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Non, Nicolas Bedos n’est pas antisémite


Non, Nicolas Bedos n’est pas antisémite

De vrais antisémites, il y a en a assez, inutile d’en inventer. C’est en substance la réponse que j’ai faite aux amis et connaissance qui m’ont appelée à la suite de la dernière émission de FOG, « Semaine critique », à laquelle je participe de façon régulière. « Je n’ai pas vu l’émission, mais il paraît qu’il y a eu un dérapage de Nicolas Bedos », m’a dit l’un, qui travaille dans un média juif que je ne citerai pas par charité (forcément chrétienne). « Avant de réagir, je voulais avoir ton sentiment », m’a expliqué l’autre, qui est ce que les Anglais appellent un activiste. Après avoir tenté de les ramener à la raison – et, me semblait-il, y avoir réussi – j’ai totalement oublié l’affaire. Puis j’ai reçu quelques courriels de lecteurs m’engueulant pour ne pas avoir réagi et pire encore, pour avoir rigolé, pendant que le jeune Bedos racontait sa « Semaine mythomane », comme il le fait chaque semaine.

Je découvre pourtant après quelques jours que la « rue juive » est en train de se monter le bourrichon et de se délecter à l’idée d’avoir un nouvel antisémite à se mettre sous la dent. Les mails tournent en boucle, on se téléphone à tout va, le « Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme » saisit le CSA en affirmant que « la propagande palestinienne est la source essentielle de l’antisémitisme ». Malheureusement, le BNVCA ne nous dit pas si la « propagande palestinienne » commence dès que l’on est favorable à un Etat palestinien – auquel cas il y aura beaucoup de gens, dont votre servante, à rééduquer. Il ne manque plus que la LICRA et ma mère chérie qui, ouf, ne m’a pas encore appelée pour me demander ce que ça fait de bosser avec un antisémite.

J’appelle Nicolas. Depuis cinq jours il vit un cauchemar. « Ma messagerie est pleine de lettres d’insulte, certains allant, jusqu’à me prétendre de mèche avec cet affreux Dieudonné. Des monstruosités circulent en pagaille sur le web, le site du CRIF parle de mon antisémitisme larvé (moi qui ne suis même pas pro-palestinien). » Je dois dire que cette précision m’a fait hurler de rire. Honte à moi. Serais-je une antisémite qui s’ignore ?

Une précision s’impose. Je n’ai aucune sympathie pour les humoristes professionnels qui jouent les résistants quand ils se contentent d’aller dans le sens du vent. Que ceux qui pensent que je défends Nicolas Bedos par souci de ma carrière se dispensent de lire la suite de ce texte. À ceux qui n’auraient que des doutes à ce sujet, je ferai simplement remarquer qu’ayant été dotée d’un cerveau – grâces en soient rendues à mes chers parents – si j’avais voulu faire carrière, j’en aurais faite une.

À en croire les indignés, Alain Finkielkraut, qui était l’un des invités, et moi-même, aurions dû monter sur nos petits poneys, évoquer les heures les plus sombres de notre histoire et quitter théâtralement la scène[2. Et, en ce qui me concerne, mon emploi, fort précaire au demeurant, l’humeur des princes qui gouvernent notre télévision étant par nature fort changeante]. De fait, comme me l’a dit l’un de mes correspondants pour justifier son inquiétude, Alain Finkielkraut avait l’air consterné pendant le numéro du jeune Bedos. Je confirme. J’imagine qu’il n’a pas adoré les propos de Nicolas. Mais la véritable raison de son accablement est, m’a-t-il confié, qu’il en a assez de voir des humoristes dans toutes les émissions. Il me semble à moi que mon talentueux camarade de jeu n’a pas grand-chose à voir avec Guillon. Son cahier des charges, c’est d’aller à la limite et il y va. Quoi qu’il en soit, malgré l’admiration et l’affection que j’ai pour Rabbi Finkie – loué soit Son nom –, doit-on entrer en guerre à chaque fois qu’il hausse le sourcil ? Et puis quoi, on l’embaume ?

