Après le référendum interne de 2009 approuvé à une large majorité des militants socialistes, les députés socialistes élus aux législatives de 2012 se sont engagés par écrit à ne pas cumuler de mandat. Question de cohérence avec la quarante-huitième promesse du candidat Hollande.
Pourtant, on se souvient que l’hôte de l’Élysée avait cumulé la présidence du conseil général de Corrèze avec son siège de député jusqu’à la veille de sa passation de pouvoir. Pas étonnant que son ami François Rebsamen, un hollandais de la première heure, ait déclaré à l’occasion du vote de la loi sur le non-cumul, jeudi dernier, sa candidature simultanée à la mairie de Dijon et aux sénatoriales de la Côte d’Or.
Mieux, il annonce vouloir cumuler jusqu’en 2020. La loi n’étant pas rétroactive et ne prenant effet qu’en 2017 (voire jusqu’en 2019 pour les eurodéputés), il pourra conserver son titre de sénateur-maire, si les électeurs le décident, bien au-delà du quinquennat. Une provocation de plus pour l’Élysée.
La rébellion de cette figure du PS met les choses au clair. Tandis qu’une écrasante majorité des caciques de son parti votait la loi, tout en cumulant et en espérant secrètement que la droite revienne dessus en 2017, François Rebsamen approuvait avec 24 autres sénateurs socialistes récalcitrants un amendement RDSE-UMP-UDI excluant le Sénat de l’application de la réforme.
Une audace partagée avec le sénateur-maire d’Alfortville Luc Carvounas, lequel déclarait pourtant en février 2013 que « l’engagement sera voté durant le quinquennat, alors ne tombons pas dans une posture jusqu’au boutiste« . Un an plus tard, il s’apprête à recevoir son ami Manuel Valls, venu le soutenir dans sa campagne municipale. Le ministre de l’Intérieur porteur du projet de loi électorale, et candidat sur la liste municipale socialiste d’Évry, n’est pas vraiment pas rancunier.
« Après des années de mobilisation militante, fier d’avoir voté le non-cumul des mandats », a tweeté le jeune député PS et candidat à la mairie de Montreuil, Razzy Hammadi. Il faut croire que son enthousiasme n’est pas communicatif car nombre de jeunes parlementaires socialistes ont aux aussi du mal avec le non-cumul.
En plus de Carvounas et Hammadi, les députés Lepetit, Guedj, Feltesse et Da Silva conservent leurs mandats avec la bénédiction de Solférino. À l’approche des municipales, Harlem Désir se fait moins insistant sur ce sujet. Même Sophie Dessus, qui a repris le flambeau de François Hollande dans la première circoncscruption de Corrèze, se représente à Uzerche! Plus anecdotique mais non moins savoureux, le député socialiste de la cinquième circonscription de l’étranger (Espagne, Portugal, Andorre), Arnaud Leroy se présente aux municipales en Gironde où il vient d’acheter une résidence secondaire.
Chez les plus anciens, la liste n’est pas exhaustive: MM. Emmanuelli, Vauzelle, Mennucci, Collomb, Vallini, Claeys, Germain, Destot, Ries… ont discrètement poursuivi leur travail d’élu local et de parlementaire. Au mépris du projet socialiste et de la loi portée par leur majorité. Y a-t-il encore un pilote à Solférino?
Soyons sérieux, un tel double langage ne peut qu’attiser, à terme, le populisme qui sous-tend cette loi sur le non-cumul. Car s’est bien la haine du cumulard », des « tous-pourris » et des « voleurs » qui est à l’origine de cette volonté de réduire les prérogatives des élus. Un antiparlementarisme, qu’on croyait réservé aux poujadistes et aux extrêmes, a ses adeptes au PS. Martine Aubry est l’inspiratrice du projet et Lionel Jospin voulait même supprimer le Sénat. Quant aux trois députés apparentés Front national, ils cherchent à gagner ou conserver un mandat local.
Pas un discours sur la réforme de l’État sans que le mot magique de « décentralisation » ne soit prononcé, mais un Parlement sans ancrage local va paradoxalement affaiblir l’influence des collectivités territoriales. Quant au niveau du travail législatif et à l’indépendance des assemblées, déjà appauvris, ils seront à la merci des partis politiques. Les assemblées se plaignent aujourd’hui d’être le petit doigt sur la couture du pantalon, qu’en sera-t-il demain? N’est-on pas en train de revenir en arrière? La turbulente histoire de la démocratie française a vu la Convention détournée par les clubs, ancêtres des partis modernes. En 1793, celui des jacobins et la commune de Paris firent régner une dictature sur les députés de province dont le le bon sens étaient réputés contre-révolutionnaires. Tirant les leçons du passé, le bicamérisme fut alors instauré pour juguler l’ardeur de l’assemblée ou de l’exécutif. Enfin, le cumul des mandats, une spécificité très française, accorda à la III° République centralisatrice un solide ancrage local: un garde-fou contre toutes les démagogies parisiennes.
*Photo : SIMON ISABELLE/SIPA.00618403_000001.
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