaux du CP au CM2. Quels que soient l’âge, la classe ou le niveau de lecture des enfants, j’ai toujours constaté un plaisir identique à être au contact des livres. Leur intérêt pour la lecture et pour Vinsours, le personnage principal de mes histoires, ne s’est jamais démenti. La lecture est un moment privilégié pour eux. Après les sessions de lecture, j’ai toujours des demandes d’enfants et de parents, qui veulent acheter les livres Vinsours et les relire chez eux. » L’étude GFK de 2022 est sans appel : les livres rencontrant le plus de succès sont indubitablement ceux issus de séries littéraires. Ils sont vendus en millions d’exemplaires, concernent tous les âges, niveaux de lecture et genres confondus : T’choupi, Monsieur Madame, Harry Potter, Pat’Patrouille, Asterix, le P’tit Loup etc.

Les séries, un facteur de sécurisation pour les enfants

« Le succès de Vinsours est principalement lié à la régularité du personnage. Les enfants l’adorent dès la première rencontre puis s’attachent d’autant plus à lui qu’ils le retrouvent régulièrement, dans diverses aventures et dans un univers familier et rassurant, avec des personnages récurrents. Grâce au format de série littéraire, la lecture d’un nouveau livre devient un rendez-vous avec un ami de longue date, attendu avec impatience. ». L’attachement des enfants aux séries ne date pas d’hier, leur succès est intemporel. Il s’est transmis à travers les générations, avec de nouveaux héros phares pour les enfants de chaque génération : Bécassine au commencement du XXe siècle, Popeye dans les années 20, Martine dans les années 60, Marmouset dans les années 70, Caroline dans les années 80… Le directeur de la collection jeunesse d’une maison d’édition indépendante nous explique ce succès invariable : « Nous retrouvons d’abord la posture rassurante du personnage régulier, auquel l’enfant peut s’attacher. Le héros retrouvé à chaque lecture devient un ami chaleureux. La découverte des nouvelles histoires se fait dans un cadre déjà connu, avec des personnages récurrents, un ton, un format et des illustrations auxquels l’enfant est habitué. Les aventures même les plus simples des personnages peuvent être impressionnantes, voire effrayantes parfois pour de jeunes enfants et leur inscription dans un cadre connu permet d’atténuer le saisissement. » Hélène Fayein l’a constaté, l’attachement à son Vinsours s’inscrit dans le temps : « Il m’est arrivé de rencontrer des adolescents et jeunes adultes me demandant des nouvelles de Vinsours ! Ils continuent de s’intéresser à ses nouvelles aventures comme à celles d’un vieil ami. Ils me disent souvent que, pendant leurs années d’école, Vinsours était devenu un compagnon pour eux. » Cette régularité est également appréciée des parents et des éducateurs, qui peuvent mieux valoriser la connaissance d’un héros, de son univers et de ses valeurs.

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L’attrait des enfants pour les séries littéraires rejoint d’ailleurs les observations émises par Boris Cyrulnik sur les vertus d’un environnement sécurisé pour leur épanouissement, grâce à deux facteurs principaux : la confiance et la continuité. Madame Fayein en a fait directement l’expérience : « J’ai constaté l’importance capitale de la posture rassurante du personnage régulier, en novembre 2015. On m’avait demandé de faire une visite dans une classe, peu après les attentats. Les enfants, qui avaient ressenti sur les derniers jours toute la tension des adultes se sont sentis rassurés par la présence de Vinsours et par la plongée dans cet univers familier. Le directeur de l’école m’avait personnellement remerciée, les larmes aux yeux… »

