Les fêtes de Noël et de Hanouka ont de nombreux points communs et, cette année, elles surviennent le même jour. Pourtant, entre le Vatican et Israël, les tensions sont grandes, et le Pape semble se plier en quatre pour éviter les accusations d’islamophobie.
L’une a lieu le 25 décembre d’un calendrier solaire, l’autre le 25 Kislev d’un calendrier lunaire et il arrive, comme cette année, que le jour de Noël coïncide avec le premier jour de Hanouka. Ce n’est pas le seul point commun entre ces deux fêtes. Elles sont des occasions de cadeaux, une ancienne tradition pour Noël, qui a récupéré le prestige d’un évêque du passé, Saint Nicolas de Myre, alias le père Noël, une habitude plus récente pour Hanouka où le cadeau était une simple toupie à quatre faces avec l’initiale d’un mot hébreu sur chacune: nes gadol haya, un grand miracle a eu lieu. Mais la dernière lettre était un «Shin» (pour Sham, là-bas) sur la toupie (ou dreidel) d’Europe centrale, alors que c’est un «Pe» pour «Po» ici, sur le sevivon israélien. Une lettre qui change beaucoup de choses….
Si importants soient-ils, les cadeaux ne sont pas tout. Noël et Hanouka sont des fêtes de la lumière. Pour Noël, c’est la remontée du soleil victorieux, «sol invictus» des Romains, qui a déterminé la date de la fête. Pour Hanouka, c’est le miracle de la petite fiole d’huile pure retrouvée dans le Temple de Jérusalem profané, qui a permis au candélabre de luire pendant huit jours.
Les deux fêtes empruntent la même métaphore de la lumière: pour les Chrétiens, Jésus est la lumière du monde, pour les Juifs, la lumière est la lutte pour faire émerger un monde meilleur.
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Au cours de l’histoire, d’autres significations de ces fêtes se sont ajoutées Ce ne sont pas les mêmes.
Noël est devenu le symbole de la paix. Jésus en est le Prince, suivant une expression reprise du prophète Isaïe et dans l’évangile de Luc, sa naissance est associée à une promesse de paix. A la Noël 191,4 on a vu dans des tranchées d’improbables et brèves fraternisations entre combattants ennemis.
Hanouka est plus ambivalente: la fête repose sur un événement historiquement daté (164 avant l’ère chrétienne), la réinauguration du Temple (c’est le sens du mot Hanouka) repris par les troupes de Judas Macchabée. Mais l’aspect guerrier de l’événement a été oblitéré au profit du miracle de la fiole d’huile. Celui-ci n’est pas signalé dans les livres des Macchabées, qui sont considérés comme apocryphes par la tradition rabbinique et n’apparaissent pas dans les écrits de Qumran. La primauté donnée au pouvoir divin sur les exploits militaires humains reflète les conflits entre les pharisiens et plusieurs rois hasmonéens.
Mais ces exploits pour la défense et pour la survie nationale du peuple juif résonnent fortement dans l’histoire contemporaine d’Israel. De plus Hanouka, c’était le moment où chaque famille affirmait fièrement son identité juive en illuminant sa maison aux yeux d’un monde souvent hostile. Il n’est pas étonnant que cette fête soit devenue l’une des plus unitaires du judaisme.
Cette année 2024, Noël et Hanouka sont survenus dans un cadre de relations tendues, c’est le moins qu’on puisse dire, entre Israël et le Vatican.
Pour réaliser une crèche de Noël sur la place Saint Pierre, le Vatican a sollicité deux artistes de Bethléem. Un membre de l’Ambassade palestinienne y a ajouté un keffieh dans lequel le petit Jésus s’est trouvé enveloppé. C’est ainsi que le Pape a inauguré la crèche. Quelques jours plus tard, devant l’ampleur des critiques, le keffieh a été enlevé.
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Le Pape s’est prêté là à une triple confusion. Confusion des chrétiens de Bethléem et des habitants de Gaza, quasiment tous musulmans. A Bethléem même, les chrétiens, naguère près de 90% de la population, sont à peine plus de 10% aujourd’hui, et la pression de l’islamisme n’est pas pour rien dans cette disparition.
Ensuite, emblématisation abusive des Palestiniens comme les faibles parmi les faibles, en ligne avec la préférence du Pape François pour une Eglise des pauvres, que symbolise l’adoration des bergers devant la famille misérable de l’enfant Jésus.
Enfin, Jésus serait un enfant palestinien, les Juifs n’auraient donc rien à faire sur cette terre. C’est la thèse martelée par Mahmoud Abbas, la vieille thèse des Khazars. Elle a été démolie par les études de population qui confirment le lien génétique des Juifs européens avec le Moyen Orient, mais Abbas sait qu’une image de Jésus au keffieh est plus efficace que cent travaux scientifiques contraires. Et il ne faut pas compter sur lui pour rappeler que la circoncision au huitième jour de vie est une pratique juive, même si elle s’appelle en l’occurence le Jour de l’An chrétien.
Une étude récente de l’institut Memri dévoile l’ampleur des persécutions subies par les chrétiens face aux mouvements islamistes, mais le Pape François semble tétanisé par l’accusation d’islamophobie lancée contre Benoit XVI, quand celui-ci en 2006 dans un discours devant un parterre académique à Ratisbonne, avait rapporté une simple phrase d’un empereur byzantin sur la violence de l’islam.
C’est ainsi que François, quand il manifeste sa solidarité aux chrétiens d’Orient le 7 octobre 2024, se contente d’écrire, un an après le 7 octobre 2023, que «ce jour-là la mèche de la haine a été allumée» sans jamais utiliser les mots massacres, Hamas, Juifs ou otages.
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Certes, il a demandé la libération des otages dans d’autres circonstances et il n’y a pas de motif, au regard de sa vie, de l’accuser d’antisémitisme. Il est normal qu’il soit inquiet des souffrances de la population de Gaza. Mais comment le Pape peut-il refuser de voir ou craindre de dire que l’idéologie mortifère du Hamas est la cause première de ces souffrances?
Et comment peut-il laisser planer l’hypothèse d’un génocide à Gaza, alors qu’il devrait savoir mieux que d’autres que l’intention génocidaire est consubstantielle à l’existence d’un génocide et que cette intention n’existe pas ici: ce qui existe, ce sont les tragiques réalités de la guerre.
C’est là où la préférence absolue pour la paix, quelles qu’en soient ses conséquences et ses modalités, peut être aussi une arme de destruction. C’est là où le message de Hanouka diverge de celui de Noel, lequel ne fut d’ailleurs jamais respecté par la chrétienté.
Les anges ont des mains blanches, mais, pour paraphraser Camus, ont-ils encore des mains?