Mettre toutes les « radicalités identitaires » dans le même sac, comme le fait le sociologue Manuel Boucher dans un ouvrage collectif, n’a pas de sens.
Interviewé par Marianne à l’occasion de la parution du livre qu’il a coordonné Radicalités identitaires : la démocratie face à la radicalisation islamiste, indigéniste et nationaliste, Manuel Boucher me semble, malgré quelques analyses intéressantes, faire des confusions dangereuses.
Leur universalisme et le nôtre
Je suis un universaliste. Je sais par expérience que si certaines cultures, certaines éducations sont de toute évidence plus propices que d’autres à l’épanouissement de ces qualités qui font la grandeur de l’Homme, celle-ci n’est l’apanage d’aucune couleur de peau, d’aucune ethnie, d’aucun sexe, d’aucune orientation sexuelle, d’aucun milieu social. Je sais de même qu’il n’est nulle turpitude humaine dont quiconque serait miraculeusement préservé, ou à laquelle quiconque serait irrémédiablement condamné, en raison de sa couleur de peau, de son ethnie, de son sexe, de son orientation sexuelle ou de son milieu social.
Mais je sais également qu’il n’y a, en pratique, aucun universalisme hors sol. Mon privilège n’est pas d’avoir telle ou telle couleur de peau, mais de vivre dans une société où l’on considère encore qu’il est légitime d’admirer à la fois Plutarque et Meng Tseu, Jeanne d’Arc et le général Yue Fei, les symphonies de Beethoven et les mélodies de Yokoyama Seiji. L’universalisme ne peut s’épanouir que dans une culture, une civilisation, qui le considère comme faisant partie de son identité.
Je suis donc aussi un identitaire. Tout privilège impose des devoirs : j’ai le devoir et l’honneur de défendre l’identité de la civilisation occidentale. Non qu’elle soit la seule bonne. Je pleurerais si le Japon renonçait à son identité. Je célébrerai le jour où la dictature des Mollahs tombera et où l’Iran renouera avec sa véritable identité, celle du Shahnameh, de ses héros magnifiques et de ses héroïnes admirables, dont les héritières se battent pour enlever leurs voiles. Mais ici et maintenant, j’observe que l’identité occidentale est la seule à pouvoir garantir concrètement la pérennité de ce qu’il y a de meilleur dans notre société, y compris sa dimension universaliste.
Le multiculturalisme, ce lâche renoncement
Et je m’oppose fermement à ce multiculturalisme qui n’est qu’un lâche renoncement aux exigences du sens moral et de la raison, puisqu’il met sur le même plan cultures universalistes et cultures tribales, cultures soucieuses de la dignité et de la liberté de l’Homme et cultures qui rêvent d’un asservissement du monde à des règles arbitraires, cultures attachées à l’égalité des droits civiques entre femmes et hommes et cultures réifiant les femmes pour en faire les possessions des hommes, ou les enfermant dans une minorité juridique perpétuelle.
En affirmant que « salafo-jihadisme », « indigénisme » et « extrême droite identitaire » seraient fondamentalement semblables, Manuel Boucher fait une erreur dramatique.
Je pourrais rappeler que seuls les deux premières de ces idéologies prétendent détruire notre civilisation, la troisième n’incarnant peut-être pas ce qu’elle a de meilleur mais (en dehors éventuellement de quelques groupuscules marginaux) ne menaçant ni son existence, ni son essence.
Je pourrais souligner que seules les deux premières sont expansionnistes et conquérantes, alors que la troisième ne vise qu’à préserver une tradition sur son territoire.
Je pourrais montrer que seules ces deux-là se veulent messianiques et aspirent à faire table rase du passé pour instaurer le règne d’un « homme nouveau », et qu’en cela c’est de la Gauche qu’elles se rapprochent, ce que confirment d’ailleurs leurs alliances électorales, notamment avec EELV et LFI.
Toutes les identités ne se valent pas
Je pourrais évoquer le fait que parmi ces « radicalités identitaires » il en est qui rassemblent des milliers de personnes dans des manifestations illégales sans être inquiétées, alors qu’une autre se contente de déployer une banderole.
Je pourrais parler du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et des travaux de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, droits qu’il est parfaitement légitime que les peuples occidentaux revendiquent pour eux-mêmes.
Mais je préfère insister sur une chose encore plus importante : toutes les identités ne sont pas équivalentes. Dès lors, observer que quelqu’un défend une identité, fut-ce en radicalisant cette défense, ne doit pas faire oublier une question bien plus cruciale : de quelle identité s’agit-il ?
