Les rappeurs entrent dans le jeu politique, en apportant leur soutien au front républicain avec un hymne enlevé: No Pasarán. Fulgurante créativité ! Reste que quand vos « punchlines » sont plus partagées par Bardella, Le Pen et Ciotti que par ceux que vous soutenez, c’est que vous avez peut-être raté quelque chose… Complotisme, insultes misogynes, glorification de l’ultra-violence et couplets à la limite de l’antisémitisme: les artistes des «quartiers populaires» ont fait très fort.
Proclamé le 30 juin à 20h01, le « Front Républicain contre le RN » ne cesse d’inspirer des réalisations artistiques à sa mesure ! Ainsi, le soir même de son instauration, ses militants mettaient à jour la statue de la République (voir photos ci-dessous), place du même nom, l’entourant de drapeaux algériens et palestiniens (Pardon ? Ah, non, pas de drapeaux français. Pour quoi faire ? Il est ici question de République, pas de France) et l’ornant d’inscriptions à la gloire de l’Idéal Républicain : « ACAB, PALESTINE, FUCK ISRAEL, NIK LE RN, A bas l’état et les partis, Pays de fachos pays de la honte, FREE GAZA, BRULER TOUS, NFP, ANTIFA, Mort aux Faf, NIQUE BARDELLA, NIQUE LA BAC, HERE IS PALESTINE. »
Parfaite représentation de la République telle que la veut le Front Républicain ! Cette merveilleuse alliance, allant de Raphaël Arnault, qui au soir du 7 octobre fit l’éloge du Hamas, jusqu’à Emmanuel Macron, qui fit chasser Israël du salon Eurosatory et autorisa l’ambassadeur de France à l’ONU à rendre hommage au Boucher de Téhéran – en passant par Nicole Belloubet, qui voulut rétablir le délit de blasphème et condamner Mila, Nassira El Moaddem, qui qualifie la France de « pays de racistes dégénérés », Eric Dupond-Moretti, qui déclara que défendre Abdelkader Merah était « un honneur », et Rima Hassan, qui affirme que « Israël a des chiens entraînés pour violer des Palestiniens dans les centres de détention. »
Mais les arts visuels ne suffisent pas. Dès l’origine, cette allégorie sublime de la République idéale, réunissant dans ses bras aimants Jean-Luc Mélenchon (ancien du PS), Emmanuel Macron (ancien du PS) et Gabriel Attal (ancien du PS), sous la sage égide du Conseil Constitutionnel de Laurent Fabius (du PS) et l’œil vigilant de la Cour des Comptes de Pierre Moscovici (du PS), fut accompagnée de mélopées telles que : « Qui sème la haagrah récolte l’intifada » ou encore « Israël casse-toi, la Palestine n’est pas à toi ». S’y ajoute désormais un chant qui mérite de devenir l’hymne du Front Républicain, un chant d’audace, de non-conformisme, de révolte engagée, d’esprit de résistance, un chant qui restera la mise en mots et en musique ultime des Valeurs de la République, à l’évocation enchanteresse et salvifique desquelles quiconque n’est pas un populiste, complotiste, nostalgique du bruit des bottes du ventre toujours fécond des heures les plus sombres, ne peut que se mobiliser pour s’opposer aux hordes démoniaques du RN.
Un chant, disais-je, ou plutôt un immortel cantique, composé par vingt rappeurs et nommé : No Pasarán. Fulgurante créativité.
A lire aussi: Jordan Bardella: «Je suis l’enfant de la génération 2005-2015»
La presse (subventionnée) ne s’y est pas trompée : « Bourré de punchlines incisives » pour Le Parisien, « Une variété d’angles assez enthousiasmante » nous dit Libé, « Incisif dans ses paroles » d’après France Info, « Pari risqué mais au moins tenté » aux yeux du Monde, et cette analyse des Inrocks : « Si l’on a pu parfois reprocher au rap français son mutisme politique, ayant tendance à centrer dorénavant son propos sur la quête de fric, tout en l’émaillant d’insultes graveleuses et misogynes à souhait, il semble que la scène actuelle se soit ressaisie. »
Et avouons que ce ressaisissement est… saisissant. Jugez-en, lecteurs, à ce florilège de citations tirées de l’œuvre (pardon, de l’Œuvre) :
« Pour les p’tits frères on s’inquiète » sur fond d’images de la mort de Nahel.
