Le poème du dimanche
On ne se lassera jamais de dire qu’une bonne partie de ce qui se fait de mieux en littérature française nous vient de la Belgique. C’est vrai pour le fantastique ou le théâtre avec Michel de Ghelderode ou Jean Ray, c’est vrai pour le roman de genre qui soudain invente une nouvelle esthétique en même temps qu’une nouvelle manière de penser la condition humaine avec Simenon. C’est vrai, aussi, avec la poésie. Un des grands poètes du vingtième siècle, Henri Michaux, était, on l’oublie trop souvent, né à Namur.
Quant à Norge, qui nous intéresse aujourd’hui et qui n’a pas tout à fait la place qu’il mériterait, il était, lui, né à Bruxelles en 1898 avant de mourir en 1990 dans le Sud de la France. Sa poésie est à l’image de ses origines, elle aime la bonne chère, elle s’ancre dans cette jouissance heureuse qui se dégage d’un Brueghel mais elle sait aussi jouer de l’étrange, de l’inquiétant, de l’ironie. Et pour cela, il a multiplié les formes : poèmes en prose, en vers libres, poèmes rimés, poèmes se déployant comme des fleuves ou ramassés jusqu’à flirter avec l’aphorisme comme dans « Les oignons »
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Dans le poème que nous vous proposons, l’humour noir et le sens de l’absurde se conjuguent avec le poignant. On pourrait aussi y trouver comme un écho lointain de « La chanson de Gaspard Hauser » de Verlaine sur l’impossibilité pour certains cœurs égarés à vivre dans ce monde-là.
Mort d’un sourd.
Excusez-moi Messieurs, j’étais venu pour vivre,
Mais c’est trop demander, je tire mon chapeau
Et je n’insiste pas. J’ai mal compris les livres
Où l’on enseigne l’art d’être bien dans sa peau.
Évidemment, mon cœur n’entendait qu’à demi
Les broussailleux conseils de la philosophie
J’avais trop d’amitié pour avoir des amis
Et j’avais trop d’amour pour fasciner les filles.
Chut! je pars poliment sans déranger personne.
On trouvera l’argent du gaz et des impôts
Sur ma table de nuit; et surtout qu’on ne donne
A l’affaire aucun bruit. Je suis sourd comme un pot.
Norge
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