Or, dans son interview, Manuel Boucher parle d’identité et d’identitaires en général, comme si l’attachement à une identité culturelle était de même nature que l’obsession pour une identité raciale. Il y a pourtant entre les deux des différences fondamentales, différences politiques, philosophiques, éthiques, même métaphysiques !
Nationalisme = suprémacisme ?!
Lorsqu’on lui pose comme première question « En quoi le djihadisme, l’indigénisme et le nationalisme sont des « radicalités identitaires » ? » (et je ne doute pas que cette formulation soit inspirée par le propos général du livre) Manuel Boucher répond sans introduire la moindre nuance entre « nationalisme » et « suprémacisme racial ». Les deux ne sont pourtant absolument pas la même chose, et s’opposent au moins aussi souvent qu’ils s’unissent : en France comme ailleurs, l’action de nombreux nationalistes dans les résistances contre l’abomination nazie en témoigne.
Plus loin, il est question en vrac d’extrême droite et de « nationaux populistes », sans faire la différence pourtant essentielle entre extrême droite et ultra-droite. Et tous ces « nationaux populistes » auraient en commun de parler de « mondialisme » plutôt que seulement de « mondialisation » : est-ce à dire que Michel Onfray et toute l’équipe de Front Populaire seraient d’extrême droite ?
Lui-même utilise l’expression « particulièrement raciste à l’encontre de la civilisation arabo-musulmane » : là encore, aucune distinction entre la notion de rejet d’une « race » et celle de rejet d’une civilisation (ou en réalité, ici, d’opposition à ses volontés hégémoniques).
Paul Valéry et Marc Bloch identitaires
« Cette nébuleuse identitaire est obnubilée par un sentiment de décadence de la « civilisation occidentale » perçue comme en danger de mort et exprime une hantise du mélange des « races » et des cultures. » Ce qui est mélangé, ce sont les notions d’identité, de sentiment de décadence, de hantise du mélange des « races » et de hantise du mélange des cultures ! Bien sûr, certains groupes « cochent toutes ces cases », mais de là à considérer que ceux que n’en cocheraient qu’une partie ne seraient inévitablement que des versions édulcorées de ceux qui les cochent toutes…. Paul Valéry parlant de la mortalité des civilisations, ou Marc Bloch déplorant que nous ayons perdu le sens des « antiques péans », étaient-ils donc des précurseurs de la « nébuleuse identitaire » ?
Je me dois enfin de relever les guillemets mis à « civilisation occidentale », tout comme je note que Manuel Boucher semble considérer comme acquis que notre société est multiculturelle, que c’est ainsi, que s’y opposer suffirait à faire de vous un membre de cette « nébuleuse identitaire » et, puisque vous auriez alors nécessairement la hantise du mélange des « races », un raciste.
Je n’ignore pas qu’il y a, parmi ceux qu’il est convenu d’appeler les « identitaires de droite », quelques véritables racistes. C’est d’ailleurs une imposture qu’il est plus que temps de dénoncer.
L’identité occidentale repose sur trois piliers : l’Antiquité, la Chrétienté et les Lumières, et ce sont trois universalismes. Dire que toutes les civilisations, toutes les cultures, toutes les religions ne se valent pas relève du bon sens : l’abolition de l’esclavage est supérieure à sa réinstauration, la condamnation des sacrifices humains est supérieure à leur apologie, l’interdiction de l’excision est supérieure à sa pratique. Mais juger un individu selon sa couleur de peau, ou croire que sa couleur de peau suffirait à lui interdire de faire sien notre héritage, de s’enraciner dans nos racines et d’appartenir pleinement à notre peuple, sont des non-sens qui contredisent radicalement tout ce qui fait de nous ce que nous sommes : notre identité.
Défense de l’Occident
Nous sommes les héritiers de l’idéal médiéval des Neuf Preux : trois héros païens, trois héros juifs, trois héros chrétiens, et des Neuf Preuses. Les héritiers de Wolfram von Eschenbach, pour qui le métis Feirefiz était bien évidemment un chevalier à part entière, avec toutes les obligations et toute la dignité que cela implique. Les héritiers d’Isocrate, qui affirmait que « nous avons fait du nom de Grecs celui de la culture, et non de la race. » Les héritiers de Sénèque, qui enseignait que « tous ces grands hommes sont tes ancêtres, si tu te rends digne d’eux » et que « tous les hommes, si l’on remonte à l’origine première, sont enfants des Dieux. »
Il est fondamental de proclamer que l’on ne peut pas à la fois accepter le racisme et défendre sérieusement l’identité occidentale. Mais il est tout aussi fondamental d’affirmer haut et fort que, n’en déplaise à une certaine Gauche, la défense de cette identité n’est en aucun cas à mettre sur le même plan que la promotion d’un projet théocratique totalitaire ou d’un suprémacisme racial.
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