Dans Fouquet ou le soleil offusqué, Paul Morand raconte la disgrâce de Fouquet, surintendant des finances de Louis XIV, après une fête somptueuse qu’il avait donnée au château de Vaux. Le Roi n’avait pas apprécié que son ministre du Budget soit si riche et sache dépenser sa richesse de manière totalement improductive et insolente, finançant même des pisse-copies aux ordres comme Molière ou La Fontaine. Arrêté, Fouquet qui était si doué pour le bonheur, dut terminer sa vie embastillé dans le donjon de Pignerol. Sous l’influence de Colbert qui était à peu près aussi joyeux qu’Eric Woerth mais qui lui au moins savait la nécessité de la dépense publique pour créer une grande nation, Louis XIV crut que cet étalage somptuaire signifiait malversations et enrichissement personnel. Et que c’était, en plus, un bien mauvais signe envoyé au peuple de France.
Mesquinerie paniquée
Bien sûr, c’était un raisonnement totalement faux. Louis XIV comprit très vite que Fouquet avait raison. Il le laissa en prison mais suivit ses leçons. Et notamment celle-ci : le pouvoir est affaire d’image. Sa force doit se lire dans la beauté de ses palais, de ses jardins, de ses fontaines. C’est d’ailleurs ainsi que naquit Versailles.
Vu l’état de mesquinerie paniquée qui règne ces temps-ci au sommet de l’Etat, il y a assez peu de chances pour qu’un nouveau Versailles surgisse. La lettre envoyée par l’Elysée à Fillon, visant à recadrer les dépenses des ministres et concernant, entre autre, le nombre de leurs collaborateurs, leurs parcs automobiles, leurs appartements de fonction et leurs voyages privés, est non seulement un modèle d’hypocrisie mais aussi une double erreur politique.
L’hypocrisie, d’abord : il n’y a pas besoin d’avoir usé ses fonds de culottes sur les bancs de la communale avec Machiavel pour voir les très grosses ficelles qui se cachent derrière ce soudain amour pour un Etat modeste, perspective aussi gaie qu’un polar scandinave. Le « devenir suédois » qui parait vouloir s’emparer de nos gouvernants a surgi, comme par hasard, alors qu’on annonce, le trouillomètre à zéro, un plan d’austérité sans précédent, juste après une manif de deux millions de personnes, parfaitement réussie malgré Thierry Henry.
C’est à l’aube de l’été[1. Contrairement aux malandrins qui préfèrent la venelle obscure pour vous dépouiller, les gouvernements se sentent beaucoup plus à l’aise sur une plage ensoleillée pour faire la même chose.], donc, que l’opinion comprend confusément comment on a l’intention de faire respecter, de gré ou de force, les diktats ubuesques de Bruxelles qui plombent la croissance depuis des décennies avec un pacte de stabilité qui n’a plus aucun sens : 100 000 fonctionnaires en moins d’ici 2013 et pas moins de cent-cinquante mesures de réduction de la dépense publique qui toucheront bien entendu des secteurs aussi peu essentiels pour une société civilisée que l’éducation, la santé et la police.
Bref, comme l’a laissé échapper dans un instant de détresse François Baroin : « Je prépare le budget le plus dur depuis trente ans. » Si on ajoute à un tel contexte les cigares de monsieur Blanc, les permis de construire de monsieur Joyandet, les noces contre-nature entre monde des affaires et service de l’Etat célébrée par le couple Woerth, le pouvoir a dû se dire qu’il était temps de balancer des fumigènes sur le stade de la grogne sociale, histoire d’occulter le match qui se joue réellement.
Et rien de plus facile à accomplir : il faut juste aider les gens à se tromper de cible.
Double erreur politique
C’est là que nous arrivons à la double erreur politique.
