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Non au Center Park !


Non au Center Park !

Un « collectif des perplexes » ? Je ne sais pas. Des « types déterminés dans le doute, l’hésitation, le désarroi et l’incertitude » ? On n’en manque pas. Des « gens un peu tièdes, légèrement timorés, juste un poil raisonnables » ? Il y a foule, cher David Abiker, et ça ne date pas d’hier. Pas besoin de remonter loin dans l’histoire pour se souvenir que de Budapest au Cambodge en passant par le Biafra, l’Occident des « tièdes » et des « timorés » ne s’est pas toujours couvert de gloire en optant pour la neutralité. Plus récemment, les gouvernements européens qui n’ont pas su empêcher Srebrenica, bien « déterminés dans le doute, l’hésitation, le désarroi et l’incertitude », je les aurais préférés un peu tiraillés par les exigences de l’honneur et de la morale, vous savez, ces trucs qui donnent des repères pour distinguer le bien du mal.

Peut-être votre morale vous commande-t-elle de rester perplexe. OK, ça peut se défendre, dans certaines situations. On n’est pas tous obligés de s’intéresser à tout et encore moins d’avoir un avis sur tout. On a même le droit de limiter son horizon à la pêche, au football ou à la Patagonie, de se fermer aux sujets trop compliqués, trop douloureux ou qui risquent de rétrécir le cercle de ses amis. Moi-même, il y a des tas de choses dont je ne pense rien. Si vous me demandez un pronostic sur un match de foot, ça me laissera perplexe mais si vous insistez, je vous répondrai qu’une bande de pédés qui jouent encore à la baballe à leur âge je n’en pense rien. Ce qui est déjà un avis, vous voyez nous avons tous nos défauts, gardons-nous d’en faire l’éloge, la discrétion me semblerait plus indiquée.

Vous appelez de vos vœux une manifestation des modérés. Le problème, c’est qu’elle finirait en « couilles-molles pride » et vous ne vous y sentiriez pas bien du tout. Défileriez-vous sans la moindre gêne au coté de « gens un peu tièdes, légèrement timorés, juste un poil raisonnables » qui se plongent dans leur lecture quand une fille se fait violer dans le train ? Je suis certain que non. Bien sûr, ce n’est pas tout-à-fait la même chose que les gens qui assistent aux guerres en refusant « radicalement » de se prononcer. Mais ce n’est pas tout-à-fait autre chose non plus. À la place que vous occupez, si vous avez pour la curiosité un goût aussi définitif que pour la perplexité, vous devez bien avoir quelques éléments d’histoire et d’information pour pouvoir analyser comparer, discerner, répartir les légitimités et les responsabilités, bref, vous atteler à cette tâche intellectuelle qui s’appelle le jugement critique et qui produit une opinion – ce qui n’est pas encore un engagement.

Soit dit en passant, la réflexion est aussi un sérieux atout pour entrer dans le champ de l’action. Si nos gouvernants affichaient la glorieuse perplexité qui est la vôtre, ils ne prendraient jamais de décision et ne feraient jamais la guerre. Mais peut-être, cher David, êtes-vous contre la guerre ?

On peut aussi, après avoir entendu les argumentations les plus divergentes, si on accorde par principe le même crédit aux unes et aux autres, se placer quelque part au centre en se disant qu’on doit être dans le vrai. Rien, vraiment, dans ce que vous voyez et entendez, rien de ce que vous savez sur ce conflit et sur les méthodes de communication des deux camps, ne vous permet de vous forger un point de vue ? Aucun moyen, quand on entend ce qui se dit dans les manifestations, de s’en sortir autrement qu’en renvoyant dos à dos « pro-pal » et « pro-is » ? Pas ça, pas vous. Le journalisme qui ferait de cette perplexité vertu ne pourrait que me laisser sur ma faim. Ne pas avoir d’opinion, soit. De là à en faire une opinion ?

Paralysé par le relativisme et la religion de l’objectivité, le journaliste finit par compter les morts et les coups comme un observateur onusien dont la mission paraît inspirée par « le doute, l’hésitation, le désarroi et l’incertitude ». Moi, le journalisme, je le préfère guerrier, et même guerrière tant qu’à faire. Vous comprendrez combien je regrette la décision d’un maître en matière de tiédeur, un orfèvre en hésitation, qui nous priva de l’une des rares voix viriles de France Culture en remerciant notre maîtresse de maison pour la remplacer par un robinet d’eau tiède comme vous semblez les aimer[1. Pour ceux qui n’ont pas vu le film, il s’agit de David Kessler, ancien directeur de France Culture.]. Nous lui devons encore la non-décision sur le port du voile à l’école, qui, sous le gouvernement Jospin, a abouti à refiler la patate chaude aux chefs d’établissements : sans doute était-il trop « perplexe » pour trancher. C’est pourquoi j’ai plutôt envie de le maudire doublement que de le suivre dans son admirable exercice de « doute, hésitation, désarroi et incertitude » appliqués.

Et puis ces types « un peu tièdes, légèrement timorés, juste un poil raisonnables » que vous cherchez du regard, moi, j’en vois partout. Je me souviens d’une info entendue il y a quelques années : de jeunes Français musulmans partis de Belleville pour combattre en Afghanistan dans les rangs d’Al Qaeda avaient été retrouvés morts de froid dans la montagne. J’en parlai à des amis qui revenaient d’Eurodisney et que « toutes ces guerres » laissaient « perplexes ». J’ai fait alors cette découverte troublante que parfois, on peut avoir plus d’estime pour ses ennemis que pour ses amis.



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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