Disons le tout net, on s’est massivement fichu de vous hier soir, et sur toutes les chaînes: dans un scrutin cantonal ou législatif, les scores des partis au second tour n’ont aucun sens au niveau national. Les publier sans avertissement, comme l’a fait le ministère de l’Intérieur, ou les commenter ad libitum, comme nombre de confrères ainsi que la plupart des dirigeants de l’UMP ou du PS présents sur les plateaux, relève de l’escroquerie en bande organisée. Qui dit escroquerie dit victimes, ce soir c’était au tour des écologistes, du Front de Gauche et surtout du FN d’être dépouillés après les dépouillements
L’arithmétique étant moins populaire dans ce pays que l’Euromillions ou le régime Dukan, les spoliés ont eu un peu de mal à se défendre : la règle de trois, personne ne s’est aventuré à l’expliciter au peuple français et il est vrai que l’exercice était casse-gueule, surtout en deux minutes à l’oral sans rattrapage.
N’étant pas soumis aux mêmes contraintes, je vais tenter, à chaud et donc avec des informations partielles, remettre les pendules à l’heure. C’est de saison.
Pourquoi le score national de chaque parti n’a-t-il aucun sens au deuxième tour ? Tout simplement, parce qu’il n’y a pas une mais des centaines d’élections et que seuls les deux ou trois candidats arrivés en tête reviennent en deuxième semaine. Je ne vous refais pas le feuilleton du ni-ni et du front républicain, des pactes signés par les chefs sur les plateaux de télé et ignorés par la piétaille au nom de mille embrouilles locales. Pour apprécier l’entourloupe, il faut juste se rappeler que tous les partis ne sont pas en lice dans tous les cantons.
Seul le premier tour peut donner une estimation exacte des forces en présence (sauf torsion ministérielle, mais ça, nul n’ose l’imaginer). La semaine dernière, à l’issue du scrutin, on savait ce que pesaient le Front de gauche, le PS, le FN. C’était un peu plus compliqué pour l’UMP, à cause du flou induit par les divers droite et pour les Verts, qui étaient souvent co-investis par le PS. N’empêche, la photo, le « sondage grandeur nature », c’était dimanche dernier.
Les scores d’hier, à l’inverse, n’avaient aucun sens. Tout d’abord, environ un quart des cantons avaient été pourvus au premier tour, et ça change beaucoup de choses. Une séance de travaux pratiques pour vous expliquer, on se réveille au fond de la classe ! Pour plus de clarté, cet exercice sera ultra simplifié.
Imaginons qu’il y a deux cantons -d’égale population, disons 1000 votants – à pourvoir dans un département X où trois partis sont en présence.
Au premier tour dans le canton Nord, le parti A fait 600 voix (60%) le parti B, 300 voix (30% ) et le C 100 voix (10%) : le A aurait été élu dès dimanche dernier, il n’y aurait donc pas eu de second tour.
Dans le canton Sud, le rapport de forces est plus équilibré avec respectivement pour les parti A, B et C 360 , 440 et 200 voix . Au soir du premier tour, le candidat C se désiste en faveur du candidat B., et au second tour le candidat A obtient 400 voix, et le candidat B, 600 voix.
Selon la logique ministérielle en vigueur, les scores de second tour donnent donc le parti B largement majoritaire dans le département après le second tour avec 60% (600 voix) contre 40% au parti A. Le parti C, lui, a disparu de la couverture radar.
Résultat, le parti A se trouve pénalisé d’avoir fait un trop bon score dans le canton nord ! La photo finish est truquée la seule qui valait était celle du premier tour en agrégeant les cantons Nord et Sud
Au faux score façon Guéant second tour ( B= 60%, A=40%, C=0%) on préféra donc le vrai, issu du dimanche précédent A = 600 voix sur le canton Nord+ 360 sur le Sud= 48% des 2000 exprimés ; B= 300+ 440 =37% ; C = 100+ 200=15%. En tout, ça fait bien 100 %, ouf, je ne me suis pas planté ! Et de tête, s’il vous plait, mais je ne vous interdis pas de refaire ce décompte avec une calculette, les résultats risquent de coïncider. En clair, on s’est foutu de nous
Si cet exemple simplifié vous a paru rédhibitoire, allez donc vous faire une injection de Red Bull avant la suite, où on l’étendra à 2000 cantons et une huitaine de partis.
Non, non, c’était juste pour vous faire peur, et parlons plutôt immédiatement de ce qui fâche : le score du FN qu’on nous donne à 11% et des poussières donc. Foutaises ! Ce score est en fait celui du FN rapporté à l’ensemble des cantons, alors que ce dimanche, il était absent, contrairement au PS et à l’UMP, d’une grande majorité d’entre eux. En réalité dans les 400 cantons (environ un quart du total) où il restait en lice pour le second tour, le FN se situerait autour de 38 à 40% à l’heure où j’écris ces lignes. Et même si lundi on n’apprend que finalement il n’a réalisé que 35 %, c’est toujours 3 fois plus que l’estimation officielle, sur laquelle ont brodé tous les commentateurs télé ou presque (on exclura notamment du lot les implacables duettistes Zemmour et Domenach).
Le cas de figure assez standard dans ces cantons-là, c’est un candidat FN qui a fait 25 points au premier tour, et qui en gagne 10 à 15 de plus au second. Pas assez donc, pour dégager une majorité, dans la quasi-totalité des cas, et cet élément est significatif : il ne s’est trouvé pratiquement pas un coin de France pour donner une majorité à un candidat frontiste. Mais ces candidats arrivent néanmoins à séduire entre les deux tours plus d’électeurs -notamment UMP- que lors des scrutins comparables qui ont précédé ; et ça aussi, c’est significatif : le FN fait toujours peur, mais il fait moins peur que jamais
À une moindre échelle, le Front de gauche et EELV sont victimes de la même distorsion, si ce n’est qu’elle est encore un peu plus opacifiée du fait que nombre de leurs candidats s’étaient désistés après le premier tour, et que ceux qui restaient bénéficiaient le plus souvent d’un désistement du PS. Mais même si on n’aime pas les Verts, personne n’ira penser, comme on l’a laissé croire, qu’ils ne pèsent plus que 2%…
Voilà pour les correctifs arithmétiques qui s’imposaient, mais à la réflexion ça aurait pu être encore plus rigolo. Comme le FN n’a eu, semble-t-il, que deux élus sur 2000 conseillers généraux renouvelables, Claude Guéant aurait pu nous expliquer que le FN ne pesait plus que 2 divisé par 2000 soit 0,1% …
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