Je connaissais déjà la fiancée de Frankenstein et même celle de Wittgenstein. Grâce au roman de Jérôme Leroy Norlande, j’ai découvert l’existence de Clara Pitiksen, la fiancée de Breivik, ce personnage extrême, ce justicier solitaire d’une cause perdue : la désislamisation de l’Europe. Après une préparation minutieuse de plus de trois ans, ce jeune Norvégien se métamorphosa en serial killer et, comme dans Les Chasses du comte Zaroff , exécuta sur l’île d’Utaya, l’île maudite où Boris Karloff sévissait lui aussi, des jeunes progressistes qu’il considérait, à tort ou à raison, comme des « idiots utiles » du fascisme islamiste. Il se voyait comme un résistant, à l’image de Churchill face au nazisme. Non, il n’était pas fou : les psychiatres et la justice norvégienne l’ont confirmé.
Mais, avant de passer à l’acte et de se livrer à un carnage à la saveur amère, notre justicier solitaire avait pris soin de connaître parfaitement les us et coutumes de ses victimes et, à cette fin, avait séduit Clara Pitiksen, la fille de la ministre des Affaires étrangères de Norvège. Rescapée du massacre d’Utaya, la girlfriend de Breivk raconte comment elle fut manipulée par ce beau garçon blond, souriant, qui ressemblait encore plus quand on le voyait de près à Fox Mulder, l’agent du F.B.I.
Certes, cette ado aux allures de sauterelle blonde a perçu quelque chose de démoniaque en lui : cela ne le rendait que plus séduisant. Et puis, comme elle l’écrit à une amie, « inutile de se leurrer, tu sais comment on est, nous, les filles, à l’occasion. Toujours flattées qu’un beau gosse un peu plus âgé s’intéresse à nous, même si par fierté on prétend le contraire. » Au fil de ses confidences au docteur Strindberg, nous nous mettons dans la peau de cette fille à la naïveté désarmante qui croyait au métissage culturel et à la paix universelle. Rétrospectivement, elle prend conscience de sa sottise et de son manque de jugeote. Bien des indices auraient dû lui mettre la puce à l’oreille. Elle reconnaît s’être faite avoir : sans doute est-ce le sort de toutes les idéalistes et de pas mal d’ados draguées, comme Clara, sur Facebook.
« Comment ai-je pu me laisser avoir ? Me laisser avoir comme ça ? », se lamente-t-elle. C’est sans doute la question que se posent toutes les femmes en songeant à leur premier amour, même si, comme l’héroïne de Jérôme Leroy, elles n’entrent pas toutes dans l’Histoire de manière aussi fracassante. Méfiez-vous des loups solitaires, surtout si leur maison est d’une propreté méticuleuse, voire maniaque, conseille au passage Jérôme Leroy. Ce n’est pas moi qui le contredirai : mon appartement est à l’image de celui de Breivik. Certes, je n’ai encore tué personne, mais cela ne saurait tarder. Surtout après avoir lu le passage des Illuminations de Rimbaud qui ouvre Norlande : « Il s’amusa à égorger les bêtes de luxe. Il fit flamber les palais. Il se ruait sur les gens et les taillait en pièces. La foule, les toits d’or, les belles bêtes existaient encore. »
Norlande, Jérôme Leroy, Syros jeunesse, Paris, France
*Photo: Moyan_Brenn
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