Quand le personnage récurrent endosse le rôle de mentor

Au-delà de son rôle amical, la régularité et la sécurité du personnage de série littéraire sont vecteurs de vertus pédagogiques et éducatives.  Le rapport de confiance lié avec lui facilite la transmission des messages. Cette confiance donnée à un héros pour lequel l’enfant a de l’affection apporte à ce personnage une forme de légitimité, facilitant l’acceptation de la morale de l’histoire, mieux assimilée. De nombreuses séries littéraires à portée pédagogique, parfois dépassées, attestent de leur rôle formateur aux XIXe et XXe siècles : la trilogie Les Malheurs de Sophie, Les Petites Filles Modèles et Les Vacances de la Comtesse de Ségur, réels romans d’apprentissage de la morale pour les jeunes filles, Bécassine dont le rôle était de transmettre un engagement patriotique ou Martine, qui servait de modèle aux jeunes filles sortant de l’enfance pour entrer dans un âge où elles devaient aider leurs mères. Plus actuelle, la série Max et Lili remporte sans doute la palme de la série littéraire éducative, portant sur des problématiques actuelles et quotidiennes, sociales ou familiales, plus ou moins graves (Lili se dispute avec son frère, Max n’aime pas l’école, Lili est malpolie, Grand-père est mort, Jérémy est maltraité, Le cousin de Max et Lili se drogue etc.), en confrontant les enfants à des questions permettant d’engager la discussion.

Frédéric Bernard, maître de conférence en neuropsychologie de l’université de Strasbourg avait d’ailleurs publié dans The Conversation les résultats de ses recherches psychologiques portant sur le lien entre la lecture et le développement de l’empathie chez l’enfant : les résultats des diverses expériences exposées tendaient à prouver que la lecture constituait un facteur important du développement des compétences émotionnelles chez l’enfant, parmi lesquelles l’empathie. Hélène Fayein a également observé l’influence de son personnage comme mentor : « Dans les livres Bienvenue chez Nours et La Bêtise de Vinsours, Vinsours fait une bêtise, n’ose le dire à Noursonne, son amoureuse, et dort dans la baignoire pour ne pas affronter cette dernière. Il finit par avouer sa bêtise et tout s’arrange. Dans Le Voyage de Vinsours, Vinsours part à l’aventure et affronte sa peur de l’inconnu, pour aider un autre personnage. Ces histoires font toujours réagir les enfants qui s’y identifient facilement et les font à chaque fois parler de leurs ressentis et échanger sur les valeurs et la morale que cela transmet. »

Les personnages de séries littéraires peuvent même grandir aux côtés des enfants

Bien que ce phénomène connaisse des exceptions, l’âge des héros et personnages principaux est souvent parallèle à celui de ses lecteurs. Les enfants s’attachent à une série à un certain âge, puis à une autre quelques années plus tard. Un enfant peut commencer par lire à 3 ans Oui-Oui, puis Petit Ours Brun à 5 ans avant de rire avec TomTom et Nana, vivre les aventures du Club des 5 à 10 ans puis de découvrir Percy Jackson à l’adolescence. Parfois, les livres évoluent avec les enfants, qui restent alors fidèles au personnage grandissant en même temps qu’eux. Dans ce cas, c’est à la fois le physique du personnage, sa mentalité, les histoires qu’il vit et ses problèmes qui évoluent. Cette option se retrouve dans le succès mondial Harry Potter ainsi que dans la série Lou !, best-seller de la BD française qui a suivi son héroïne, de l’enfance dans le premier volume Journal Infime paru en 2004 à son adolescence puis sa vie de jeune adulte, à partir du tome L’Âge de Cristal, publié en 2012.

Hélène Fayein, elle, a adopté une troisième solution, en conservant Vinsours et ses personnages dans une temporalité unique, mais en faisant grandir les livres en même temps que les enfants, grâce à des formats adaptés pour chaque histoire. « Pour chacune des aventures de Vinsours, j’ai publié l’histoire dans trois formats différents, avec des textes, un ton et une taille de livre adaptés à chaque catégorie d’âge. Des petits livres molletonnés aux histoires simplifiées et avec très peu de texte pour les 0-3 ans, des livres moyens avec un peu plus de texte et des histoires plus complètes pour les 3-6 ans et des grands livres riches en textes et en émotion pour les 6-9 ans. Ainsi, les enfants qui apprennent à lire peuvent développer leur amour de la lecture et découvrir des histoires toujours plus passionnantes à mesure de leur apprentissage. Cela participe de leur confiance en eux, ils sont toujours très fiers de passer d’un format à l’autre. Les instituteurs et les parents apprécient autant ces différents formats que les enfants. D’ailleurs souvent, les livres Vinsours s’échangent au sein des fratries ou entre cousins. Tandis que les tout-petits qui ne savent pas encore lire empruntent à leurs ainés les grands volumes pour jouer au grand, les aînés, eux, ont plaisir à feuilleter pour s’amuser les ouvrages des plus petits. »



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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