Commençons par la fin. Bien entendu, Nicolas Bedos n’est pas « antisémite, ou antisémite refoulé, ou demi-antisémite, ou quart d’antisémite, ou antisémite inconscient de dans 3 ans qui au fond de lui n’ose le dire consciemment mais qui en fait rêve de voir pendus Patrick Bruel, Primo Levy, Pierre Benichou, Elsa Zylberstein et ce qu’il reste d’Ariel Sharon dans le même sac[3. Malheureusement, ce n’est pas de moi mais de lui.] ». Entre nous, je suis un peu vexée qu’il ne m’ait pas citée mais peut-être ne sait-il pas que je suis juive ? Ou alors cette façon de m’ignorer ostensiblement est la preuve de sa haine des juifs ? Pourquoi Pierre Bénichou et pas Elisabeth Lévy ? T’aimes pas les femmes, c’est ça ? Bingo ! Alors, Nico, sois sympa, la prochaine fois que tu fais une liste de feujs, tu me mets dedans, merde !

Venons-en maintenant au corps du délit. Première partie : « Mercredi je vais voir Elle s’appelait Sarah, énième guimauve utilisant jusqu’à la lie le souvenir de la Shoah afin de renflouer les caisses lacrymales du cinéma français. Après La Rafle, fable extra-lucide qui nous montrait avec audace que les petits juifs étaient finalement beaucoup plus émouvants que les officiers nazis – ce qui m’a surpris – et qui surfait sans complexe sur le fameux devoir de mémoire, devoir de mémoire qui dispense au passage certains cinéastes de faire preuve du moindre talent et leur permet de se hisser vers le million d’entrées en raflant les écoliers d’aujourd’hui pour les parquer de force dans des salles de cinéma pédagogique : pauvres petites têtes blondes ou brunes obligés de chialer devant des mauvais films ! » J’avoue : ce passage m’a fait marrer. C’est mal ? Bon sang, à part la Torah, dîtes-moi ce que les juifs ont apporté à l’humanité de plus important que l’humour ! (Je sais, ils ne sont pas les seuls sur le créneau). Puisque Nicolas m’en donne l’occasion, je me lâche : moi aussi, j’ai horreur de ces films ou livres larmoyants qui n’apprennent rien à personne et permettent au spectateur de jouir de tous les bénéfices du statut victimaire sans courir le moindre risque. Il est facile, surtout quand on est juif, de regarder tout ça avec la rassurante certitude qu’on aurait été du « bon » côté – moralement en tout cas. Toutes les grandes œuvres littéraires ou cinématographiques sur l’Extermination nous disent exactement l’inverse : on ne sait pas et on ne saura jamais comment on se serait comporté. Ne soyons pas des « juifs imaginaires », c’est la pire insulte qu’on puisse faire aux victimes.

Après la Shoah, Israël. « Jeudi, poursuit le chroniqueur mythomane, je fais un nouveau rêve : celui dans lequel je pourrais dégueuler sur Netanyahou et la politique menée par l’Etat d’Israël sans que personne, personne, ne me traite pour autant d’antisémite, ou d’antisémite refoulé, ou de demi antisémite, ou de quart d’antisémite, ou d’antisémite inconscient […], moi qui suis tellement CON que je n’ai pas saisi cette notion très subtile selon laquelle s’indigner devant une politique parfois honteuse, c’est – mais bien sûr- vouloir du mal à tous les juifs de la planète. »

Quand plus personne n’osera parler, nous dira-t-on que ce silence est antisémite ?