1° Le pouvoir croit sans doute très malin de détourner l’attention sur lui, en tant que pouvoir, pour faire passer une politique qu’il n’a même plus les moyens de choisir. Il a tort. Il laisse à penser que jusque-là les ministres, mais aussi les députés, les sénateurs ou les élus régionaux[2. Un « bonus-malus » dans la dotation de l’Etat aux collectivités locales est à l’étude et serait attribué en fonction de la « bonne volonté » dans la rigueur budgétaire…] étaient les vrais privilégiés du régime, que c’étaient eux, la nomenklatura. C’est évidemment dépourvu de fondement. Les gens qui gagnent vraiment beaucoup d’argent dans ce pays, les gens qui sont tranquillement au-dessus des lois et font toujours autant de profits, ce ne sont pas les politiques, même liés aux milieux financiers, même très libéraux. Quand on veut s’enrichir, sous la sarkozie, il vaut mieux en effet faire partie de la bande du Fouquet’s (qui a beaucoup moins de goût que n’en avait la bande de Fouquet) qu’accepter, par exemple, un secrétariat d’Etat aux sports. Il vaut mieux se repaître, dans une curée indécente, de la libéralisation des paris en ligne plutôt qu’aller gérer les vapeurs et les bastons de vestiaires d’autres milliardaires chargés de jouer au ballon, et qui ne sont même pas capables de le faire correctement.
En faisant oublier cette gratuité de l’action politique, on fait du populisme à la petite semaine ou du poujadisme soft, appelez ça comme vous voudrez et regardez monter le score de Marine Le Pen, en attendant.
Les retraites des parlementaires, le cumul des mandats, il faudra se lever de bonne heure pour comparer quantitativement ces avantages avec ceux des grands patrons, de leurs stock-options et de leurs retraites chapeau. Il est certain que dans un pays où le salaire médian est de 1500 euros, qu’il soit question de quelques dizaines de milliers ou de quelques dizaines de millions d’euros, l’impression d’être cocufié sera identique, même si cela n’a aucune commune mesure. On fait juste oublier une petite différence : dans le cas des hommes politiques, à de rares exceptions près, et que l’on soit d’accord ou pas avec leur programme, ils œuvrent dans l’intérêt général tandis que les patrons cherchent à faire, c’est la loi du genre, toujours plus de profits. Et que les premiers rendent compte à des citoyens et des électeurs tandis que les seconds le font à des actionnaires. Et encore, il vaut mieux qu’il ne soit pas trop petit, l’actionnaire, s’il veut se faire entendre dans une assemblée générale.
2° La seconde erreur politique, plus fondamentale, dans cette « réduction du train de vie de l’Etat » tient à l’idée qu’un pouvoir modeste plairait forcément davantage aux Français. Rien n’est moins sûr, à long terme. La garden-party du 14 juillet, rituel politico-mondain qui était aussi l’occasion pour le Président de s’adresser directement aux gens à la télévision, représentait bien cette synthèse entre le faste et la simplicité, propre à la cinquième République, telle que la souhaitait De Gaulle. Sa suppression décidée à la hâte, totalement démagogique, risque en plus d’en rajouter dans le climat de dépression, à tous les sens du terme, qui règne en ce moment.
Bien sûr, il faudrait comprendre en haut lieu qu’il y a un luxe qui sacralise la fonction et un autre qui la désacralise. On a le droit d’aimer les yachts et les rolex quand on est président de la République, pas d’en faire une méthode de gouvernement en début de mandat. Ou alors on choisit l’art contemporain et on fréquente la jet-set intellectuelle, comme Pompidou en son temps.
Vouloir faire prendre le métro aux ministres ou les faire voyager en classe éco ne renforcera pas un quelconque sentiment de proximité, de toute manière illusoire. Si le peuple ne croit pas à la sincérité de cette soudaine fièvre de vertu, il parlera de démagogie. S’il y croit, ce sera encore pire : il ressentira au bout du compte, en voyant à quels expédients en sont réduits ses élus, une manière de dépossession, voire d’humiliation démocratique.
Machiavel, encore lui, note quelque part dans Le Prince que les deux plus grands risques pour celui qui veut gouverner sont d’encourir la haine ou le mépris de ceux qu’il prétend gouverner.
Nous n’en sommes pas encore à la haine mais le mépris, lui, ne va plus tarder.
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