Notre époque étant particulièrement calme sur tous les fronts (politique, social, économique, diplomatique), les dirigeants s’embêtent. De temps en temps, il est vrai, un loustic met le feu à un journal pour que les politiques puissent faire de mâles déclarations. Parfois aussi, quelque facétieux économiste dégrade la cote d’un pays au pifomètre, ça fait quelques vagues, on explique que c’était pour de rire et on retombe dans l’ennui.
Des médecins britanniques se sont ainsi émus de l’oisiveté forcée des grands de ce monde et se sont réunis en conclave au BMA (British Medical Association) afin de remédier à cette détestable situation. Après de nombreuses réunions de travail, parfois houleuses, les toubibs ont enfin trouvé de quoi occuper les ministres et députés de toute l’Europe, voire du monde.
Le cancer du sein, le sida et la calvitie précoce avaient déjà beaucoup servi et ne furent qu’à peine envisagés, d’autant que sur le plan politique, ce n’est que peu mobilisateur. Une campagne de temps en temps, tout le monde, ou presque, est d’accord, et hop, on retombe dans le ronron, avec son cortège de naufrages humains. Le remboursement partiel des compléments capillaires par la sécu ne pourra jamais créer une foire d’empoigne dans une assemblée. Quelques heures de débats et c’est plié !
Non, il fallait du lourd ! Du non consensuel ! Un truc à haut pouvoir polémique qui ait un petit air de tragédie collective ! Un état d’urgence ! Un machin où tous les élus de toutes les assemblées peuvent se « positionner », en appeler aux valeurs irréfragables de la nation, rappeler le devoir de chacun de se soustraire aux égoïsmes particuliers au profit de tous et citer De Gaulle !
Cet été, lors de son congrès, la BMA a donc voté en faveur d’une interdiction totale de fumer en voiture et a appelé le gouvernement britannique à la mettre en oeuvre.
Bien joué, les gars ! Finie la belote et au turbin les leaders !
« Chaque année, 80.000 décès sont causés par le tabac en Angleterre » a rappelé le docteur Vivienne Nathanson. Et d’ajouter : « Nous appelons le gouvernement britannique à prendre la décision courageuse d’interdire de fumer dans les véhicules privés ».
Ah ça, c’est quand même autre chose que de prendre mollement position sur l’entrée de la Turquie en Europe, les conflits au Moyen-Orient, les soubresauts de Wall Street ou la sortie de l’euro !
Ils avaient hésité avec l’interdiction du ketchup dans les cheeseburgers mais le lobby des producteurs de tomates, toujours sur le qui-vive, ayant eu vent de la chose, a immédiatement fait pression sue la BMA[1. A l’heure de mettre sous presse, on ignore toujours qui a organisé la fuite, mais, selon des milieux généralement bien informés, le Docteur Nathason semble lavée de tout soupçon.].
Les lobbys cigarettiers, traditionnellement mous du genou, ont été pris de cours. C’est le député travailliste Alex Cunningham qui s’est le premier saisi de cette noble cause en lançant une proposition de loi. Le premier ministre David Cameron a quant à lui précisé que s’il soutenait l’interdiction de fumer dans les lieux publics, il n’était pas chaud pour sa prohibition dans les espaces privés !
Quoi, c’est tout ?
Ah, ben non ! La BMA n’avait pas sacrifié ses vacances estivales pour laisser retomber le soufflé ! Et elle n’a pas manqué pas de préciser : « sur la base des études scientifiques collectées sur le sujet, que les niveaux de polluants émis par le tabac en voiture peuvent être 23 fois plus élevés que dans un bar enfumé. Les enfants et les personnes âgées, dont les systèmes respiratoires sont plus fragiles, sont les plus exposés au tabac dans la voiture, espace clos par excellence. »[2. On notera au passage, car il est toujours bon de s’instruire, que les voitures d’Outre-Manche ne sont pas équipées de lève-vitres.]
Un compromis fut néanmoins tenté. « Et si l’on faisait comme certains états des USA ou du Canada ? Interdiction de fumer lorsque des mineurs sont à bord du véhicule ? » La BMA joua alors son va-tout : « Non, non, non et non ! Une interdiction totale est plus facile à contrôler ! ». « Nous ne croyons pas que la législation soit le moyen le plus efficace de convaincre les gens de changer leur comportement » lui a rétorqué un porte-parole du ministère de la Santé.
Les choses en sont là. La police est sur les dents, la protection du 10 Downing Street a été renforcée, les salles de toutes les rédactions du monde crépitent, Internet est saturé. Bref, on l’a échappé belle, ce n’est pas encore aujourd’hui que nous verrons des chefs d’état ramollis !
Merci qui ? Merci la BMA !
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