Nous voilà au cœur du sujet. Que nous dit Nicolas Bedos ? Qu’on ne peut pas critiquer Israël sans être traité d’antisémite. Sur ce point, il a à moitié tort. Il est absurde d’affirmer qu’on ne peut pas critiquer Israël puisqu’Israël est le pays le plus critiqué et même le plus haï de la planète. Mon petit camarade ne fréquente pas suffisamment l’intelligentsia radicale-chic : il ne sait pas que des gens bien sous tous rapports allant de Stéphane Hessel aux syndicats norvégiens, de Ken Loach à Juan Saramago, profèrent tous les jours des âneries qui, si elles ne sont pas antisémites, sont un permis d’antisémitisme. Nico, tu devrais lire Le Monde Diplo et écouter Mermet, ça va faire de toi un ultra-sioniste.

L’ennui, c’est qu’il a à moitié raison, mon Nico. Je connais pas mal de gens qui n’osent plus dire un mot sur Israël. Et ça, c’est grave. Alors je vous le dis à tous, juifs ou pas, sionistes ou pas : parlez librement ! Dites ce que vous pensez même si vous pensez de travers ! Les juifs qui accusent d’antisémitisme toute personne qui refuse de leur donner l’heure doivent comprendre que cette accusation est terrible, pas seulement parce qu’elle est socialement dangereuse, mais parce qu’elle est moralement insupportable. Admettons que Nicolas Bedos se trompe sur Israël et sur le conflit moyen-oriental, faut-il pour autant coller sur son torse velu[4. vous jure que je n’ai jamais vu son torse, c’est une blague (ce truc qui faisait rire dans l’ancien monde) ! ] la nouvelle lettre écarlate ? À ce compte-là, bientôt, on ne pourra plus respirer. Quand plus personne n’osera dire un mot sur ces sujets qui fâchent, nous expliquera-t-on que ce silence est antisémite ?

Le plus angoissant, dans cette affaire, c’est que les juifs soient aussi cons que les dieudonnistes qui, depuis une semaine, croient avoir acquis Nicolas Bedos à leur sombre cause. Il me faut donc vous livrer la fin de la chronique et essayez de la lire vraiment parce qu’il y a du second degré : « Vendredi, je me réveille à côté d’une silhouette délicieusement sombre, à coup sûr une beauté africaine… J’entre ouvre les rideaux, la personne se retourne : Nom d’un cul c’est Dieudonné !!! Mon pseudo-pro-palestinianisme tardif a du aller un peu trop loin, ça a dû se savoir, l’enculé d’amalgameur s’est aussitôt rappliqué, avant de m’enfourcher avec sa longue épée de facho- anti feuj, me voilà triplement humilié ! Je lui dis : « Fiche moi l’camp, sale Antillais », mais il insiste : « Attends mon Nico, fais moi au moins un p’tit café, je viens de lire ta future chronique pendant que tu dormais, on est d’accord à mort, reviens sous les draps, je vais te présenter à Alain Soral, tu vas voir, il est pas jaloux, on va monter un spectacle qui partira en tournée dans tout le quartier de la goutte d’or… » Je lui dis : « Dégage ! » Je m’étonne un peu que le CRAN n’ait pas réagi à ce « sale Antillais », mais bon, les vigilants ont le droit de se reposer.

Voilà que je me retrouve à devoir faire l’exégète de Nicolas Bedos, avouez qu’il y a plus fun. Alors soyons clairs : toute personne qui n’est pas d’accord avec un juif n’est pas antisémite. Et cessons de réclamer un traitement d’exception pour les juifs. On aurait le droit de se moquer des pédés, des Arabes, des blondes, des noirs et pas des juifs ? Et après, on nous parlera du droit au blasphème et des caricatures du Prophète ? Au secours !

L’antisémitisme n’a pas disparu mais, pardonnez-moi de le dire brutalement, la Shoah est derrière nous. Heureusement. Alors moi, je ne veux pas vivre dans un monde où on n’aura pas le droit de se foutre de la gueule des juifs.

Nicolas, sois gentil : continue ! Si tu dis des conneries, promis, je ne te raterai pas.

* Chez nous, en l’occurrence, signifie chez nous les Français (de toutes origines) et chez nous les juifs (idem).

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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