« Ferme les frontières mais la dope remontera de Marbella. »
« Si les fachos passent, je vais sortir avec big calibre. »
« J’recharge le kalachnikov en Louis Vuitton comme Ramzan Kadyrov », les gardiens du temple de tout ce qui est républicain (front, arc, champ, valeurs, printemps), qui voient des complots russes partout mais de l’ingérence qatarie nulle part, apprécieront à sa juste valeur cette référence de leurs nouveaux alliés…
« Nique l’imam Chalgoumi et ceux qui suivent le Sheitan à tout prix. »
« Marine et Marion les putes, un coup de bâton sur ces chiennes en rut. »
« Espèce de franc-maçon tu te nourris du sang que tu consommes », sans doute un hommage (républicain, bien sûr) au grand maître du Grand Orient de France qui a écrit que « Tout doit être fait pour empêcher que l’extrême droite ne devienne majoritaire dimanche prochain à l’Assemblée nationale », et fait donc partie du même Front Républicain que les 20 rappeurs.
« Dans leurs ambassades c’est le sheytan qui les passionne » : référence religieuse normale, c’est de l’Église que l’État républicain du Front Républicain est séparé, pas de la mosquée (surtout quand cette mosquée banalise auprès des enfants les conversions forcées et la violence contre les apostats, mais bref).
« Normal que Sheythanyahou soit le blanc qui assure leur contact » avec la photo de Benyamin Netanyahou pour ceux qui n’auraient pas compris.
A lire aussi, Didier Desrimais: Petit tour d’horizon des inquiétudes du «monde de la Culture»
« Les bavures tous ces policiers adorent ça. »
« Et mon cœur est en Palestine. »
« J’récite ma haine contre leur électorat » : le Front Républicain, c’est connu, lutte contre la haine sauf quand il s’agit de haïr les douze millions d’électeurs du RN, là c’est différent, parce que c’est pas pareil.
« Vive la Palestine de la Seine au Jourdain. »
« Sa mère faut pas qu’ils passent, y’a mon pote sous OQTF. »
Parmi les auteurs, on citera Alkpote qualifiant Laurent Ruquier de « monstruosité qui pue le sperme » et de « pute homosexuelle » et rappant « allons brûler les locaux de Charlie Hebdo », « j’encule les sionistes », « j’repense à Mostefaï et Coulibaly », ou Fianso « j’repasse avec le pompe devant la mezouza ». Mais ils sont engagés contre le RN, donc tout va bien, et puis vous n’avez pas les codes, il serait absurde de surinterpréter ce qui n’est que licence poétique, tout ça.
On me dira que je fais du mauvais esprit. Que ce clip de rap n’est qu’un clip de rap, qui n’engage que ses auteurs (et encore). Que tous ceux qui appellent à « faire barrage » n’en partagent pas forcément tout le message (même si… le fait qu’ils tentent tous de faire croire à leurs électeurs que la sauvegarde de la République impose de soutenir le parti de Rima Hassan, David Guiraud et Louis Boyard contre celui de Malika Sorel, Guillaume Bigot et Charles Prats en dit très long sur eux). Certes, certes.
Alors je vais être sérieux.
Le 7 octobre a été une abomination sans nom. Au cri de « Allah akbar », une horreur comparable aux sacrifices humains que les carthaginois offraient à Moloch. Le jour même, le Hamas en a diffusé les images. Le jour même, la surenchère dans le sadisme était évidente : ce groupe terroriste islamiste venait d’assassiner, de torturer, de violer des femmes et des hommes sous les yeux de leurs conjoints, des parents sous les yeux de leurs enfants, des enfants sous les yeux de leurs parents, encore et encore, avant de tous les enlever ou les massacrer. Et de s’en vanter à la face du monde.
Eh bien. Le Front Républicain contre le RN, c’est quand le président de la République et le Premier ministre font alliance avec un homme, Raphaël Arnault, qui le 7 octobre a écrit : « 75 ans de colonialisme, de racisme et d’attaques meurtrières de l’État israélien. À tout instant : solidarité avec le peuple palestinien. Aujourd’hui, la résistance palestinienne a lancé une offensive sans précédent sur l’État colonial d’Israël. Les représailles ne se sont pas fait attendre (….) Cette violence n’a qu’une seule racine : le projet colonial israélien. (etc) » Voilà ce qu’est le Front Républicain. Pensez-y, dimanche. Le 7 juillet, souvenez-vous du 7 octobre.
Price: 23,90 €
11 used & new available from 16,73 €
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !